L’auteur invité est Wojtek Kalinowski, de l’Institut Veblen, un think tank transdisciplinaire basé à Paris, focalisé sur transition sociale et écologique. Ancien délégué général de La République des Idées, puis rédacteur en chef de La Vie des Idées, puis journaliste à Alternatives Economiques. Diplômé de l’Université d’Uppsala en Suède, de Paris-Sorbonne et de l’EHESS.
Encore un mot sur « Création monétaire et financement de la transition énergétique», pour reprendre le titre du séminaire dont j’ai parlé dans le poste précédent. Cet intitulé interpelle mais pourrait aussi prêter à malentendu quant à la « création monétaire » elle-même, surtout lorsque quelqu’un a pris l’habitude, comme c’est mon cas, de côtoyer des chercheurs désireux d’explorer « la monnaie dans tous ces états » et des acteurs sociaux voulant, comme on dit, « s’approprier la monnaie ».
Le malentendu fut vite dissipé, car il a été question de la création monétaire classique, celle des banques privées, et du débat sur comment les amener, ainsi que les investisseurs institutionnels, à allouer les fonds (monnaie-crédit et épargne préalable) à la transition écologique. Toujours est-il que l’intitulé invite à se poser des questions qui nous entraîneraient loin du cadre existant : faut-il changer les règles de l’émission ou l’architecture monétaire pour réussir la transition écologique, et si oui, comment ?
En restaurant le circuit du trésor, qui avait joué un rôle clé dans la reconstruction d’après-guerre ? (L’intéressé se reportera utilement à l’excellente thèse de Benjamin Lemoine, et plus largement aux écrits de Bruno Théret, avec qui nous avons formulé une proposition assez iconoclaste de « monnaie fiscale » contre la crise de la zone euro).
En renouant avec la tradition du crédit mutuel sans intermédiation bancaire traditionnelle, s’inspirant par exemple de l’expérience de la monnaie suisse WIR ?
En faisant de la monnaie un bien public, donc en supprimant le droit de seigneuriage pour ne payer plus que les frais d’émission et de gestion ?
Ou encore en autorisant une pluralité d’acteurs émetteurs, voire une pluralité de monnaies (moyens de paiements) au sein même d’un espace monétaire unifié par l’unité de compte ?
Bref, en mettant la création monétaire en débat, on risque de tomber sur un champ foisonnant, où l’on trouve non seulement des idées mais également des expériences pratiques : monnaies locales et régionales, monnaies-temps, systèmes d’échange locaux, jusqu’aux monnaies électroniques qui, à l’instar de Bitcoin, défrayent la chronique de la presse économique.
Ce champ d’innovation commence à intéresser les autorités monétaires. En France, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution vient de terminer des consultations sur le statut des monnaies locales ; j’en profite pour utiliser la carte qui résulte du recensement des monnaies locales en France, puisque’il existe peu de données en la matière.
J’espère pour ma part que cette vague de monnaies dites « sociales » perdurera assez longtemps pour donner quelques résultats tangibles ; il serait désastreux si l’orthodoxie monétaire étouffait ces tentatives avant qu’on puisse explorer leur potentiel.
En même temps, prenons garde contre « l’ivresse monétaire » (je dois l’expression à Jérôme Blanc) qui s’empare ça et là des esprits. Certains prophètes qui sillonnent actuellement le pays (on en voit les traces sur les sites des associations locales) me paraissent en effet suspects ; en faisant dans le simplisme, ils décrédibilisent la mouvance dans son ensemble.
Monnaie et croissance
D’ailleurs, en plongeant dans ces courants souterrains de la pensée monétaire, on rencontre des sensibilités et des projets politiques divers : des nostalgiques du free banking, des tenants du “100% Money”, mais aussi des écolos critiques de la croissance ; il n’est pas un hasard si nombre d’ecological economists de premier rang, comme Herman Daly ou Joshua Farley, s’inscrivent dans la lignée de Frederic Soddy, ce prix Nobel en chimie qui avait découvert la thématique monétaire en réfléchissant sur le rapport entre les activités économiques et la théorie de la thermodynamique. Je vais sans doute y revenir sur ce blog.
Pour le moment, disons tout simplement qu’il y a ici un vrai défi à relever, celui de la compréhension de la monnaie au sein même d’économistes écologiques.
Si ces derniers tendent à se replier sur les propositions du type « 100% réserve » ou telle ou telle forme d’ancrage « réel » de la monnaie, c’est qu’ils sont souvent les seuls à prendre au sérieux la notion des limites physiques de la planète (l’économie environnementale fait plutôt semblant de le faire). Celle-ci les amène inéluctablement à pointer la contradiction entre les capacités de la biosphère et l’expansion apparemment infinie de la monnaie-crédit et des cycles financiers.
Le défi serait de trouver une façon pour préserver la monnaie-dette sans tourner au ridicule la notion de limites planétaires.
Pour lire le texte original, avec les nombreuses références, on va sur le blogue de l’auteur.
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