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Le samedi 23 avril 2022

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Travail atypique : quelles évolutions dans une Europe en crise ?

L’auteure invitée est Carole Lang, collaboratrice à Metis, correspondances européennes du travail.

La crise économique qui sévit depuis 2008 a justifié et justifie toujours et encore l’adoption de nombreuses réformes en droit du travail dans les Etats membres de l’Union européenne. Ainsi, l’utilisation de contrats de travail atypiques a été présentée par l’UE comme l’un des moyens de résoudre la crise économique. Leur caractère flexible face aux contrats de travail dits « traditionnels » a été mis en avant, les législations existantes ont été adaptées et assouplies afin de faciliter le recours à de telles formes de contrats. Cependant, après presque six années de crise économique, l’Institut Syndical Européen (European Trade Union Institute-ETUI) dresse le bilan des effets de ces réformes qui commencent à se faire lourdement ressentir.

Vers des CDD et contrats à temps partiel plus flexibles

Début 2012, l’ETUI a publié un Working Paper intitulé « La crise et les réformes nationales du droit du travail : bilan ». Cette étude, qui a permis de cartographier les réformes du droit du travail dans différents Etats membres, révèle que l’adoption de certaines de ces réformes, concernant entre autres le travail atypique, s’est faite au détriment du respect des droits sociaux fondamentaux et des normes d’harmonisation sociales dictées par l’UE.

A l’automne 2013, l’ETUI a publié un nouveau Working Paper qui vient étayer les conclusions des précédentes recherches en matière de travail atypique. Intitulé « Atypical forms of employment in times of crisis », ce document procède à des analyses pays par pays qui décrivent les principales tendances de l’emploi atypique, notamment le temps partiel et les CDD, et montrent comment la crise a été instrumentalisée pour faire passer des réformes en la matière.

La Directive 1997/81/CE sur le travail à temps partiel a été introduite dans le but de fournir un cadre légal pour lutter contre la discrimination des travailleurs à temps partiel et pour améliorer leurs conditions de travail, tout en ayant pour objectif de développer, sur une base volontaire, cette forme d’emploi.

Etroitement lié à la question du temps de travail, le travail à temps partiel a fréquemment été utilisé depuis le début de la crise lorsqu’il s’est agi de mettre en œuvre des programmes de chômage partiel. Afin d’en faciliter le recours, certaines mesures ont été mises en œuvre dans le but d’assouplir les règles qui lui sont relatives.

L’Espagne a agi en deux temps. Tout d’abord, en février 2012, une règle en vigueur depuis près de 15 ans interdisant les heures supplémentaires pour les travailleurs à temps partiel a été abolie. Puis en mars 2013, des allègements de cotisations sociales ont été mis en place afin de promouvoir le recours au travail à temps partiel pour l’embauche des jeunes.

S’agissant du travail à durée déterminée, la Directive 1999/70/CE prévoit, afin d’éviter les recours abusifs aux CDD, que les Etats membres doivent mettre en œuvre certaines mesures, comme la définition de raisons objectives justifiant le renouvellement des CDD, l’introduction d’une durée maximale de CDD successifs ou encore la limitation du nombre de renouvellements de tels contrats. Or, si chaque Etat a bien adopté l’une – voire plusieurs – de ces mesures, l’analyse des réformes adoptées depuis le début de la crise en matière de CDD révèle que celles-ci contribuent à assouplir ces mesures « anti-abus ».

Ainsi, l’Italie, en adoptant la Loi n°92 du 28 juin 2012, a choisi d’élargir la liste des raisons objectives. L’exigence d’une raison objective pour la conclusion d’un premier CDD a été supprimée, sous la condition toutefois que sa durée ne dépasse pas 12 mois. De plus, il est maintenant possible de fixer de nouvelles raisons objectives par voie d’accord collectif, en plus de celles déjà prévues par la loi.

Concernant l’allongement de la durée maximale des CDD, plusieurs Etats membres ont adopté depuis le début de la crise certaines réformes allant dans ce sens. On songe notamment à la République Tchèque (de 2 à 3 ans à compter du 1er janvier 2012) ou encore à la Grèce (également de 2 à 3 ans suite à l’application d’un plan d’austérité en 2011).

Quelles conséquences au regard des directives européennes ?

Adoptées en 1997 et 1999, les directives européennes sur le temps partiel et le travail à durée déterminée avaient pour objectif d’intégrer les travailleurs atypiques au marché du travail et de les empêcher de tomber dans la précarité en leur garantissant une protection équivalente à celle des travailleurs « permanents ».

Or l’évolution des réformes en matière de CDD et de temps partiel porte à s’interroger sur le respect de cet objectif.

Se basant sur des données d’Eurostat et d’Eurofound, l’ETUI démontre que le travail à temps partiel est bien souvent subi et ciblé sur des catégories de population déjà considérées comme fragiles (femmes, jeunes, seniors…), contribuant ainsi à leur marginalisation. Par ailleurs, flexibiliser les règles relatives au travail à durée déterminée pour en faciliter le recours empêche que ces contrats soient considérés comme tremplin vers des emplois à durée indéterminée.

Le constat présenté par cette étude tend à révéler que les évolutions actuelles du travail atypique vers une plus grande flexibilité vont à l’encontre de l’objectif des directives européennes et participent au renforcement de la segmentation du marché du travail. Face à de telles conséquences, on pourrait légitimement s’attendre à une réaction de la part de l’UE.

Une position plus qu’ambiguë de l’UE

Or, bien que militant contre la segmentation du marché du travail et cherchant, à travers les deux directives précédemment évoquées, à garantir les deux volets flexibilité et sécurité de la flexicurité, l’UE adopte une attitude pour le moins contradictoire. Elle ne semble pas prompte à réagir aux effets néfastes des réformes adoptées depuis le début de la crise en matière de travail atypique, mais paraît plutôt y être favorable.

Alors que certaines réformes apparaissent comme contraires à la substance des directives, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) ne vient pas pour autant clarifier la situation. Au contraire, la CJUE affiche ces dernières années une tendance à adopter une jurisprudence plutôt souple, elle encourage et défend le recours au travail atypique, au point que certains auteurs ont pu s’interroger sur ce qu’il reste encore de la protection des travailleurs atypiques. Par un arrêt datant de janvier 2012, la CJUE est venue amoindrir la protection garantie par la clause de la directive sur les CDD qui prévoit des mesures contre l’usage excessif de ces contrats. De façon surprenante, La Cour a jugé que le fait d’enchaîner pour le même employeur 13 CDD sur une période de onze ans ne caractérisait pas un usage abusif, mais pouvait se justifier par le besoin de l’employeur de recourir à ce type de contrats successifs pour pourvoir à des remplacements, même si de prime abord, l’on aurait pu penser que cette succession de contrats démontrait un besoin permanent de personnel.

Alors que du point de vue national, les réformes viennent déjà assouplir les conditions d’adoption et de renouvellement des CDD, l’UE elle-même contribue à encourager cette tendance, sans prendre en considération les conséquences de ces mesures sur la situation des travailleurs. Par ailleurs, ces évolutions du travail atypique remettent en cause certaines notions reconnues en droit européen et international, comme celle de travail décent, et compromettent le modèle social européen. Dans sa recherche de solutions vers une sortie de crise, il semblerait que l’UE ait oublié sur le bord du chemin certains principes fondamentaux, pourtant énoncés dans les traités.

L’ETUI rappelle que l’UE s’est engagée à oeuvrer « pour le développement durable de l’Europe fondé sur (…) une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement ». Les évolutions récentes observées en matière de travail atypique indiquent qu’entre flexibilité et sécurité, la balance est déséquilibrée et l’UE ne semble pas décidée pour le moment à venir faire contrepoids. A force de flexibilisation, c’est la précarisation qui prend le dessus et les travailleurs atypiques se retrouvent alors les premiers dans la ligne de mire.

Pour lire le texte original, on va sur le site de Metis, correspondances européennes du travail.

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