Les chercheurs étatsuniens Oliver Williamson et Elinor Ostrom ont reçu la semaine dernière le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel (l’appellation exacte souvent abrégée en « Prix Nobel d’économie », qui a le désavantage de donner aux sciences économiques une prétention de sciences pures) pour leurs travaux sur les modes de gouvernance alternatifs aux marchés. Comme le souligne avec justesse Denis Clerc, « …les jurés de la Banque de Suède […] ont fait un pas de côté par rapport à leur ligne de conduite habituelle. Certes, on peut y voir la preuve d’un opportunisme majeur, les jurés caressant l’opinion dans le sens du poil, choisissant les libéraux les plus extrémistes quand c’était la mode, et désormais des hétérodoxes quand il apparaît que les précédents ont contribué à nous mener dans le mur. »
Dans un contexte de crise, la décision du comité Nobel confirme son ouverture à des discours économiques plus proche de la réalité de la vie économique, dans toute sa diversité. La reconnaissance des travaux de Amartya Sen en 1998, de Joseph Stiglitz en 2001, Mohamed Yunus en 2007 et Paul Krugman l’an passé, permet en effet de sortir de la vision unique d’une pensée fondamentaliste qu’elle a trop souvent honoré. Au moment où les questions de la gouvernance des marchés est au cœur des débats politiques, le comité Nobel marque un grand coup en attribuant le prix à des auteurs qui, chacun dans leur domaine d’intérêt, remettent en question la théorie économique néo-classique et proposent plutôt une vision de la vie économique reposant sur la pluralité des principes d’action, qui s’expriment dans une diversité de formes institutionnelles, à côté ou en concurrence avec le marché.
Première femme à recevoir cette distinction, la chercheure Elinor Ostrom, qui n’est pas économiste mais politologue, part d’un constat simple : la plupart des gens, confrontés à un problème de ressources, sont capables de coopérer et d’agir pour le bien commun. Elle a fait de cette forme spécifique de propriété et de gouvernance, qui place les décisions collectives des « communautés » au centre du jeu socio-économique, son principal sujet d’étude. La théorie dominante souligne que l’absence de droits de propriété aboutit inévitablement à une surexploitation des ressources communes : c’est la « tragédie des communs » et illustrée par exemple par la catastrophe de la surpêche. Elinor Olstrom renverse cette problématique et montre que la privatisation peut aboutir à la même chose. Dans la réalité, nous dit-elle, la plupart des biens collectifs traditionnels reposent non sur un pillage mais sur des règles communes mutuellement acceptées parce que chacun compte sur leur respect par chacun, en échange, chacun sait qu’il disposera de la ressource. Cet ordre de la réciprocité est alors bien plus efficace que toutes les autres formes de coordination parce que les « externalités positives » sont alors maximales.
Oliver Williamson est quant à lui primé pour sa théorie des organisations et le coût des transactions. La théorie des « coûts de transaction » n’est pas nouvelle. L’intérêt des travaux de Williamson est d’avoir renouvelé le courant institutionnaliste étasunien en se penchant sur l’analyse des coûts de l’entreprise pour répondre à la question simple : « faire ou faire faire ? ». Pour réduire les coûts et les gaspillages, le marché n’est pas toujours efficace. Les organisations (entreprises, organisations publiques) sont souvent plus efficace pour réduire les coûts de transaction. Mais la rénovation que Williamson opère vis-à-vis le courant institutionnaliste, l’éloigne du cœur de l’argument des fondateurs de ce courant : pour lui, l’essentiel repose sur l’opportunisme des acteurs, sur la recherche effrénée du profit ou de l’intérêt personnel. Nous sommes loin des pères de l’institutionnalisme, qui plaidaient pour une maîtrise sociale de l’économie et qui ont été les principaux artisans des réformes sociales du New Deal dans les années 1930. Williamson ne rompt pas totalement avec la pensée économique dominante.
Dans les deux cas, ces chercheurs « veulent comprendre des organisations qui ne sont pas des marchés (…) et ils montrent comment ces institutions résolvent les conflits », a justifié Tore Ellingsen, membre du comité Nobel, lors de l’annonce de leur nomination.
Cet article s’inspire des textes suivants : Denis Clerc, sur le site d’Alternatives Economiques et un blogue sur le site de Sequovia
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