Les trois familles du «tiers secteur» continuent de se mouvoir avec leur propre identité tout en convergeant parfois sur certains dossiers. Mais si on a beaucoup parlé de la loi-cadre en économie sociale qui engageait directement deux des trois protagonistes (coopératives et entreprises associatives), l’intervention dans l’espace public du «communautaire» est restée quelque peu sous le boisseau. Pourtant il s’y passe passablement de choses.
La vitalité du «communautaire»
En octobre dernier, le mouvement communautaire du secteur de la santé et des services sociaux tout particulièrement donnait le ton avec une manifestation de 5 000 personnes devant l’Assemblée nationale suite à une campagne. Suite à cette dernière, le gouvernement du Parti Québécois annonçait le 31 du même mois un ajout de 120 millions de dollars sur trois ans au programme de soutien aux organismes communautaires du MSSS (programme qui dessert plus de 3000 organisations). Pas si mal comme mobilisation par les temps qui courent. Ce gain résulte de l’imposante mobilisation de la campagne Je tiens à ma communauté – Je soutiens le communautaire, menée depuis maintenant un an d’affirmer les deux réseaux qui les représentent politiquement. Cette campagne est une initiative conjointe de la Coalition des tables régionales d’organismes communautaires et de la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles, lesquels regroupement respectivement 14 tables régionales et 39 regroupements provinciaux. Ce sont, soit dit en passant les mêmes organisations qui en mai dernier, en commission parlementaire sur la loi 27 en économie sociale affirmait, noir sur blanc, dans leur mémoire : «Nous ne sommes pas des entreprises d’économie sociale».
La sortie de la confusion
En janvier 2012, il y a exactement deux ans, j’écrivais un billet sur l’action communautaire autonome, les coopératives et l’économie sociale. Le succès de ce billet a été immédiat et en deux ans plus de 5000 visites ont été réalisées sur ce seul billet classé le premier de mes 85 articles et plus de 4150 visites sur le précédent portant sur l’avenir du mouvement communautaire. La thèse défendue : ce sont depuis près de 15 ans, dans la foulée de la politique d’action communautaire du gouvernement (2001), des dynamiques distinctes. Le nombre de visites est une chose. Mais les échos reçus (le débat sur le site du blogue et les courriels reçus) ont surtout révélé une sortie de la confusion. Ce fut surtout pour nombre de militants et de dirigeants communautaires et coopératifs un soulagement : enfin on clarifiait les notions de «coopérative», d’«organisme communautaire» et d’«entreprise associative» utilisées régulièrement et de façon indifférenciée dans la décennie précédente comme faisant partie du grand tout de l’économie sociale, version orchestrée par le Chantier de l’économie sociale et légitimée par un certain nombre de chercheurs.
Où en sommes-nous deux ans plus tard ? Si une loi-cadre en économie sociale a été passée en octobre dernier dont j’ai tracé le bilan dans un billet du blogue de la CRDC en janvier dernier, du côté du «communautaire», on a vu poindre une consultation du gouvernement en vue du renouvellement de la politique publique de l’action communautaire, datée de 2001 faut-il le rappeler. Simultanément le mouvement prépare des États généraux pour 2015. Il y a des virages en perspective. Un nouvel éclairage s’impose.
L’action communautaire autonome à un tournant
L’action communautaire autonome est à un tournant. Elle serait peut-être même en train de changer de paradigme si on se base sur la recherche récente de mon collègue Deslauriers dans son récent livre. Comment approcher aujourd’hui cette question? J’ai trois portes d’entrée analytiques : 1) la première, c’est l’importance qu’on accorde à la notion de «mobilisation citoyenne» telle que théorisée, dans la littérature scientifique, par l’approche de l’organisation communautaire ; la seconde relève de l’économie politique et de la place que l’État attache au développement des territoires et à la redistribution de la richesse ; la troisième, plus récente, insère l’approche du «développement durable» ou plus largement ouvre celle de l’écologie politique.
Mobilisation citoyenne
La démocratie n’est pas que représentative et délibérative, elle est aussi associative. Elle est faite de milliers d’associations de toutes sortes ancrées sur les territoires dans des communautés locales : des coopératives, des syndicats de travailleurs, des organisations communautaires et de développement local, des associations de solidarité internationale, des groupes de femmes, des organisations d’agriculteurs, des organisations d’écologistes, etc. C’est l’approche de l’organisation communautaire (Bourque et alii, 2007). Au Québec, au cours de l’histoire de près de 50 ans du mouvement communautaire, nous avons d’abord eu des Opérations dignité qui traduisaient la protestation des communautés rurales pendant que les comités de citoyens traduisaient celles des quartiers urbains. Ce qu’illustre bien le récent livre d’un de ses pionniers, Michel Blondin. Puis nous avons eu un premier service public de proximité, celui des CLSC, analysé sous l’angle de l’organisation communautaire par Favreau et Hurtubise. En outre, depuis 20 ou 30 ans, des dispositifs associatifs et coopératifs (CDC, CDÉC, CDR) ou publics (CLD) de développement local ont émergé, traduisant la nécessité de construire dès maintenant des solutions de rechange croisant l’économique avec le social au sein des communautés (Comeau et alii 2001). Sans compter la constance des travaux de la chaire de recherche de Denis Bourque à l’UQO, du groupe de recherche de Deena White à l’Université de Montréal, projets et de la chaire de recherche que je dirige, la CRDC. Tous ces travaux et quelques autres démontrent que la démocratie et le développement ne relèvent pas uniquement d’un État central et du marché, mais également de dynamiques territoriales de mobilisation citoyenne.
L’économie politique, l’État et le développement des territoires
La seconde approche relève de l’économie politique. Elle est celle du rapport impôt/citoyenneté qui est le fondement économique et politique premier de la solidarité dans nos sociétés, celle que nous procure l’intervention de l’État notamment par une fiscalité liée à un financement librement consenti de la part des citoyens d’un même territoire, par un impôt qui est le prix à payer pour avoir des services collectifs. La société québécoise s’est ainsi donnée, plus qu’ailleurs en Amérique du Nord, des services collectifs dont un grand nombre sont publics et d’autres confiés à des associations citoyennes qui reçoivent une mission de service d’intérêt général. Plusieurs recherches ont démontré que l’impôt à la base de ces services collectifs est une expression forte de cette citoyenneté parce qu’il est le point de jonction de la création de richesse, de sa redistribution et de la démocratisation de la société. C’est l’approche de l’économie politique bien campée dans nombre de travaux dont ceux des chercheurs Wilkinson et Pickett (2013). L’action communautaire autonome s’inscrit dans ce rapport à l’État qui favorise une intervention publique et associative tout à la fois répondant à de nouveaux besoins sociaux nourris par une fiscalité de redistribution de la richesse. Ce qui fait dire à Deslauriers par exemple que l’action communautaire autonome depuis la fin des années 1960 a été «l’amorce qui a influencé durablement le système des services sociaux québécois». Simultanément le territoire est redevenu le point d’appui d’un changement de perspective en matière de développement et de démocratie comme on le retrouve dans les travaux issus des sciences régionales, notamment autour des notions de développement durable et solidaire des communautés (ARUC-DTC et ARUC-ISDC) et d’«économie de proximité» comme cela est bien mis en évidence dans le dernier numéro de la revue Kaléidoscope.
L’écologie politique : concilier justice sociale et développement durable
Plus globalement, depuis un certain nombre d’années, l’urgence écologique est venue interpeler tous les mouvements sociaux dont les coopératives et les syndicats (Favreau et Hébert, 2012 ; Favreau et Molina, 2011), de même que les organismes communautaires. La justice sociale (droits sociaux et redistribution de la richesse et du pouvoir) est aujourd’hui adossée aux réponses qu’offrent ces mouvements à l’urgence écologique, i.e. au réchauffement climatique, à la généralisation des pollutions, à la détérioration des écosystèmes de la planète. L’écologie politique est une porte d’entrée analytique majeure. Elle est tout à la fois une démarche scientifique et une posture d’engagement citoyen comme l’illustre les travaux de l’économiste Alain Lipietz. Plus près de chez nous, la chercheure de l’UQAC, Christiane Gagnon, par son portail démontre bien tous les possibles de développement durable et solidaire de territoires tant en milieu urbain de grands centres comme Montréal qu’en milieu rural de régions éloignées comme à Saint-Honoré-de-Temiscouata.
Ces grands repères (mobilisation citoyenne, rapport à l’État et écologique politique) sont utiles en autant qu’ils aident à saisir les nouveaux enjeux du «communautaire» et les traduire en défis politiques. Pour en savoir plus sur le «communautaire aujourd’hui et de demain», on va sur le blogue de la CRDC. Je sortirai sous peu un billet beaucoup plus complet sur ce sujet. Vous le recevrez automatiquement si vous vous y abonnez.
Discussion
Pas de commentaire pour “L’action communautaire autonome : toujours bien vivante”