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Le samedi 23 avril 2022

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Un mot barbare mais à apprendre pour sauver le climat : méthanation

L’auteur invité est Jean Gadrey, professeur honoraire d’économie à l’Université Lille 1 et collaborateur à Alternatives économiques.

Pour sauver le climat, pour surmonter la crise écologique, la technique n’est pas l’essentiel. C’est l’ensemble des modes de vie et des choix de production qui est en cause. Mais les choix techniques font partie du tableau dans tous les secteurs, et parmi eux les choix relatifs aux énergies renouvelables et au stockage de celles d’entre elles qui produisent de l’énergie électrique variable (vent, soleil).

J’ai déjà évoqué cet enjeu à diverses reprises, en particulier dans mes quatre billets consacrés au scénario négaWatt et dans ceux où j’ai (vivement) critiqué les solutions mises en avant par Jeremy Rifkin avec son économie du tout hydrogène. Dans un article récent d’AlterEcoPlus (journal en ligne que j’ai déjà recommandé), Antoine de Ravignan publie un excellent article intitulé : la révolution du « power to gas ». Ces mots anglais correspondent à la « méthanation ».

On doit aux experts de négaWatt d’avoir contribué à faire connaître en France cette technique, déjà utilisée en Allemagne et au Danemark, et que personne ne présente comme LA solution unique (il va falloir diversifier). Mais elle aiderait beaucoup à terme, donc si on commence sans tarder, à une montée en puissance des énergies renouvelables sans devoir attendre des innovations hypothétiques alors que le temps presse. Son coût actuel reste élevé, j’en reparlerai plus loin.

Préalable : il ne s’agit pas de la « méthanisation », cette technique qui consiste à produire du « biogaz » à partir de déchets organiques divers issus de l’agriculture, de l’industrie ou des boues urbaines, et de déchets ménagers. Voir cette brochure récente de l’ADEME. Une expérience pionnière existe à Lille depuis 2007 avec production de carburant pour des véhicules et injection de gaz dans le réseau de gaz naturel.

Le principe de la méthanation est tout autre. Voici ce que j’écrivais dans un de mes billets sur négaWatt : « La méthanation, technique éprouvée, part de l’hydrogène issu de l’électricité (celle qu’il faut stocker), hydrogène produit par électrolyse de l’eau. Mais, contrairement aux délires à la Rifkin où chacun produit et stocke son hydrogène à la maison afin de l’utiliser ensuite pour produire de l’électricité dans une pile à combustible, cet hydrogène est alors transformé en méthane (autrement aisé à distribuer et stocker) par réaction chimique avec du CO2. Ce dernier, qui serait ainsi capté au lieu de rejoindre l’atmosphère, proviendrait de sources localisées diverses : chaufferies, industries… On pourrait donc avoir des unités de méthanation de format moyen ou plus grand, liées à des lieux de stockage de la même région et dont certains existent déjà ». Vous pouvez également consulter à la suite du billet précité les précisions de Thierry Salomon sur le rôle, limité mais important, de la méthanation dans le scénario négaWatt.

Dans le même article, l’auteur démonte efficacement – je vous laisse le soin de lire l’article – un argument bien connu des « anti-renouvelables » : on ne peut pas miser sur les sources d’électricité renouvelables parce que leur production est trop variable dans le temps et, pire, arrive à contretemps. Ils en déduisent « logiquement » qu’il faudra plus de centrales thermiques ou nucléaires.

L’élément nouveau est la publication récente d’un rapport d’évaluation très sérieux publié par l’Ademe. Selon ce rapport, qui rejoint les conclusions de négaWatt, le besoin de cette solution « power to gas » n’est pas urgent mais il va devenir sérieux dans 10 à 15 ans avec la montée en puissance des renouvelables à production variable. Ce rapport s’intéresse à la fois à la transformation de l’électricité en hydrogène (stockable dans des piles à combustibles ou injectable dans le réseau de gaz, mais dans des proportions faibles) et à sa conversion en méthane à partir de CO2 récupéré (la méthanation).

Je cite Antoine de Ravignan : « conscients de l’énormité des enjeux, l’Allemagne et le Danemark se sont résolument engagés sur la voie du power-to-gas. Sur les seize démonstrateurs pilotes en service ou en cours de réalisation en Europe, 10 sont allemands et 3 danois. La France s’y met avec le projet Grhyd de Dunkerque… qui doit voir le jour en 2015 ». Mais tout cela « suppose une baisse des coûts des opérations d’électrolyse et de méthanation, avec le développement de démonstrateurs qui permettront d’augmenter les rendements de conversion d’une forme d’énergie en une autre. Mais aussi un cadre juridique et économique stable, via en particulier les tarifs de rachat de l’électricité et l’émergence d’un prix du carbone, que ce soit par des taxes au CO2 émis ou des plafonds d’émission plus contraignants ».

En effet, le rapport évalue, outre les performances énergétiques et environnementales, les coûts ACTUELS de cette solution ainsi que ceux de la production d’hydrogène (forcément moindres puisqu’il s’agit du premier des deux stades de la méthanation).

Je cite le rapport : « Actuellement, la filière hydrogène, avec un coût de production aux environs de 100 €/MWh (mégawatt heure, soit 1000 kWh)), se situe dans la fourchette des tarifs d’achat du biométhane (45 à 125 €/MWh selon la taille de l’installation et les produits méthanisés). Son coût reste néanmoins près de 3 fois plus élevé que le prix de gros du gaz naturel. La filière méthanation a quant à elle aujourd’hui des coûts situés largement au-dessus de tout type de valorisation dans des conditions de compétitivité, mais elle pourrait être compatible dès 2020 avec les meilleurs tarifs d’achat actuels du biogaz (c’est-à-dire 125€/MWh) s’il y a valorisation des coproduits ou, dans le cas de la méthanation biologique, si la technologie confirme son coût relativement bas. »

Ces coûts sont élevés, ce qui n’est pas étonnant s’agissant d’expériences pionnières qu’il faut favoriser si on souhaite leur extension et la réalisation de fortes économies ultérieures. Pour ma part, j’ai de sérieux doutes sur les estimations « optimistes » par l’AIE des coûts des énergies fossiles en 2030 et en 2050, de sorte que ces procédés de « stockage de l’électricité » par méthanation pourraient devenir économiquement intéressants plus vite que prévu, surtout si l’on compte sur une montée en puissance des taxes carbone et… sur des mobilisations mondiales pour sauver le climat, ce qu’aucun de ces scénarios ou études n’a intégré…

Pour lire le texte original, avec les graphiques et hyperliens, on va sur le blogue de l’auteur.

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