C’est en février 1949 qu’éclatait la grève de l’amiante. Il vaut la peine de souligner ce 60e anniversaire à cause de l’importance de cette grève, de sa dimension symbolique dans l’histoire du Québec comme dans celle du syndicalisme québécois du XXe siècle.
La grève met aux prises 5 000 mineurs d’Asbestos et de Thetford Mines, membres de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC) – qui deviendra par la suite la CSN – et des compagnies anglo-américaines particulièrement dures et intransigeantes sur le plan des relations de travail. Le plus gros employeur, la Canadian-Johns-Manville, mènera la négociation du côté patronal.
Les revendications syndicales
Au début de l’année 1949, les négociations sont dans l’impasse. Les compagnies refusent de discuter de mesures pour l’élimination de la poussière d’amiante, ce qui est une priorité pour les mineurs. Les positions sur la question des salaires sont aussi très éloignées. De plus, les syndicats demandent d’être consultés dans tous les cas de promotions, de transferts et de congédiements. La compagnie John-Manville réagit très négativement à cette demande.
Il vaut la peine de s’arrêter sur ce dernier point qui a conduit à des mésinterprétations du conflit. Il est vrai qu’à l’époque la CTCC avait initié une réflexion dans ses rangs sur la participation des salariés à la gestion des entreprises. Cette réflexion était à ses débuts et elle se précisera plusieurs années plus tard sur des questions comme le droit à l’information sur la situation économique de l’entreprise et ses plans de développement ou encore sur la négociation des changements en matière de santé-sécurité ou d’organisation du travail. Mais en ce qui concerne la demande des syndicats de l’amiante, on est loin d’un objectif de participation ou de cogestion. Il n’est question que de consultation du syndicat dans les cas de mobilité des employés ou de congédiements.
De même, concernant l’élimination de la poussière d’amiante, les syndicats laissent aux employeurs le choix des moyens pour y parvenir. Comme le dit au tout début de la grève Jean Marchand, alors secrétaire général de la CTCC : « Nous ne demandons pas tel ou tel système, nous n’entrons pas dans les détails techniques, nous demandons aux compagnies de faire quelque chose, n’importe quoi, pour l’élimination des poussières. D’un commun accord, les compagnies refusent cette clause. Que pouvons-nous conclure de cela ? »
En réalité, la Canadian-Johns-Manville juge que ces revendications syndicales sont rien de moins qu’un assaut contre son droit de propriété et son droit de gérance. Après avoir souligné que le qualificatif « catholique » a été rayé du nom du syndicat représentant les employés de Johns-Manville, le président du conseil d’administration de l’entreprise déclare, lors d’une assemblée d’actionnaires tenue au cours de la grève : « Il y a maintenant une tendance croissante, de la part des chefs du syndicat, à prêcher une doctrine s’opposant au capitalisme et soutenant une philosophie plus apparente au communisme ou au socialisme. Cette grève dans l’industrie de l’amiante n’a pas comme but unique d’obtenir les avantages ordinaires recherchés dans les négociations collectives… Le point crucial de la grève est l’insistance que les chefs du syndicat mettent à obtenir, pour eux-mêmes, une part d’autorité et de contrôle sur l’administration ».
Lors d’une allocution radiodiffusée, le président de la CTCC, Gérard Picard, répond de la manière suivante au président du conseil d’administration : « M. Lewis Brown, président, administrateur et non propriétaire de la compagnie Johns-Manville fait du sentiment avec le droit de propriété… La question est ainsi déplacée et les syndicats sont présentés au public comme des ennemis du droit de propriété. Ce qui est absolument faux. Il serait plus exact de dire que les compagnies d’amiante ont une conception absolue du droit de propriété et de leur autorité patronale et qu’elles considèrent que les conventions collectives ne sont qu’un moyen d’affaiblir les droits et privilèges du patronat. Cette théorie désuète doit être abandonnée ».
La grève
Réuni en assemblée générale, le syndicat de la Johns-Manville vote la grève le 13 février 1949. Le lendemain, les mineurs de Thetford Mines emboitent le pas. Une blague circule dans la région : seuls les ouvriers, quand ils quittent le travail, arrivent à éliminer efficacement la poussière et à rendre l’atmosphère respirable. La grève durera 5 mois.
Sous prétexte que les syndicats ont enfreint les dispositions de la Loi des relations ouvrières, le premier ministre Duplessis déclare la grève illégale. Étant jugés de mauvaise foi, les syndicats se voient aussi retirer leur certificat d’accréditation. Dès le début du conflit, la Johns-Manville obtient une injonction interdisant le piquetage et Duplessis envoie la police provinciale à Asbestos. Celle-ci installe son quartier général à l’Hôtel Iroquois, propriété de la compagnie qui assume les frais de séjour. La tension monte d’un cran quand la Johns-Manville décide de reprendre la production à l’aide de briseurs de grève. Des affrontements violents surviennent. La compagnie refuse de négocier, accusant les leaders de la grève d’être des révolutionnaires. Même Duplessis dénonce en chambre les « sympathies communistes » des dirigeants de la CTCC.
Ceux-ci appellent à la solidarité. La CTCC lance une souscription auprès de ses affiliés afin de soutenir les grévistes. D’autres organisations syndicales québécoises et canadiennes donnent leur appui. Une partie du clergé catholique se range aussi du côté des grévistes. Même l’archevêque de Montréal, Mgr Charbonneau, lance un appel retentissant en chaire afin que les fidèles viennent en aide aux familles éprouvées par la grève. Plus de 500,000 $ en argent et pour 75,000 $ de vivre sont recueillis dans les rangs syndicaux et aux portes des églises, ce qui est considérable pour l’époque. À eux seuls, les membres de la CTCC ont contribué pour 300,000 $.
Le règlement
Malgré le mouvement d’appui et une proposition de compromis déposée par les syndicats, la Canadian-Johns-Manville refuse toujours de négocier. C’est finalement l’intervention d’un médiateur, en juin, qui permettra le dénouement du conflit. Le règlement sur les salaires se rapproche des positions syndicales. Mais il n’y a rien pour l’élimination de la poussière d’amiante. De plus, une clause est incorporée dans la convention collective avec la Johns-Manville, clause dite des droits de la direction.
Après autant de mobilisation, les résultats de la grève apparaissent plutôt mitigés. Mais à plus long terme, selon l’historien Jacques Rouillard, la grève apporta des bénéfices notables pour les mineurs. De plus, elle confirma la CTCC comme acteur majeur de la société québécoise.
À cause de ses péripéties et de son ampleur, la grève de l’amiante créa une onde de choc au sein de la société québécoise. Elle a été vue et analysée comme le début d’un mouvement d’affranchissement social comme a pu l’être, sur le plan culturel, le mouvement des automatistes avec le manifeste du Refus Global. D’ailleurs, plusieurs des signataires du manifeste ont appuyé publiquement les grévistes. Ces évènements annoncent les changements qui bouleverseront le Québec une décennie plus tard avec la Révolution tranquille.
Une version plus courte de cet article paraitra dans le magazine Perspectives CSN, no 28
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