CESD-Oikos-989x90

Le samedi 23 avril 2022

Recherche:

La soutenabilité budgétaire des finances publiques

L’auteur invité est Darwin, du blogue Jeanne Émard.

Vous êtes probablement nombreux à suivre également les billets de Darwin. Malgré tout, j’ai quand même décidé de relayer ici son billet paru la semaine dernière concernant l’étude de Godbout et al.

Dans un billet que j’ai publié il y a déjà deux ans, je critiquais un livre signé en 2007 par Luc Godbout, Pierre Fortin, Matthieu Arseneau et Suzie St-Cerny sur les conséquences du vieillissement de la population sur le marché du travail et la situation budgétaire du Québec, leur reprochant de ne pas suffisamment tenir compte que, même en matière démographique, le changement des hypothèses de base (ou le scénario) peut avoir des impacts importants, surtout pour des prévisions de long terme. Les mêmes auteurs, avec en plus Ngoc Ha Dao, ont publié la semaine dernière une étude semblable avec le scénario le plus récent de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), sous le titre La soutenabilité budgétaire des finances publiques du gouvernement du Québec.

Les médias ont donné une certaine importance à cette étude. Mais, ils ont surtout insisté sur le résultat de leur scénario de base, soit que, même si le Québec atteint l’équilibre budgétaire en 2015, le déficit atteindrait 2,7 % du PIB en 2030 et 5,1 % en 2050. Pourtant, je dois souligner que les auteurs sont cette fois beaucoup plus humbles. Plutôt que de prendre les prévisions de l’ISQ et leurs calculs comme des données presque inéluctables, ils ont débuté la conclusion de leur étude en précisant que «Le présent cahier de recherche ne doit pas être interprété comme une fatalité voulant que l’apocalypse attende les finances publiques du Québec dans les prochaines décennies. Dans 20 ans, il y a fort à parier que notre projection principale ne se sera pas matérialisée».

Manques de rigueur

Les deux premiers manques de rigueur que j’ai notés s’observent à la page numérotée 4 (la neuvième) du document, au tableau 1, que je reproduis en grande partie ci-après en corrigeant les omissions des auteurs et en ajoutant un petit détail que je vais expliquer plus loin…

- le premier manque

Le premier élément qui m’a frappé dans le tableau 1 de l’étude est que les auteurs ont mis les données réelles en 2013 plutôt que les données des prévisions de l’ISQ. En effet, pour arriver à une population de 9,16 millions en 2050, l’ISQ supposait qu’il y aurait 8,067 millions de personnes en 2013 (voir la colonne «2013 prévisions» que j’ai ajoutée), alors qu’il y en avait en fait 8,155 millions, soit 88 000 de plus. En fait, la population a augmenté de 6,1 % entre 2013 et 2007 (l’année de départ utilisée par l’ISQ) alors que l’ISQ ne prévoyait qu’une hausse de 5,0 %. On remarquera que 92 % de cette hausse (81 000 personnes) s’est concentrée dans la tranche d’âge la plus active sur le marché du travail, les personnes âgées de 15 à 64 ans. J’avais d’ailleurs élaboré sur cette différence dans ce billet.

C’est correct de mettre les données réelles pour 2013. Mais, considérant que la croissance de la population entre 2007 et 2013 fut beaucoup plus forte que prévu, les auteurs auraient dû ajuster la prévision de 2050! Par exemple, dans leur tableau, ils parlent d’une diminution de la population âgée de 15 à 64 ans de 4,3 % entre 2013 et 2050, alors que l’ISQ a prévu une baisse de seulement 2,9 %. Or, comme cette population est celle qui a le plus augmenté dans la réalité par rapport aux prévisions de l’ISQ entre 2007 et 2013 (elle a augmenté de 3,4 % au lieu de 2,1 %), comment les auteurs peuvent-ils prévoir que c’est justement la population qui augmenterait moins que ce qu’avait prévu l’ISQ à l’avenir en maintenant les mêmes hypothèses? Il y aurait en fait plus de personnes âgées (ces 81 000 personnes vieilliront!), mais ils feront plus d’enfants, qui eux-même vieilliront et… Bref, ça ne marche simplement pas.

Je fais un plat avec cette erreur, mais je sais qu’elle a peu d’impact sur les résultats globaux des auteurs. En effet, ils montrent que, même avec le scénario le plus positif de l’ISQ, le déficit serait à peine moins négatif : -2,3 % au lieu de -2,7 % en 2030 et -4.3 % au lieu de -5,1 % en 2050. Comme le manque de rigueur (erreur?) que j’ai trouvé a une ampleur moins importante, le changement qu’il entraînerait serait encore plus minime. Cela dit, ce genre de petite erreur montre un manque de rigueur difficilement pardonnable… surtout que ce n’est pas le seul!

- le deuxième…

Dans ce tableau, on peut voir à l’avant-dernière ligne l’évolution du ratio entre le nombre de personnes âgées de 15 à 64 et le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus. Ce ratio passerait de 9,4 en 1971 à seulement 2,1 en 2050. Cette chute prodigieuse a d’ailleurs retenu fortement l’attention des journalistes et commentateurs. À ce sujet, Alain Dubuc conclut d’ailleurs que «Cela a deux types d’impact sur les finances publiques : une pression sur les dépenses, et une réduction des revenus en raison d’une croissance moindre». Mais, est-ce aussi simple?

En fait, l’indicateur qu’utilise Statistique Canada pour évaluer ce genre de pression est plutôt le rapport de dépendance. On calcule ce rapport en additionnant le nombre de personnes âgées de moins de 20 ans et celles âgées de 65 ans et plus (les «personnes à charge») en les divisant par le nombre de personnes âgées de 20 à 64 ans (les «travailleurs»). «Il est exprimé sous forme de nombre de «personnes à charge» pour 100 «travailleurs»». J’ai justement fait ce calcul et ai mis les résultats à la dernière ligne du tableau. On peut voir que ce rapport de dépendance a diminué de plus de 30 % entre 1971 et 2013, passant de 86,9 «personnes à charge» pour 100 «travailleurs» à 60,5, et qu’il atteindrait 88,5 en 2050, soit moins de 2 % de plus qu’en 1971! En plus, je rappelle que le premier manque de rigueur que j’ai souligné ferait diminuer quelque peu le rapport de dépendance de 2050.

Je ne sais pas si cette façon de présenter les données en ne retenant que celles qui appuient le plus leurs intentions et en omettant celles qui nuanceraient leur démonstration est volontaire. Je ne ferai pas de procès d’intention. Mais, il est difficile de comprendre comment cinq économistes de cette envergure puissent omettre l’indicateur le plus pertinent quand on analyse les rapports de dépendance. Comment peuvent-ils utiliser les données de 1971 pour présenter le ratio entre le nombre de personnes âgées de 15 à 64 sur le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus sans savoir que c’est carrément l’année où il y avait la proportion la plus élevée (39,7 %) de jeunes de moins de 20 ans dans les 43 ans pour lesquelles des données sont présentées dans le fichier qu’ils ont utilisé (tableau cansim 051-0001) et que c’est parmi les années où les babyboomers étaient le plus concentrés dans ce groupe d’âge?

Cela dit, il est tout à fait pertinent de présenter les données sur la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus. Deux indicateurs permettent d’avoir une perspective plus complète de la situation qu’un seul. Il est aussi probable que ces personnes coûtent plus cher au trésor public que les jeunes (quoique j’aimerais bien voir les données à cet effet…). Les personnes âgées coûtent plus cher en services de santé, mais les jeunes davantage en services d’éducation, en crédits d’impôts, en mesure de soutien aux enfants et en frais de garde, dépenses qui me semblent tout de même proportionnellement moins élevées par personne que celles pour les personnes âgées. Par contre, les personnes âgées ont des revenus plus élevés que les enfants, que ces revenus proviennent d’un emploi, de placements, de rentes ou de programmes fédéraux comme la sécurité de la vieillesse et le supplément de revenu garanti. Au total, il est difficile de conclure quelles «personnes à charge» entre les jeunes et les personnes âgées ont le plus d’impact négatif sur les finances publiques. Mais, peu importe, il est clair qu’il fallait aussi présenter les données sur le rapport de dépendance.

Par ailleurs, il ne faut pas minimiser la forte hausse du rapport de dépendance entre 2013 et 2050. On pourrait toutefois s’inspirer des moyens de financement que l’État utilisait en 1971 pour faire face à ce rapport de dépendance élevé. On peut par exemple voir à la page numérotée 3 de ce document que le taux marginal d’imposition maximal des particuliers étaient bien plus élevé que maintenant, ayant même atteint plus de 60 % en 1977. Le taux d’imposition des entreprises étaient aussi nettement plus élevé (voir par exemple les graphiques de la page numérotée 5 de cet autre document).

- le troisième

Le troisième manque de rigueur que j’ai noté (en fait une erreur) est probablement celui qui a le plus d’impact sur les calculs des auteurs, même s’il ne renverserait pas les conclusions de l’étude. Il les atténuerait sûrement, par contre…

Au haut de la page numérotée 22 de l’étude, les auteurs établissent leurs calculs en supposant un taux d’emploi nul aux personnes âgées de 75 ans et plus. Ils expliquent cette hypothèse par le fait que :
• les données disponibles regroupent les personnes âgées 70 ans et plus et ne permettent pas de savoir quel est le taux d’emploi des personnes âgées de 70 à 74 ans, 75 à 79 ans, etc.;
• la population âgée de 70 à 74 ans, celle qui a sûrement le taux d’emploi le plus élevé chez les 70 ans et plus, aura une proportion de plus en plus faible à l’avenir dans cette population et devrait donc moins influencer le taux d’emploi moyen des 70 ans et plus.

La remarque est pertinente. De fait, les données de 2013 indiquent que 35,5 % des personnes âgées de plus de 70 ans avaient entre 70 et 74 ans, tandis que les prévisions de l’ISQ montrent que cette proportion passerait à 33,5 % en 2030 puis à 26,1 % en 2050. Par contre, le moyen pour contrer cette réalité sous-estime grandement le taux d’emploi à appliquer à la population âgée de 70 à 74 ans.

En effet, les auteurs indiquent que «Le taux d’emploi des 70 à 74 ans augmentera à 8,1 % en 2025 et restera stable ensuite». Augmentera? En utilisant les données de 2013 du tableau cansim 282-0002, si on regroupe tous les emplois des personnes âgées de 70 ans et plus en 2013 (39 000) et qu’on les divise par la population âgée de 70 à 74 ans, on obtient un taux d’emploi de 12,1 %, soit environ 50 % de plus que le taux utilisé par les auteurs (8,1 %) en affirmant qu’il augmentera jusqu’en 2025. Peut-être atteindra-t-il 15 %, près du double du taux utilisé par les auteurs? Si c’était le cas, le nombre d’emplois serait plus élevé de 38 350 en 2030 et de 36 200 en 2050. Notons ici que le taux d’emploi de toutes les personnes âgées de 70 ans et plus a plus que doublé entre la moyenne de 2000 à 2002 (2,0 %) et celle de 2011 à 2013 (4,7 %). Et, si, comme on nous le répète tout le temps, nous serons forcés de travailler encore plus longtemps à l’avenir, qui sait si ce taux n’augmentera pas encore de façon très significative. Ce taux était d’ailleurs de 6,4 % au Canada en 2013 et dépassait les 10 % en Alberta et en Saskatchewan. Je ne souhaite pas nécessairement qu’il augmente autant au Québec, mais ce serait nier la réalité que de ne pas constater que la tendance à la hausse est très forte. Il faut donc en tenir compte dans les prévisions.

En plus, en éliminant complètement les 75 ans et plus, qui seront de plus en plus nombreux à l’avenir, la méthode utilisée par les auteurs risque de sous-estimer encore plus l’emploi en 2030 et surtout en 2050. Cela dit, la correction de cette erreur, sans être négligeable, ne changerait pas fondamentalement les conclusions des auteurs, ne faisant augmenter l’emploi total que d’environ 1,0 %.

Et alors…

Je le répète, la correction des manques de rigueur que j’ai notés ici ne modifierait pas de beaucoup les conclusions de cette étude, d’autant plus que le deuxième ne change rien du tout, ne faisant que nuancer la perception qui se dégage de cette étude (ce qui n’est pas rien!). Oui, la population vieillit, oui, cela aura un impact majeur sur les finances publiques. Je déplore toutefois ces manques de rigueur, d’autant plus qu’ils vont tous dans le même sens, celui de rendre les résultats pires qu’ils ne devraient l’être, tant du côté des données que des perceptions.

C’est dommage, car cette étude, avec les améliorations qu’elle contient par rapport à la précédente de 2007, fournit des pistes intéressantes pour faire face au défi du vieillissement. En effet, les auteurs ont cette fois inclus à leur étude d’autres hypothèses que celle de base. Une d’entre elles (malheureusement peu probable) fait d’ailleurs pratiquement disparaître le déficit de 2050.

En plus, le détail des calculs des auteurs nous montre les facteurs qui sont les plus susceptibles de faire augmenter le déficit, ce qui est fort utile pour préparer des politiques qui permettront d’éviter que leur scénario se réalise. En fait, un facteur se distingue de tous les autres par la force de son impact, les dépenses de santé. Or, j’ai justement abordé cette question il y a moins de deux mois, montrant que le niveau de hausse des dépenses de santé observé au cours des dernières années ne se reproduira pas nécessairement à l’avenir. C’est sûr que si on continue à accorder des hausses de rémunérations vertigineuses à nos médecins, les dépenses de santé vont continuer à augmenter plus rapidement que le PIB et que les recettes de l’État. C’est justement une des choses qu’il faudra éviter de faire à l’avenir.

À la page numérotée 30, les auteurs montrent qu’une des raisons les plus importantes de l’augmentation des dépenses de santé est la hausse des dépenses de médicaments. Or, en implantant Pharma-Québec, proposé par QS (et aussi ON, et même appuyé par le ministre Hébert au cours de la dernière campagne électorale, voir à 31 minutes 55…), on pourrait faire diminuer drôlement ces dépenses sans impact négatif pour la population. Si on ajoute à cela le retour des niveaux d’imposition des années 1970 pour les particuliers et les entreprises, et quelques autres mesures du genre (baisse du plafond des RÉER et élimination d’autres crédits profitant essentiellement aux plus riches, lutte à l’évitement fiscal, baisse des subventions aux entreprises, etc.) on devrait passer au travers et même peut-être pouvoir éliminer les droits de scolarité…

Pour lire le texte original, avec les nombreux hyperliens, on va sur le site de Jeanne Émard.

Discussion

2 commentaires pour “La soutenabilité budgétaire des finances publiques”

  1. Merci pour les bon mots!

    Dans ce billet, j’ai écrit entre autres «en éliminant complètement les 75 ans et plus, qui seront de plus en plus nombreux à l’avenir, la méthode utilisée par les auteurs risque de sous-estimer encore plus l’emploi en 2030 et surtout en 2050».

    J’ai depuis vérifié dans les «Statistiques fiscales des particuliers du Québec de 2010» et ai constaté que 11 % des personnes âgées de 75 ans et plus avaient eu des revenus d’emploi en 2010. Certes, ces revenus étaient en moyenne faibles, soit de 5 400 $, mais ces revenus totaux d’en représentaient pas moins 57 % des revenus des personnes âgées de 70 à 74 ans. Comme cette population croîtra, le fait de ne pas considérer leur travail ne pourra que gagner en importance avec le temps.

    La sous-estimation découlant du retrait des emplois occupés par les personnes âgées de 75 ans et plus dans cette étude est donc encore plus importante que je ne le pensais en rédigeant ce billet.

    Écrit par Darwin | février 4, 2014, 9 h 15 min
  2. Cet aspect est tout à fait fondamental pour bien évaluer les problématiques auxquelles nous ferons face dans les années à venir. Ne pas l’avoir intégré dans l’étude pour en mesurer les impacts m’apparaît assez particulier!

    Écrit par Gilles Bourque | février 4, 2014, 9 h 35 min

Commentaire

Inscrivez votre courriel ci-dessous pour recevoir le bulletin hebdomadaire:

Agenda Public

Un code est requis pour ajouter des evenements a l'agenda.
Appuyez sur "Obtenir un code" ci-dessous pour s'inscrire.

Si vous avez un code, inserez votre code ci-dessous:

Votre compte étant nouveau, s'il vous plait enregistrer vos informations:











Informations sur l'evenement a ajouter: