L’auteur invité est Thomas Friedman, éditorialiste au New York Times
« Nous sommes en train de remettre le futur de nos enfants dans les mains des deux des forces les plus impitoyables de la planète : le Marché et Mère Nature, » écrit Thomas Friedman, autrefois partisan convaincu des bienfaits de la mondialisation libérale et des vertus du marché. Le temps est venu « d’agir », dit-il, et de ne plus laisser des forces aveugles déterminer notre avenir. Cette conversion tardive nous paraît significative des désarrois et des remises en causes qui travaillent en profondeur les USA. Elle méritait d’être signalée. [Note de Contre Info]
Je suis un baby boomer de 56 ans et quand je regarde autour de moi aujourd’hui il apparait clairement que ma génération a eu une vie facile : nous avons grandi dans l’ombre d’une seule bombe – la bombe nucléaire. À notre époque, il semblait exister une seule grande menace qui aurait pu provoquer un revirement à 180 degrés, non-linéaire, dans la trajectoire de nos vies : que les Soviétiques nous lancent une arme nucléaire. Mes filles ne sont pas si chanceuses.
Les jeunes d’aujourd’hui grandissent dans l’ombre de trois bombes – dont n’importe laquelle peut se déclencher à tout moment et mettre en mouvement un véritable changement non-linéaire et radical dans la trajectoire de leurs vies.
La première, bien sûr, reste la menace nucléaire, […]
Mais il y a désormais deux autres bombes au-dessus de la tête de nos enfants : la bombe de la dette et la bombe climatique.
Alors que nous continuons d’accumuler du carbone dans l’atmosphère à des niveaux sans précédents, nous ne savons pas à quel moment la prochaine molécule de carbone bouleversera un écosystème et entrainera un épisode climatique non-linéaire – comme la fonte de la toundra sibérienne relâchant l’ensemble de son méthane, le dessèchement de l’Amazone ou la fonte de la totalité de la banquise du pôle Nord en été. Et lorsqu’un écosystème s’effondre, il entraine des changements imprévisibles dans d’autres écosystèmes qui peuvent transformer toute la planète.
Le même raisonnement s’applique au sujet de la bombe de la dette américaine. Pour nous relever de la Grande Récession, nous avons du nous endetter encore plus. Il suffit d’observer les records atteints aujourd’hui par le cours de l’or, en période de déflation, pour savoir que de nombreuses personnes sont inquiètes que le prochain dollar ajouté à cette dette – non équilibré par des réductions de budgets ou de nouveaux revenus provenant de l’impôt – n’entraine un abandon « non linéaire » du dollar et coule la devise américaine.
Si les gens perdent confiance dans le dollar, nous pourrions entrer dans une boucle rétroactive, à l’image du climat, dans laquelle la plongée du dollar force les taux d’intérêts à la hausse, élevant à son tour le coût sur le long terme de notre énorme dette, venant s’ajouter aux déficits prévus, ce qui amplifierait la baisse du dollar. Si le reste du monde devient réticent à financer nos déficits, exceptés à des taux d’intérêts plus élevés, cela diminuera surement la capacité de notre gouvernement à réaliser des investissements publics et diminuera ainsi d’autant plus le niveau de vie de nos enfants. […] Nous sommes en train de remettre le futur de nos enfants dans les mains des deux des forces les plus impitoyables de la planète : le Marché et Mère Nature.
Comme aime à le dire l’écologiste Rob Watson, « Mère Nature, c’est juste de la chimie, de la biologie et de la physique. » Ce n’est rien d’autre. Vous ne pouvez pas vous jouer d’elle ; vous ne pouvez pas la séduire. Vous ne pouvez pas dire, « Hé ! Mère Nature, on a une récession, est-ce que tu peux prendre une année sabbatique ? » Non, elle fera tout ce que la chimie, la biologie et la physique lui dictent de faire, en fonction de la quantité de carbone que nous répandons dans l’atmosphère, et comme le dit Watson : « Mère Nature donne toujours le dernier coup, et elle frappe toujours au centuple. »
Même chose pour le marché. Le marché est simplement une photographie, renouvelée à chaque seconde, de l’équilibre entre l’avidité et la peur. Vous ne pouvez pas vous jouer de lui, ni le séduire. Et vous ne savez jamais quand cet équilibre sur le dollar entre avidité et peur va basculer en direction de la peur de façon non-linéaire.
Voila pourquoi j’ai trouvé encourageant de voir le Center for American Progress, situé à gauche, expliquer la semaine dernière, que si la relance est vitale pour sauver notre économie, l’ampleur des déficits prévus exige que l’on commence à penser à des augmentations d’impôts et des réductions dans certaines dépenses et programmes soutenus par le camp Démocrate. Je suis également satisfait de voir des Républicains comme le gouverneur Arnold Schwarzenegger appeler leur parti à prendre en compte sérieusement le changement climatique.
Mais nous devons également agir. Si nous ne le faisons pas, nous confierons aux seules bonnes volontés du Marché et de Mère Nature le soin de dessiner le futur de nos enfants. Ce moment me remémore une métaphore utilisée par John Holdren, le conseiller scientifique du président, lorsqu’il évoquait la menace du changement climatique, mais qui peut également s’appliquer au dollar : « Nous conduisons une voiture avec de mauvais freins, dans le brouillard, en direction d’une falaise. Nous savons que la falaise est là-bas, mais ne savons pas où exactement elle se trouve. La prudence conseillerait de commencer à appuyer sur les freins. »
On trouve le texte complet de Thomas Friedman sur le site de Contre Info et la publication originale sur le site du New York Times, traduction GH pour Contre Info
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