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Le samedi 23 avril 2022

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Villes et transports : les vrais moteurs du développement chinois

L’auteure invitée est Danielle Kaisergruber, pour Metis, correspondances européennes du travail

On entend toujours dire : « la Chine est l’usine du monde ». Certes, c’est l’industrie manufacturière qui a été le moteur de la prodigieuse croissance du pays qui en 2011 assure 16% de la production mondiale (pour 5% en 1995), fabriquant par exemple 36% des voitures produites dans le monde. Mais un voyage aujourd’hui à Shanghai et dans les provinces du Sud Ouest montre surtout la place extraordinaire prise par les infrastructures de transport et l’urbanisation.

Guiyang : une ville de 7 millions d’habitants que l’on ne connait pas en Europe (il est vrai que de la Chine on connait peu de choses…). C’est la capitale de la province du Guizhou réputée l’une des plus pauvres, donc cible de la politique volontariste d’aménagement du territoire, « la conquête de l’ouest ». La ville est désormais reliée par de nombreuses et très récentes autoroutes à toutes les grandes métropoles du Centre et du Sud : Chengdu et Chongqin dans le Sichuan, Nanning dans le Guanxi, Kunming dans le Yunnan. Un aéroport hypermoderne, comme dans cette centaine de villes de plus de un million d’habitants. Et le TGV (le CRH ici, de fabrication maintenant chinoise après les leçons apprises d’un appel d’offre gagné par Alstom et un autre par Siemens…) qui va arriver de Canton le 1er janvier prochain, déversant des millions de touristes dans cette région de montagnes escarpées et spectaculaires où vivent des « minorités » attachées à leur identité, leurs villages de bois, leurs costumes et leurs langues. Les Miaos (juste 13 millions, 2 de plus que la Belgique !), les Dongs, les Tchuangs, les Yaos…A Guiyang, nous visitons le chantier de construction d’un nouveau district dans la continuité de la ville actuelle : il est prévu pour 400 000 nouveaux habitants.

Dans les bureaux du projet, une maquette immense montre d’innombrables immeubles d’habitation par « paquets » de tours d’une quarantaine d’étages, des écoles, des jardins, des centres commerciaux, et beaucoup de vert autour. Des jeunes gens en costume noir, le même pour les garçons et les filles (l’uniforme de la City à Londres…) s’affairent, discutent les prix, montrent des plans d’appartements. Il s’en vend mille par jours, achetés par de jeunes couples de la nouvelle classe moyenne (juste 817 millions de personnes, 63% de la population chinoise !) ou par des investisseurs qui achètent par paquets de 10 ou 20 pour louer ensuite.

Traverser le chantier donne le sentiment de chercher son chemin dans une forêt d’immeubles géants gainés d’échafaudages de bambou. La forêt d’ailleurs est proche et s’étend sur des milliers de kilomètres carrés dans les montagnes alentour, et sans doute les grands arbres ont-ils été abattus pour céder la place aux constructions des hommes. Puis soudain l’avenue principale débouche sur une vallée accueillante creusée par une belle rivière, un parc déjà aménagé, des maisons de bois verni de style Miao et un Pont de la pluie et du vent de style Dong : petite concession et rappel du passé pour un projet que mon ami chinois qualifie de « folie immobilière ». Qui seront les habitants du « district des 400 000 » ? Quels emplois occuperont-ils, ou occupent-ils déjà ? Ceux arrivant de la campagne – on dit que 400 millions de Chinois vont arriver dans les villes dans les prochaines années – les nouvelles générations de familles ayant passé leur enfance dans les immeubles gris et vétustes d’autres quartiers de la ville, des gens venus de la côte Est surpeuplée pour faire du business dans ces terres de conquête ? Pour l’instant l’emploi est dans la construction et les travaux publics, mais on se dit que l’on ne construit pas éternellement ?

La ville, l’urbanisation et les transports sont aujourd’hui au cœur du développement du pays : des quartiers comme celui-ci, nous en trouvons partout, à Nanning, à Kali la capitale de la Région Autonome des Miaos, à Dongxing une petite ville à la frontière du Vietnam que notre ami chinois ne reconnait pas alors qu’il y est venu il y a 5 ans…Pour ne pas parler de la ville nouvelle de Tianfu à côté de Chengdu dimensionnée pour 6 millions d’habitants avec ses 7 zones fonctionnelles : industries aéronautiques, industries stratégiques, recherche et développement, agriculture moderne et scientifique, industrie manufacturière de haut niveau, zone touristique internationale, bureaux et services.

Nous visitons le nouveau Port en eaux profondes de Shanghai, sur les îles Yangshan, des dizaines de kilomètres de portiques géants bourrés d’électronique qui chargent et déchargent des porte-conteneurs géants (voir le Blog très intéressant imandarin.fr). On n’y voit quasiment pas d’hommes. On imagine des pilotes dans les grues rouges, on aperçoit vaguement du haut du parcours d’observation avec pagode, des conducteurs dans les camions multicolores qui animent le ballet des marchandises de la mondialisation. On n’est finalement plus très sûr que le mot « docker » existe encore…Au débouché du Pont Donghei qui relie le nouveau port à la terre (33 kilomètres), une ville nouvelle, Luchaogang : des avenues à 6 voies, des parcs déjà plantés et entretenus minutieusement, un ou deux Palais des Congrès, 6 universités (nous dit le représentant de l’administration du Port)…mais tout est très vide, et nous peinons à trouver un restaurant, fait extraordinaire en Chine où l’on peut manger et bien et à toute heure, partout !

C’est que l’immobilier est au cœur de grandes interrogations : il se dit que tout près, à Hangzhou (le siège d’Alibaba et du constructeur automobile Geely), il y a pour 16 mois de stock immobilier…mais à près tout qu’est-ce que 16 mois dans un pays où depuis 2011 plus de la moitié de la population vit dans les villes. En 2025, il y aura 220 municipalités de plus de un million d’habitants et 8 de plus de 10 millions. Certes les collectivités locales souvent frondeuses par rapport au pouvoir de Pékin (beaucoup plus qu’on ne l’imagine et surtout depuis que la fiscalité a été recentralisée) ont augmenté leurs ressources en vendant les terres agricoles à des promoteurs (pour les paysans elles sont échangées contre un appartement en ville, avec un confort qu’ils ne connaissaient pas, sauf par la télévision) et donc en se lançant massivement dans des opérations et des spéculations immobilières. Certes la moitié des nouveaux milliardaires chinois ont fait leur fortune dans l’immobilier. La presse économique occidentale, souvent prompte à se rassurer, se demande régulièrement s’il n’y aurait pas une bulle immobilière ? Dérisoire interrogation !

« L’Etat façonne le développement par les infrastructures », « l’écosystème chinois est d’abord politique » (François Godement), et ce que l’on observe en traversant différentes régions témoigne d’un volontarisme sans limite qui n’est pas sans inspirer aux citoyens chinois de la fierté, peut-être proche parente du nationalisme. Le savoir-faire acquis dans la construction complexe faisant appel aux technologies les plus récentes de centaines d’aéroports, de dizaines de ports, de milliers de kilomètres d’autoroutes à travers des montagnes escarpées (nous avons parcourus plus de300 kms de viaducs et tunnels plus qu’impressionnants au sortir de Guiyang), de 12 000 kms de TGV se ré-escompte aujourd’hui de par le vaste monde, gage des emplois de demain qui ne seront pas que dans la fabrication de chaussettes ! La pré-éminence des entreprises chinoises de BTP est aujourd’hui notable, un peu partout dans le monde et surtout en Afrique et au Moyen-Orient, malgré la notable exception de Dragages, la filiale de Bouyges qui « s’épanouit dans les tunnels de Hongkong » (Le monde, 21.10.14, « BTP français, premières fissures »). En Europe déjà, les ports du Pirée à Athènes et de Sétubal au Portugal ont été repris par des entreprises chinoises. Sans parler aujourd’hui de l’aéroport de Toulouse-Blagnac….

A ma question sur les emplois occupés par les futurs habitants du nouveau « district des 400 000 » de Guiyang, les responsables du projet ont répondu : « ils travailleront dans les services financiers, la téléphonie, les communications. Les usines on les mettra aux Vietnam ou au Bangladesh… » C’est sans doute faire l’impasse sur les millions de salariés sans permis de résidence dont les bas salaires font le bonheur des multinationales invitées à s’installer à Guiyang.

De retour de Chine, en relisant quelques livres, je reste partagée : est-ce un nouveau modèle de développement combinant l’Etat et le marché et maîtrisé par un pouvoir central fort et doué d’une stabilité dans le temps peu commune (surtout comparée à nos versatilités dites démocratiques) ou est-ce un joyeux désordre que Confucius feint d’organiser ?

Pour lire le texte original, on va sur le site Metis, correspondances européennes du travail.

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