L’auteur invité est Paul Ouellet, ancien directeur général de la Caisse d’économie solidaire Desjardins. Présentation du dernier ouvrage de Jacques Racine dans le cadre d’une conférence à l’Université Laval.
C’est avec grand plaisir que j’ai accepté la proposition de Jacques de présenter son livre. Je ne pouvais refuser une telle demande d’un ancien professeur de la faculté de théologie qui a su il y a 40 ans m’initier aux questions sociales.
Par un curieux hasard, nous avons été tous deux aux premières loges de la crise financière de 2008, lui comme président de l’un des plus importants comités de retraite du Québec et moi comme directeur général de la Caisse d’économie solidaire Desjardins. Tous deux, nous avons dû comprendre la crise, ses causes, ses outils appelés subprime, titrisation, PCAA et autres produits dérivés basés sur des modèles mathématiques d’une opacité encore plus nébuleuse que le vaudou.
Cette crise est celle de la financiarisation de l’économie qui a maintenant préséance sur l’économie réelle, celle des échanges de biens et services. Alimentée aux bonus sur le rendement et la croissance, cette dérive structurelle a pour effet d’éloigner encore davantage l’oligarchie financière des conséquences de sa spéculation sur les territoires et leurs populations.
De nos postes d’observation, lui au Comité de retraite et moi à la direction de la Caisse d’économie solidaire, nous avons pu nous approcher du ventre du Dragon et constater son appétit sans limite. Je dirais gargantuesque depuis que cette oligarchie a réussi à obtenir la dérèglementation des contraintes pouvant nuire à ses ambitions de profits. Dérèglementation, modèles mathématiques, créativité financière sans filet protecteur n’expliquent pas tout, il manque la cupidité. Cette crise est aussi une crise morale, preuve que l’éthique est un enjeu de civilisation.
Jacques et moi partageons ces constats. Avec autant de similitudes, que reste-t-il de différent entre nous deux? Une différence majeure: il a écrit un livre sur la crise financière pour la comprendre et surtout pour y faire face. Il veut selon le titre de son livre :
Rebâtir l’avenir. Comprendre et surmonter la crise.
Ce livre, je l’ai beaucoup apprécié pour les raisons suivantes:
1- En 250 pages, il collige des faits, des statistiques, des analyses percutantes qui éclairent le propos. La réussite de l’auteur, c’est de les présenter de façon si accessible que jamais ces données n’altèrent la fluidité du texte.
2- Ce livre vulgarise des concepts opaques comme subprime, PCAA d’une manière exemplaire. Le secret de cette réussite repose sur le fait l’auteur n’est pas un initié au service de la financiarisation. Il sait expliquer le complexe en bon professeur qu’il est. Jacques fait œuvre de pédagogue.
3- Rebâtir l’avenir. C’est plus qu’un titre, c’est un programme qui appelle au renforcement de nombreuses organisations internationales: préludes, il faut l’espérer, de formes plus ou moins avancées de gouvernance internationale en espérance d’un gouvernement mondial. Le propos de tes derniers chapitres redonne une place prépondérante au Politique dans le sens le plus noble du terme.
4- Enfin ce livre porte un parti-pris dans la plus grande tradition des prophètes bibliques et contemporains que ce soit Ézéchiel ou Gandhi pour ne nommer que deux figures marquantes. Parti-pris d’une éthique sociale et politique où la défense de l’opprimé, du floué, de l’abandonné remet en cause la puissante cupidité de l’oligarchie financière, cupidité qu’elle sait partager par une cascade à multiples paliers de récompenses, options, bonus et autres avantages financiers. La cupidité peut aussi être érigée en système.
À ceux et celles qui pourraient douter de la pertinence de ce parti-pris, je veux citer un texte de Simon Alcouffe, doctorant aux HEC, texte inspiré du livre de Jérôme Maucourant (2005): Avez-vous lu Polanyi?
Ce Karl Polanyi est un économiste hétérodoxe né à Vienne en 1886 dans une famille juive convertie au calvinisme. De 1947 à 1964, il enseigne l’économie aux États-Unis tout en demeurant au Canada à Toronto.
Je cite: « …la maîtrise du système économique par le marché a des effets irrésistibles sur l’organisation toute entière de la société: elle signifie que la société est gérée en tant qu’auxiliaire de marché. Au lieu que l’économie soit encastrée dans les relations sociales, ce sont les relations sociales qui sont encastrées dans le système économique. Aucune économie du marché n’est concevable sans un marché du travail. Un tel mécanisme a de nombreux effets négatifs sur la société soumise à son action.
Permettre au mécanisme du marché de diriger seul le sort des êtres humains et de leur milieu naturel aurait pour résultat de détruire la société. Cette menace pesant sur la société fut et est à l’origine de tout un réseau de mesures et de politiques qui fit naître des institutions puissantes destinées à enrayer l’action du marché touchant au travail, à la terre et à la monnaie.
Pour Polanyi, la véritable signification du problème torturant de la pauvreté s’explique par cette affirmation: la société économique est soumise à des lois qui ne sont pas des lois humaines. Abandonner le destin du sol et des hommes au marché équivaut à les anéantir. » (Fiches de lecture de la Chaire DSO).
Cette analyse, cher Jacques, rejoint ton appel des derniers chapitres au Politique et à l’éthique. Cet appel est d’autant plus important que l’éthique est jugée accessoire et que le Politique est de plus en plus questionné par ceux là même qui subissent les conséquences des dérives économiques du marché. Curieux paradoxe! L’oligarchie financière et ses valets prônent moins de Politique et d’État pour gagner de la liberté d’actions sur les territoires et les populations tout en réclamant assez de Politique et d’État pour réguler le marché en sa faveur, garantir des règles juridiques pour protéger ses acquis et procéder à des opérations de sauvetage en cas de mauvaises décisions. Le champ du Politique est un terrain de luttes constantes, une souque à la corde perpétuelle.
Tout en étant facile d’accès, ton livre cher Jacques, suscite la réflexion et l’engagement. Et c’est au chapitre de l’engagement que je me permets une amicale critique. J’aurais souhaité un chapitre sur l’économie sociale: l’économie coopérative et associative. Cette économie qui, à travers les efforts de centaines de milliers de personnes dans le monde, cherche à répondre aux besoins des personnes et de leur milieu. Une économie au service des territoires et des populations plutôt que le contraire. Une économie qui n’a pas la puissance nécessaire pour dominer l’oligarchie financière mais suffisante pour donner la capacité de développer le pouvoir local et la dignité des personnes. Une économie qui alliée à tes propositions de gouvernance mondiale pourrait dépasser ses propres limites.
Ton dernier chapitre nous entraîne sur l’incontournable terrain de l’éducation et des valeurs morales à mettre de l’avant. Rien de surprenant parce que la crise financière de 2008 est aussi une crise éthique. Et la quête d’une éthique pour l’humanité est essentielle pour guider les rapports de force dans le Politique comme les choix idéologiques et économiques que nous pouvons faire. Je te lance donc une deuxième interpellation soit celle d’écrire un livre sur l’éthique sociale et politique. L’actualité fait la démonstration de l’effondrement des repères éthiques dans plusieurs domaines et d’autre part du peu d’apport des grandes religions sur ce volet de l’éthique sociale et politique.
Du côté du catholicisme, sa marque de commerce au plan éthique demeure la morale sexuelle où l’angélisme masque bien des déviances ainsi que la morale d’avant la naissance et celle en toute, toute proximité de la mort. Mais qu’en est-il de la vie, celle entre 0 et 100 ans? Quelle éthique pour ce vivre ensemble de longue durée?
Du côté du protestantisme, les figures de proue qui occupent l’actualité nous viennent des évangélistes américains qui prônent une éthique de la responsabilité personnelle et du salut individuel qui conduit au refus de toute solidarité fiscale et de toute intervention dans le Politique. Et voilà que ces mêmes évangélistes se déploient dans les Amériques du centre et du sud ne s’adressant pas aux pauvres comme groupe mais aux pauvres pris un par un comme seul répondant de leur salut.
Enfin un regard sur l’Islam permet de constater aussi une absence d’éthique sociale et politique. Le retour de l’esclavage dans la préparation des jeux olympiques au Qatar dit tout.
Le besoin de réflexion sur les questions d’éthique sociale et politique est immense, j’attends ton prochain livre. Dans l’intervalle, je recommande à toutes les personnes présentes à ce lancement de lire et diffuser ton dernier livre parce qu’il informe, vulgarise, propose, prend parti, questionne et invite à l’action. Bonne lecture !!!
Rebâtir l’avenir. Comprendre et surmonter la crise financière
Par : Racine, Jacques
Éditeur : Médiaspaul Canada
ISBN : 9782894209318
Pages : 264
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