Le journaliste Francis Vaille vient de publier les faits saillants d’une analyse comparative réalisée par La Presse sur l’état de la situation des contribuables les plus riches dans les différentes provinces canadiennes. Quoique teintée de la vision du monde (pour ne pas l’idéologie) qu’on lui connaît, le journaliste de La presse arrive aux même grandes tendances auxquelles étaient arrivées Nicolas Zorn dans sa note de l’IRÉC.
« Au Canada, le groupe de 1% a vu ses revenus croître de 61% entre 1992 et 2010, comparativement à 18% pour le groupe de 99%. Dit autrement, la croissance des revenus totaux du groupe de 1% a été 3,4 fois plus importante que celle du groupe de 99% au Canada. Ce rapport de croissance entre les deux groupes est encore plus fort en Ontario (4,1) et dans les Prairies (3,9). Pendant ce temps, au Québec, le groupe de 1% a vu ses revenus après impôts progresser de 54%, soit 2,4 fois plus vite que ceux des autres contribuables du Québec. En somme, la croissance des inégalités s’est accrue aussi au Québec, mais de façon moins prononcée. »
Néanmoins, j’ai deux sérieux problèmes avec cette ‘analyse maison’ d’un journal et d’un journaliste dont la mission est d’être, en quelque sorte, la courroie de transmission de tous ceux qui s’acharnent à affaiblir les institutions qui, non seulement sont en mesure de combattre la croissance de ces inégalités, mais les seules à pouvoir rétablir les conditions à un développement économique et social plus harmonieux, et dans une certaine mesure, à assurer les conditions indispensables à un développement écologiquement plus soutenable. S’il faisait correctement son travail de journaliste, Francis Vaille aurait, à contrecourant de l’ensemble de ses collègues de La Presse, correctement informé les lecteurs de La Presse des véritables enjeux du projet initial du ministre québécois des Finances qui voulait augmenter les impôts des plus riches. Il a plutôt soutenu la fronde du 1% et des institutions les plus réactionnaires (dont les Chambres de commerce) qui ont réussi à casser la colonne vertébrale du ministre, qui s’en n’est jamais relevé.
L’autre problème avec l’analyse de Vaille c’est lorsqu’il avance que les pauvres de l’Ouest profitent de la croissance : « Les riches dans l’Ouest: les pauvres profitent de la croissance ». Là c’est carrément de la désinformation que fait M. Vaille. On voit là les effets délétères d’un traitement superficiel et tendancieux d’une analyse qui confond tout. Pour pouvoir faire la proposition que les pauvres profitent de la croissance il aurait fallu distinguer le décile le moins nanti, et non pas faire comme si les tendances constatées pour le 99% s’appliquaient à toutes les catégories de revenu. Socialement parlant, le 99% est une vue de l’esprit. S’il existait un groupe social du 99%, le 1% ne jouirait pas des mêmes privilèges. Ce n’est pas les pauvres qui profitent de la croissance de l’Ouest, mais les travailleurs des secteurs à haute intensité carbone (pétrole, gaz, agriculture industrielle).
Par contre il faut reconnaître que les dernières parties de l’analyse dévoilée par Francis Vaille est intéressante. On aura beau dire que le Québec est en ‘manque’ de riches (argument le plus fréquemment utilisé pour dénoncer tous ceux qui osent réclamer une plus grande contribution des riches Québécois à la fiscalité), il reste que lorsqu’on se compare avec les pays en dehors du monde anglo-saxon, la comparaison est boiteuse. Il y a beaucoup plus de riches au Québec qu’il y en a en Suède ou au Danemark par exemple. Et on pourrait ajouter que s’il y en a moins dans ces derniers pays, qui connaissent néanmoins une croissance économique plus forte que celle du Québec, c’est qu’il existe des normes sociales et un système fiscale beaucoup plus progressistes que dans les pays anglo-saxons, ce qui fait en sorte que la richesse ‘ostentatoire’ est moins socialement acceptable. Ainsi, en tenant compte des revenus en termes de parité de pouvoir d’achat (PPA), il fallait gagner au Québec l’équivalent de 137 000$US avant impôt pour faire partie des 1% les plus riches en 2009. Ce seuil n’est que de 84 200$US en Suède et de 114 500$US au Japon. Lorsqu’on prend plutôt le revenu moyen du groupe du 1% (toujours en PPA), on constate que le Québec se situe en milieu de peloton, avec 263 700$US avant impôt au Québec, contre 239 800$US en France et 268 800$US en Australie. Les provinces des Prairies se comparent à la Suisse, avec un seuil de 197 000$US pour figurer dans le 1% et des revenus moyens pour ce groupe de 464 000$US. Les États-Unis sont dans une classe à part, avec un seuil de 327 600$ et des revenus moyens de 814 900$.
Pour conclure, Nicolas Zorn travaille présentement sur quelques articles, dont l’un en collaboration avec moi, qui devraient permettre d’améliorer notre connaissance de l’évolution des inégalités au Québec et de leurs causes. C’est à suivre.
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