La notion de «développement durable» a reflué après l’échec des États à s’entendre à Copenhague en 2009 sur la question du réchauffement climatique et la culture capitaliste nous a enfermé dans le déni de l’urgence écologique, dans le déni d’une planète surexploitée. On n’a qu’à penser aux tentatives depuis quatre ou cinq ans des lobbies pétroliers et gaziers pour lancer la filière gaz de schiste. Ceci étant, c’est la notion de transition écologique de l’économie qui a pris les devants signalant ainsi la nécessaire transformation profonde de l’économie elle-même. Cette perspective induit cependant que la vigueur et la générosité des initiatives locales des coopératives et autres entreprises collectives ne feront pas disparaître, bien au contraire, l’impératif d’un cadre macro-politique et d’une mobilisation non seulement de l’ÉS mais de tous les mouvements sociaux face à cette urgence écologique.
Agréable surprise ! C’est très précisément dans cette direction que le mouvement coopératif oriente présentement sa réflexion si je m’appuie sur le mémoire du CQCM de l’automne dernier présenté à la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec lequel a fait l’objet d’une consultation auprès des 15 fédérations du Conseil.
Je crois qu’en ÉS, sous l’angle du «développement durable», il faut partir des secteurs stratégiques de l’économie, autrement de ceux qui peuvent changer de façon déterminante les choses en matière de DD. Ici on observe que c’est au sein du mouvement coopératif qu’il y a ce type d’entreprises capables de modifier substantiellement l’économie et que c’est là que çà bouge le plus : 1) dans l’économie du secteur forestier avec le virage «biomasse». Mais aussi peut-être un jour dans le développement de l’agroforesterie. Peut-être aussi dans la mise à contribution de coopératives pour l’aménagement boisé des berges des lacs et rivières ; 2) dans l’économie du secteur agroalimentaire avec le virage «agriculture écologiquement intensive», le retour au transport de marchandises par train plutôt que par camion. Mais aussi peut-être un jour par l’émergence de fermes solaires et éoliennes avec des systèmes locaux de stockage de l’énergie ; dans le secteur de l’habitat avec le virage de la «baisse de la consommation d’énergie». Et peut-être demain avec des bâtiments auto-suffisants en termes d’énergie ; 5) dans le déploiement des coopératives d’énergies renouvelables de concert avec des municipalités (bioénergie de circuits courts à partir des résidus domestiques; l’éolien). Mais peut-être un jour aussi dans le solaire à grande échelle.
Le CQCM aborde ces cinq points. Une ombre au tableau cependant : le gros morceau du transport collectif avec le projet d’un monorail électrique entre les principales régions du Québec (Montréal-Québec et les principales villes régionales) n’est pas de la partie. Et pourtant, sans être le premier de cordée dans ce projet, le CQCM pourrait être de la partie puisqu’il y a déjà une coopérative qui s’est constituée autour de ce projet. Il n’en demeure pas moins que le mémoire du CQCM est révélateur d’une réflexion qui va au fond de la question et qui ne se contente pas de faire de la sensibilisation au DD. En même temps, il est en phase avec le document d’orientation de l’ACI de 2012 sur ce que le mouvement coopératif international entend faire d’ici 2020, c’est-à-dire exercer dans l’économie de l’avenir un leadership de premier ordre en matière de DD. Voir à ce sujet mon billet. Quelles sont ses principales lignes de force de ce mémoire ?
En premier lieu, le CQCM mise sur deux filières énergétiques portées par deux réseaux coopératifs qui soutiennent le développement des expertises dans un mouvement d’aller-retour avec leurs membres présents dans les régions. La biomasse agricole fait l’objet d’importants investissements par La Coop fédérée qui regroupe une centaine de coopératives agricoles au Québec. D’autre part la Fédération québécoise des coopératives forestières s’intéresse à la biomasse forestière destinée à la production de chaleur, en collaboration avec des partenaires.
La filière énergétique du secteur forestier
Le projet des coopératives forestières, Vision biomasse 2025, une vision pour le Québec, est ambitieux : d’abord 38 000 emplois liés à la construction de chaufferies institutionnelles (hôpitaux, écoles…) et 11 000 découlant des opérations sont anticipés dans cette filière. Ensuite la fédération qui les réunit, la FQCF, pense diversification des produits allant de l’approvisionnement en plaquette forestière ou granule à la vente d’énergie à partir de chaufferies appartenant aux coopératives. Les avantages sont multiples : la biomasse forestière remplace les carburants fossiles, réduit les GES, améliore la balance commerciale et réduit la dépendance au pétrole. Partenariat engagé dans cette «aventure» avec la dite Fédération: Fondaction CSN, Solidarité rurale du Québec, la Coop fédérée, Nature Québec, l’UPA et la FQMQ. Absence remarquée : Capital coopératif et régional Desjardins. Où perche-t-il ? Mystère !
La filière énergétique en agriculture
Le plan de match des coopératives agricoles n’est pas moins ambitieux. En 2012, La Coop fédérée concrétisait une première incursion dans les énergies renouvelables. La coopérative signait alors un partenariat avec l’entreprise la plus avancée en matière de biomasse au Canada, Prairie Bio-Energy Inc., située au Manitoba. Ce partenariat lui permettra de devenir un leader canadien dans la valorisation de la biomasse agricole. S’ajoutait la même année, un investissement de 1,2 milliard de dollars, en partenariat avec la coopérative indienne Indian Farmers Fertiliser Coopérative (IFFCO) et en collaboration avec Investissement Québec, pour l’établissement d’une usine de production d’urée (engrais azoté) à Bécancour d’affirmer le mémoire rédigé par la directrice Recherche et développement du CQCM, Marie-Joëlle Brassard.
La filière de l’éolien
Ce n’est pas tout. Le CQCM mise sur la filière énergétique de l’éolien. D’une part il y a des coopératives qui sont en voie de se réunir en «consortium» parce qu’elles veulent valoriser les matières résiduelles, autrement enfouies et dispersées dans l’environnement afin d’obtenir des biocarburants à petite échelle pour leurs communautés. Mais il y a aussi de façon plus importante encore celles qui sont dans l’éolien depuis un bon moment mais qui subissent l’outrage du gouvernement antérieur qui a privilégié tout azimut les multinationales dans cette filière. Seule Val-Éo au Saguenay a pu percer le mur du son jusqu’ici.
La bataille sera dure
La bataille est et sera dure, très dure : concurrence avec de grandes entreprises du secteur privé dans l’éolien; appréhension des gestionnaires de bâtiments publics face à la biomasse forestière, filière trop nouvelle à leurs yeux; absence de structure de financement spécialisée permettant l’accès à du capital patient pour cette filière (fonds de développent en énergies renouvelables), etc.
Plusieurs régions, dit le mémoire, vivent durement les impacts de la mondialisation : crise forestière, délocalisation d’entreprises vers le sud, concurrence internationale dans le secteur agricole, mono-industrie, etc. Face à cela, le CQCM préconise une stratégie mixte, une économie de proximité combinant l’effort conjoint des coopératives et des municipalités adossée à une politique publique qui ne confie pas le développement des territoires aux multinationales. Pas bête ! En tout cas, ce sont des demandes susceptibles d’être reprises dans une plate-forme politique du mouvement pour interpeller les partis politiques aux prochaines élections si le CQCM ose s’en donner une et intervenir dans l’espace public à ce propos. La nouvelle présidente du CQCM, Mme Leroux, disait récemment à son retour de l’assemblée générale de l’ACI en Afrique du Sud que les coopératives doivent faire valoir leurs particularités auprès des organismes de réglementation et des décideurs politiques. Un pays qui fournit un bel exemple à suivre, l’Allemagne : dans la production renouvelable, le développement a surtout été le fait d’un puissant mouvement citoyen. Le pays compte désormais 650 coopératives d’énergies renouvelables, trois fois plus qu’en 2010. Les coopératives, municipalités et agriculteurs détiennent 51% des installations renouvelables électriques nous dit la revue Alternatives économiques dans son numéro de juillet-août 2013 (p.73).
Pour en savoir plus sur l’état des lieux des différentes familles de l’économie sociale en 2014 après la loi 27, on va sur mon blogue.
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