Les 4 et 5 décembre dernier, j’assistais et je participais au congrès annuel de l’Union des producteurs agricoles (UPA). Je faisais partie d’un trio de conférenciers au petit déjeuner de l’organisation UPA Développement international avec le ministre de l’Agriculture, l’ineffable et sympathique François Gendron, et le président de la campagne de financement de cette organisation, Rémi Trudel. J’étais en bonne compagnie. On avait apprécié à UPA DI l’ouvrage que nous venions de faire, mon collègue Ernesto Molina et moi, sur cette organisation. Un ouvrage d’une centaine de pages fait à notre manière et sur nos propres bases, celle de la Chaire de recherche que je dirige, la CRDC. Le petit déjeuner réunissait à ma grande surprise plus de 500 délégués de l’UPA et de ses alliés habituels et moins habituels. Parmi eux, des coopératives agricoles, la Caisse d’économie solidaire Desjardins de même que des représentants d’organisations paysannes du Sud. Le tout au Centre des congrès de Québec.
2013 aura été l’année du 20e anniversaire d’UPA Développement international et 2014 est, par résolution de l’ONU, l’Année internationale de l’agriculture familiale. La question alimentaire, dans sa dimension planétaire, est plus que jamais à l’ordre du jour dans un contexte de rapports de force où le modèle de l’agrobusiness a été nettement dominant depuis plusieurs décennies. Le syndicalisme agricole, tant au Québec que dans le monde, n’a cependant pas dit son dernier mot. Les coopératives agricoles non plus d’ailleurs.
En 1993, l’Union des producteurs agricoles (UPA) crée UPA Développement international (UPA DI). Cette dernière pratique depuis 20 ans une coopération de paysans à paysans et a accompagné plus de 70 organisations dans 26 pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. Dans une perspective de développement durable et d’agriculture viable, elle soutient des organisations paysannes en valorisant en priorité l’indispensable commercialisation collective des produits agricoles qui leur font trop souvent défaut. L’UPA, grâce au travail d’UPA DI, a signé en 2012 une entente avec la FAO, faisant de l’UPA, un partenaire officiel de l’ONU sur des projets internationaux destinés à combattre la faim par l’intermédiaire d’organisations paysannes fortes. Nous avons donc mené enquête pendant deux ans sur et avec cette organisation. Dans cet ouvrage dont l’intitulé est La solidarité du mouvement des agriculteurs québécois. L’expérience de l’organisation UPA Développement international, nous avons retracé l’itinéraire très peu connu et donc sous-estimé de cette organisation. Et, avec elle, nous en avons tiré les lignes de force d’une action collective renouvelée qui permet de faire face au défi alimentaire qui est celui d’aujourd’hui et des décennies à venir : l’agriculture telle qu’elle est organisée un peu partout dans le monde parviendra-t-elle à nourrir l’humanité dans une planète qui serait encore viable?
Le syndicalisme agricole québécois a une longue, très longue histoire tout comme l’ensemble des agriculteurs dans les pays du Nord. Leurs luttes et leurs organisations ont permis d’illustrer qu’il est possible de nourrir le monde et de faire progresser la démocratie dans nos sociétés en les rendant plus équitables et plus solidaires. Comme tous les autres mouvements, le syndicalisme agricole court le risque d’être banalisé dans son action collective et le risque de rester enfermé dans l’agriculture industriellement intensive. Néanmoins ce syndicalisme, représenté au Québec par l’Union des producteurs agricoles (UPA), joue toujours aujourd’hui un rôle économique et social significatif en fournissant un contrepoids à l’agrobusiness. Et comme toutes les grandes organisations syndicales des pays du Nord, il est réformable, c’est-à-dire susceptible de se renouveler.
Des milliers d’organisations de ce type ont aussi vu le jour dans les pays du Sud. De petits producteurs agricoles, des paysans, se sont organisés, des communautés se sont donné des services collectifs croisant souvent la finance de proximité, des services semenciers, une commercialisation collective de leurs produits ou même, en matière d’infrastructures, l’électrification de leurs villages par l’énergie solaire. Elles ont assez souvent le support d’organisations issues du mouvement des agriculteurs du Nord. L’Union des producteurs agricoles Développement international (UPA DI) est de celles-là. Avec la crise actuelle, le syndicalisme agricole revient plus que jamais à l’avant-scène dans pratiquement tous les pays. «Les paysans sont de retour », annonçait sans hésitation l’économiste et sociologue Sylvia Pérez-Vitoria dans un essai remarqué en 2005.
C’est qu’avec les années 1980, nous avons été engagés malgré nous dans une nouvelle phase historique du capitalisme : celle d’un capitalisme triomphant, caractérisé d’abord par sa dynamique financière et boursière et par une interdépendance économique accrue à l’échelle de toute la planète. Cela a donné une « mondialisation libérale ». La crise est globale, avec une reprise à la hausse des inégalités entre le Nord et le Sud, une crise alimentaire, un retour de la précarité dans le monde du travail et une urgence écologique sans précédent. Mais ce modèle dominant a peu à peu démontré son incapacité à satisfaire les populations, il a aussi été un facteur majeur de dégâts écologiques (inondations, sécheresses, etc.) adossés à la famine et à la remontée d’une économie sauvage et informelle dans nombre de pays du Sud. Ce qui incite de plus en plus de communautés et de mouvements à compter d’abord sur eux-mêmes.
Les regroupements d’agriculteurs et de paysans n’offrent pas de garanties contre toutes les dérives possibles pilotées par les multinationales de l’agroalimentaire. Ils n’en demeurent pas moins incontournables dès lors qu’il s’agit de mettre en œuvre, concrètement, une autre agriculture, une «autre économie » que celle de l’économie capitaliste de marché, parce qu’elle est notamment fondée sur la solidarité à petite échelle (la communauté locale) comme à très grande échelle (au plan international). L’ouvrage d’une centaine de pages issu de deux années d’enquête décrit et analyse ce travail qui s’appuie d’abord sur une identité professionnelle d’agriculteurs au plan international.
Cet ouvrage est le produit d’une collaboration entre l’organisation et les auteurs. Toutefois, cette monographie n’a pas été autorisée. Les propos de cet ouvrage appartiennent aux auteurs. Nous sommes gré à UPA DI d’avoir accepté de ne pas s’enfermer dans la classique histoire officielle commanditée. L’ouvrage reconstitue les composantes les plus déterminantes de l’organisation : origine et itinéraire sociopolitique; mission de l’organisation; activités principales; budget et personnel; fonctionnement démocratique; partenariats de réalisation dans le Sud; résultats au plan économique et social. En amont et en aval, il s’appuie sur une mise en contexte et une mise en perspective, ce qui permet d’ordonner les faits d’une certaine manière, celle des sciences économiques et sociales et non celle de la gestion. Ce faisant cela leur procure un sens.
Les auteurs ne sont ni des agriculteurs, ni des agronomes, ni des dirigeants d’un syndicat agricole, ni des économistes, ni des spécialistes de l’agriculture et de l’alimentation. Mais les auteurs sont des sociologues. La porte d’entrée choisie dans le champ de l’agriculture et de l’agroalimentaire a été celle de la sociologie politique à savoir que l’agriculture et l’alimentation ne sont pas des sujets neutres, mais qu’elles sont toutes les deux traversées par des forces économiques et politiques qu’il nous faut comprendre et dévoiler, puis les mettre en perspective en dégageant des pistes de sortie de crise. L’expérience d’UPA DI et la liaison avec le mouvement des petits producteurs agricoles au plan international que celle-ci permet à l’UPA méritaient le détour. Pour vous mettre en appétit, voici les principales têtes de chapitre.
Chapitre 1 : La coopération internationale des agriculteurs par temps difficiles
Chapitre 2 : UPA DI dans les communautés du Sud : itinéraire sociopolitique sur 20 ans
Chapitre 3 : Des réalisations qui changent le monde
Chapitre 4 : UPA DI, une OCI du mouvement des agriculteurs québécois
Chapitre 5 : Nourrir l’humanité : ce que 20 ans d’expérience a appris à UPA DI
Chapitre 6 : Objectifs du millénaire pour le développement et solidarité internationale : une mise en perspective
L’ouvrage est disponible en format numérique à la page d’accueil de la CRDC et sur demande par courriel à UPA DI auprès de Julie Comeau: jcomeau@upa.qc.ca.
Discussion
Pas de commentaire pour “Le syndicalisme agricole québécois et la solidarité avec les paysans du Sud”