L’auteur invité est le blogue D’un champ l’autre.
Plusieurs travaux réalisés ces dernières années, à commencer par ceux de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2009), ont enraciné une nouvelle croyance en macroéconomie : les récessions qui suivent une crise financière seraient plus sévères et plus longues que les récessions « normales ».
Ces études souffrent toutefois de plusieurs limites. Tout d’abord, le constat selon lequel les répercussions des crises financières sont sévères et durables s’explique avant tout par le comportement des pays avancés avant la Seconde Guerre mondiale ou bien par celui des pays en développement. Ensuite, la définition d’une crise financière est imprécise. En outre, les datations des crises financières reposent sur une classification binaire : soit un pays connaît une crise financière, soit il n’en connait pas. Certaines études distinguent les crises financières selon qu’elles sont ou non de dimension systémique, mais elles ne cherchent pas davantage à différencier les épisodes selon leur gravité. Enfin, la plupart des études existantes utilisent des techniques très simples d’analyse empirique.
Christina et David Romer (2014), anciens conseillers économiques de la Maison blanche, remettent en cause les conclusions de Reinhart et Rogoff en se penchant à leur tour sur les conséquences des crises financières dans les pays avancés dans les décennies qui ont précédé la Grande Récession. Ils construisent une nouvelle série de données mesurant la sévérité de la détresse financière dans 24 pays –membres de l’Organisation de la Coopération et du Développement Economiques pour la période s’écoulant entre 1967 et 2007. La série est constituée à partir des évaluations en temps réel que l’OCDE a compilé sur la santé financière de ses membres ; elle est vérifiée avec les données des rapports annuels des banques centrales et les articles du Wall Street Journal. Elle permet de classifier la détresse financière sur une échelle de 0 à 15 et ne la traite donc pas comme une simple variable binaire. Elle permet ainsi à Romer et Romer de capturer plusieurs crises modernes comme celles du Japon et de la Suède dans les années quatre-vingt-dix, mais également aussi des épisodes moins tumultueux comme celle de la France au milieu des années-quatre-vingt-dix suite au sauvetage du Crédit Lyonnais (cf. graphique 1). Pour analyser cet échantillon, les deux auteurs utilisent des techniques empiriques qu’ils jugent moins rudimentaires que celles habituellement employées pour étudier les liens entre instabilité financière et activité économique.
Certes la production chute dans les pays avancés lorsque ceux-ci connaissent une crise financière, mais cette chute reste d’ampleur limitée. Lorsqu’ils observent le comportement de la production industrielle, Romer et Romer constatent qu’elle rebondit rapidement, en l’occurrence six mois après, et qu’elle rejoint sa trajectoire d’avant-crise au bout de deux ans. Lorsqu’ils observent le comportement du PIB réel, les auteurs constatent que la production ne rebondit pas, mais ce résultat repose sur la seule expérience du Japon. Ce dernier a en effet connu un ralentissement durable de sa croissance du PIB qui commença au même instant que sa crise financière. Une fois le Japon exclu de l’analyse, Romer et Romer constatent que le PIB réel tend à rapidement rebondir suite à une crise financière (cf. graphique 3). Les deux auteurs soulignent que leurs résultats ne s’expliquent qu’en partie par leur nouvelle mesure de la détresse financière. En effet, lorsqu’ils appliquent leurs techniques de régression avec les datations habituelles des crises financières dans les pays avancés, ils ne parviennent pas non plus à montrer que les crises financières ont généralement des répercussions durables. Bref, les crises financières que les pays avancés ont connu au cours des quatre décennies qui précèdent la Grande Récession n’ont été généralement suivies que par une chute modérée et temporaire de la production.
Romer et Romer constatent également que les répercussions des plus graves crises financières varient fortement d’un épisode à l’autre. Dans certains cas, par exemple en Norvège ou en Suède, la production s’éloigne à peine de sa trajectoire d’avant-crise. Dans d’autres cas, comme en Turquie, la production chute sous la trajectoire d’avant-crise, mais pour ensuite rebondir et se retrouver au-dessus de celle-ci. Dans le cas du Japon à la fin des années quatre-vingt-dix, la production s’éloigne de plus en plus de sa trajectoire d’avant-crise. Ces différences s’expliquent avant tout par la sévérité et la persistance de la crise financière elle-même : lorsqu’elle est limitée et rapidement résolue, alors la production se stabilise rapidement ; lorsque la détresse financière est particulièrement aigue ou se poursuit sur une période prolongée, alors ses répercussions sur la production s’aggravent. Or la durée et la sévérité d’un épisode d’instabilité financière dépend de la réaction qu’adoptent les gouvernements et les banques centrales à son encontre.
Le constat selon lequel la production ne chute en général que faiblement dans les pays avancés suite à une crise financière amène Romer et Romer à rejeter l’idée que la performance économique soit toujours mauvaise suite à une crise financière. La sévérité de la Grande Récession et la lenteur de la subséquente reprise s’expliquent avant tout par la sévérité et la persistance de la détresse financière. La crise financière de 2008 fut la plus violente depuis la Grande Dépression des années trente. En outre, comme plusieurs banques, en particulier dans les pays européens, sont toujours en difficulté, l’offre de crédit continue d’être contrainte, ce qui pénalise l’activité. Lorsqu’un seul pays ou une poignée de pays connait une forte détresse financière, comme ce fut en général le cas après-guerre, l’effondrement de l’offre de crédit domestique est en partie compensée par l’offre de crédit du reste du monde. En revanche, si la forte détresse financière a une dimension mondiale, comme ce fut le cas lors de la récente crise, il existe peu de prêteurs sains pour combler le vide, ce qui aggrave la crise et retarde la reprise.
Romer et Romer avancent d’autres raisons susceptibles d’expliquer la sévérité de la Grande Récession et la lenteur de la reprise subséquente. Premièrement, dans les années qui précèdent la crise, plusieurs économies avancées ont connu la formation d’amples booms immobiliers et l’accumulation de dette. Or, de telles dynamiques ont précisément contribué à aggraver la contraction de l’activité une fois la crise amorcée et à freiner la reprise subséquente. Deuxièmement, les gouvernements ont resserré leur politique budgétaire à partir de fin 2009 en Europe continentale, à partir de 2010 au Royaume-Uni et à partir de 2011 aux Etats-Unis. Une telle consolidation budgétaire a pu contribuer au ralentissement de la reprise, voire à faire basculer certains pays dans une nouvelle récession. Troisièmement, la borne inférieure zéro (zero lower bound) sur les taux d’intérêt nominaux a participé à amplifier les répercussions de la récente crise financière. En effet, les banques centrales réagissent habituellement à une crise financière en réduisant leurs taux directeurs. Or, lors de la récente crise financière, elles ont très rapidement rapproché leurs taux directeurs au plus proche de leur borne zéro sans pour autant suffisamment stimuler l’activité. Une telle contrainte explique pourquoi la performance de la production japonaise a été plus faible que ne le suggère la seule prise en compte de la détresse financière. Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, lorsque la crise financière atteint son apogée, la Banque du Japon maintient son taux directeur à zéro. Le Japon est le seul pays de l’échantillon qui a atteint la borne inférieure zéro au cours de la période observée par Romer et Romer. Que la sévérité de la Grande Récession et la lenteur de la reprise qui l’a suivie s’expliquent par l’une ou par plusieurs de ces raisons, les époux Romer suggèrent qu’elles n’étaient en rien inéluctables.
Pour lire le texte original, avec les hyperliens et graphiques, on va sur le blogue D’un champ l’autre.
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