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Le samedi 23 avril 2022

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La fiscalité écologique doit conserver le souci de la justice sociale

L’auteur invité est Alain Lipietz, directeur de Recherche au CNRS, ex-député européen Vert.

La crise à laquelle nous sommes confrontés résulte à la fois de problèmes de répartition des revenus et de problèmes de nature écologique. D’un point de vue fiscal, il faut « internaliser » les contraintes écologiques dans le système des prix via la fiscalité écologique.

La fiscalité écologiste existe déjà de facto, mais se trouve dispersée sur quantité de mesures isolées, la principale pièce étant la TIPP, Taxe intérieure sur les produits pétroliers, devenue TICPE, Taxe intérieure sur les produits énergétiques. Cela constitue du reste une difficulté quand il s’agit de les réformer, du fait de leurs origines différentes, de la manière également disparate dont ces mesures ont été prises, de leur « justification » à l’époque de leur adoption.

Les logiques de l’écotaxe

Toute écotaxe a deux effets, deux «dividendes». Elle incite le contribuable-pollueur à diminuer sa base fiscale (la quantité de pollution produite), et elle alimente le budget public. Elle peut obéir à trois logiques différentes.

La taxe dissuasive entend empêcher de perturber un équilibre écologique. Elle aboutit donc à « tuer » sa propre base fiscale. Si elle réussit, elle ne rapporte plus rien.

La taxe d’internalisation est destinée à réintégrer certaines « externalités négatives » dans le « signal-prix » envoyé aux usagers qui ne peuvent pas se passer d’une activité polluante.

Par exemple, la taxe à l’essieu signale le coût du passage des camions qui abîment la chaussée. La taxe d’internalisation est ardue à établir et se confond fréquemment avec la taxe dissuasive. En fait, on augmente qualitativement le prix, par la fiscalité, pour modérer l’usage, et le « second dividende» tombe dans l’escarcelle de l’État sans être affecté spécifiquement à la réparation.

La taxe réparatrice est explicitement destinée à « réparer » les dégâts dont la limitation est visée par le premier dividende. Par exemple, sur l’eau consommée, on sait fixer un taux de redevance en fonction du coût externe que constituent l’action et le fonctionnement des agences de bassin.

Pour fonctionner de manière convenable, une taxe réparatrice doit être modulée par un système de bonus-malus. Sinon, elle risque d’encourager les gaspillages puisqu’elle mutualise les coûts externes engendrés par l’action «irresponsable» du pollueur, et donc peut conduire chaque assujetti à une forme de déresponsabilisation.

Une forme de progressivité

La grande critique adressée a une écotaxe est qu’elle n’est pas «sociale», en ce sens d’abord qu’elle n’est pas progressive (même si l’on pollue d’autant plus que l’on consomme), et surtout qu’elle frappe indistinctement des ménages « captifs » qui n’ont pas les moyens de diminuer leur pollution. Une manière d’agir serait de traiter les problèmes de pollution sur le même mode que l’impôt sur les revenus, avec une forme de progressivité.

Ainsi, un ménage dans une ville européenne ne peut vivre sans une quantité d’eau et d’énergie minimales, auxquelles viendront s’ajouter des couches supplémentaires de consommations progressivement moins nécessaires. À partir de ce constat, il serait possible de convenir d’une quantité minimale fixe de consommation d’eau ou d’énergie qui serait gratuite. Puis les consommations supplémentaires seraient soumises au principe d’une tarification à taux progressivement plus élevé.

Le prix des énergies fossiles

Actuellement, la TICPE est un outil très puissant. Elle rapporte la moitié de ce que rapporte l’impôt sur le revenu. Mais elle entre en concurrence avec cette autre sorte d’imposition sur les carburants qu’est la rente pétrolière, à savoir les marges que prélèvent les pays producteurs, mais aussi les compagnies pétrolières. La fixation du prix des énergies fossiles sur le marché mondial détermine largement le prix à la pompe, indépendamment de toute visée écologiste.

Néanmoins, des études ont montré que les pics de prix élevés ont un impact sur les comportements des consommateurs, qui réduisent leur consommation et roulent alors moins ou moins vite. Cela a été constaté très nettement lors de la montée accélérée du prix de l’essence de 2003 jusqu’au pic d’août 2008, où les gens ont réfléchi et repris conscience du besoin d’économiser le carburant.

Un forfait gratuit

Reste la question des revenus modestes. Ici intervient la piste d’un forfait gratuit : la collectivité leur restitue un «chèque-énergie», ou augmente les minima sociaux. Nous devrons aussi tenir compte, par des compensations, des ménages confrontés à d’autres contraintes, telles que le fait de vivre éloigné, en montagne ou à la campagne.

Ce type de fiscalité modulée, certes dissuasive envers les excès de consommation, présente toutefois le risque d’aléa moral, c’est-à- dire de déresponsabiliser (je paye : je pollue) ou d’engendrer des luttes d’influence pour se faire reconnaître comme cas particulier bénéficiant d’exemptions.

Lorsque l’on tient trop compte de ces cas particuliers exemptés de payer leurs externalités, on consolide leurs bénéficiaires dans l’idée : Je ne paie pas parce que je ne peux pas, donc je peux abuser. Peut-on encourager les ménages, mêmes les plus modestes, à agir sans conscience de leurs responsabilités?

Conserver le souci du social

Ces problèmes ne sont pas insolubles, mais nous confrontent à une difficulté, dès lors que l’on conserve le souci du social, sans renoncer à être raisonnablement exigeant sur la fiscalité écologique, et que l’on se refuse à brimer excessivement la liberté de chacun par de pures et simples interdictions. Même si la cote n’est pas parfaitement taillée, l’important est de commencer à la tailler.

Car, au fond, ce seront toujours les plus pauvres qui pâtiront de la dégradation sans entraves d’un environnement gratuit. Les plus riches, eux, ont à la fois les moyens de le polluer – et de s’enfuir vers un autre environnement, le week-end ou à leur retraite.

Pour lire le texte original, on va sur le site du magazine La jaune et la rouge.

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