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Le samedi 23 avril 2022

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Chine : le droit du travail s’éveille, les conflits aussi !

Les auteurs invités sont Claude Emmanuel Triomphe et Aiqing Zheng.

Dans une interview exclusive pour Metis, Aiqing Zheng, professeure à la faculté de droit Renmin de l’université Chine, invitée de nombreuses universités françaises, revient sur les développements récents du droit du travail mais aussi sur les conflits collectifs, le rôle des autorités publiques, des ONG ou du syndicat officiel. A lire d’urgence.

Quelles sont les évolutions marquantes du droit du travail en Chine ces dernières années ?

Il y a eu une modification importante de la loi sur le contrat de travail qui a été adoptée fin 2012. Elle concerne la mise à disposition de personnel ou ce que beaucoup appellent les relations triangulaires de travail. Avant cette loi, les règles en la matière étaient vagues. Depuis, elles se sont beaucoup précisées, ce qui traduit un changement d’attitude du législateur qui s’est voulu plus strict. La relation triangulaire ne peut désormais qu’être complémentaire, la relation bilatérale employeur/salarié restant la forme principale d’une relation de travail. Auparavant, ce type d’usage connaissait peu de limites et l’on assistait à de nombreux excès. Et si l’on ne dispose pas de statistiques exactes, il est très facile de constater que ce type de relation est largement utilisé par les entreprises, quel que soit le type de propriété qui les caractérise !

Désormais, l’entreprise qui met du personnel à disposition est soumise à des règles substantielles. Ainsi le capital minimal pour constituer une telle entreprise est passé de 500 000 à deux millions de yuans. Cette entreprise doit aussi préalablement obtenir une autorisation de l‘administration du travail.

En outre, des limites ont été posées au recours à ce type de relation,inspirées en partie du droit français : on ne peut recourir à une relation triangulaire que pour des travaux temporaires, des remplacements ou encore des postes secondaires pour la production.

Par ailleurs, le nombre de ces salariés ne peut excéder un certain pourcentage de l’effectif total : si la loi de 2013 ne fixait pas de chiffre, celui-ci a été fixé ultérieurement à 10%.

La loi a renforcé la responsabilité des entreprises et alourdi les sanctions en cas de violation de ces dispositions. Elle a aussi institué le principe « à travail égal, salaire égal ». Enfin, son règlement d’application a donné aux entreprises un délai pour s’adapter, notamment en ce qui concerne le pourcentage maximal de ces salariés. Comme celui-ci n’expire qu’en mars 2016, il est évidemment trop tôt pour en examiner l’impact.

Y a-t-il eu d’autres changements importants ?

J’en noterai deux. L’un concerne une loi sur la sécurité sociale de 2010 qui a consolidé une série de règles adoptées depuis les années 1990. Elle généralise, pour les salariés urbains seulement, de nombreuses dispositions relatives aux retraites de base, à l’assurance-maladie, à l’assurance chômage, aux maladies professionnelles ou encore à l’assurance maternité. Elle étend également pour la première fois le droit à l’assurance vieillesse et à l’assurance maladie à la population non active urbaine et à la population rurale et ce, grâce à des contributions financières très importantes du gouvernement central, les cotisations des individus restant très modiques. Bien qu’en la matière, des règlements spécifiques pour ces catégories des personnes existent depuis 2002 à titre expérimental, ces nouveaux droits à l’assurance sociale revêtent une grande importance ; en effet, ces personnes étaient exclues de l’assurance sociale depuis des décennies.

L’autre changement, bien que sans caractère national car il n’a été adopté que pour la province de Guangdong, est relatif aux conventions collectives. En dépit de l’opposition de nombreuses entreprises, les syndicats se sont vus reconnaître un droit d’appel à la négociation collective, appel auquel l’entreprise doit répondre. En d’autres termes elle doit entamer des négociations sans que toutefois la loi du Guangdong ne l’oblige à conclure. Pour autant, et face aux vives oppositions des entrepreneurs hongkongais, elle n’autorise pas les arrêts de travail si l’entreprise refuse de négocier : la loi propose un mécanisme de conciliation ouvert au syndicat de niveau supérieur, à l‘association locale de entreprises ou encore au gouvernement local.

Si le droit du travail se développe en Chine, qu’en est-il de son application concrète ? Quelles sont les préoccupations des travailleurs chinois aujourd’hui ?

Ce qui les préoccupe c’est d’abord le salaire ! Ils veulent être payés régulièrement et à hauteur du travail fourni. Mais ils souhaitent aussi que les contributions à la Sécurité Sociale soient correctement calculées et ce sur des assiettes qui ne soient pas minimisées comme cela reste souvent le cas. Un autre sujet qui occasionne de nombreux litiges, c’est celui des indemnités de licenciement.

Bref, l’application du droit du travail en Chine reste aujourd’hui problématique en ce qui concerne un certain nombre de règles de base : le salaire, le temps de travail, l’hygiène et la sécurité. S’agissant du temps de travail, la question sensible est celle des heures supplémentaires marquée par des dispositions très rigides – pas plus de 36 heures par mois quel que soit le type d’entreprise – et une définition législative qui souffre de nombreuses carences. On fait toujours beaucoup plus d’heures sup que ne le prévoit la loi. Pour ce qui concerne le salaire, là encore les dispositions législatives sont très rigides, peu réalistes et donc inappliquées. Et en la matière, on n’a toujours pas introduit de mécanismes de négociation collective. Il y a carence également dans la définition du salaire et ses composantes. De ce fait, les entreprises ne cotisent à la Sécurité Sociale qu’a minima et selon la définition qu’elles veulent bien prendre en compte des composantes et des montants salariaux !

S’agissant enfin de la santé sécurité, les procédures de contrôle interne ou externe sont à la fois peu définies et peu acceptées. Et les obligations d’informer les salariés sont toujours aussi peu respectées. La tragique explosion d’une usine à Kunshang, dans la région de Jiangsu près de Shanghai, a tué 97 personnes et blessé 145 personnes. Après ce drame, la loi sur la sécurité au travail a été modifiée et a alourdi les responsabilités tout en améliorant le contrôle. Mais je pense qu’ne matière de prévention, nous ne sommes toujours pas à la hauteur.

Litiges et conflits sociaux semblent augmenter considérablement. Quels en sont les objets principaux ?

En 2008-2009, il y a eu une explosion des litiges individuels. Mais ceux-ci ont plutôt régressé depuis 2010 et la loi sur le contrat de travail. Les entreprises ont été obligées de se mettre en conformité pour recruter les salariés et doivent désormais conclure des contrats de travail écrits.

A l’inverse, les conflits collectifs restent encore préoccupants et en croissance depuis 2012. De nombreuses entreprises refusent toute discussion avec leurs salariés sur leurs conditions de travail : ce fut le cas en juillet 2012 avec la filiale de Walmart à Shengzhen. Elle avait refusé de dialoguer avec les salariés dont l’ancienneté dépassait 10 ans du blocage de leur salaire, provoquant ainsi une grève spontanée. Certains salariés impliqués ont ensuite été licenciés. Les conflits sociaux actuels portent sur les salaires, la sécurité sociale, la rémunération des heures supplémentaires, la fusion des entreprises, leur fermeture ou leur déménagement, les indemnités ou les procédures de licenciement, notamment en cas de restructurations.

Comment les autorités publiques, les syndicats et les ONG interviennent-elles ?

La grande majorité des conflits sont spontanés. Les salariés ont désormais une forte conscience pour se défendre. Dès que les choses changent, ils deviennent plus réactifs et se mettent à défendre des intérêts que les entreprises ne respectent pas. Ces conflits spontanés peuvent toucher un grand nombre de salariés comme celui qui l’an dernier a impliqué plus de 30 000 salariés d’une entreprise à capitaux taiwanais. Les entreprises les moins exemplaires sont celles qui sont les plus intensives en main d’œuvre, ce qui est le cas de nombreuses entreprises à capitaux de Hong Kong ou Taïwan.

Mais Il y a des conflits de moindre ampleur dans d’autres secteurs comme celui qu’a connu Walmart en 2014. Cette chaîne américaine a fermé une grande surface à Chengde dans le Hunan, provoquant un litige qui a été l’objet de gros débats en Chine. Car elle l’a fait sans aucune procédure préalable, en jouant sur une acception différente des notions de licenciement et de fermeture. Alors qu’elle soutenait que la fermeture était due à un problème d’enregistrement commercial, les salariés ont eux souligné qu’il s’agissait d’un licenciement collectif mené sans procédure préalable et qui devait donc donner lieu à un doublement de l’indemnité légale. A cette occasion, pour la première fois, le directeur du comité syndical de l’entreprise a agi en mobilisant les salariés afin de porter l’affaire devant le comité d’arbitrage municipal qui a ensuite… rejeté sa plainte !

Cette évolution du rôle du syndicat est loin d’être générale et reste localisée et fragmentaire. Par contraste, ce sont aujourd’hui surtout les ONG qui s’engagent au côté des ouvriers. Souvent locales, elles sont de plus en plus nombreuses. Elles ont moins de difficulté à agir et à exister qu’autrefois et le climat à leur égard est devenu moins strict.

Leur rôle est très positif notamment vis-à-vis des ouvriers migrants, de travailleurs domestiques ou encore des chômeurs. Il y a aussi des avocats qui s’impliquent. Dans certaines provinces le syndicat officiel lui aussi s’y est mis et met désormais à disposition des salariés des services d’avocats.

Les politiques de responsabilité sociale se développent-elles en Chine ? Et quid de la dimension sociale des investissements chinois en Europe ou aux Etats-Unis ?

Ces politiques se développent d’abord pour se donner une bonne image auprès du public des consommateurs chinois. Pour autant seules certaines grandes entreprises s’y sont mises même si ce n’est plus l’apanage des seules grandes entreprises étrangères. Celles-ci connaissent moins de litiges liés au droit du travail. Ce qu’elles développent en termes de RSE c’est d’abord une sorte de charité en cas de catastrophe naturelle. Quant aux autres aspects de la RSE, ils restent mineurs. Depuis peu, des initiatives comme le prix du meilleur employeur se développent, avec le soutien du gouvernement, mais cela ne touche que quelques grandes entreprises chinoises qui marchent bien et qui sont souvent en situation monopolistique.

Je ne sais pas trop que vous dire sur la dimension sociale des investissements chinois hors de Chine. D’après ce que je sais, le gouvernement central propose des guides aux investisseurs chinois qui contiennent ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire dans chaque pays au sujet du droit du travail, du rôle des syndicats, de la sécurité sociale. Pour le gouvernement c’est important, mais pour les entreprises ?

Pour lire le texte original, on va sur le site de Metis, correspondances européennes du travail.

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