L’auteur invité est Denis Clerc, fondateur et collaborateur au magazine Alternatives Economiques
La France l′avait promis à Bruxelles en 2004 : le dérapage du déficit public enregistré cette année-là (4,1 % du produit intérieur brut) ne serait que passager. La France s′engageait non seulement à revenir, dès l′année suivante, sous la barre des 3 % du PIB − sauf « circonstances exceptionnelles » − imposés par le traité de Maastricht, mais aussi à éliminer tout déficit public avant 2009 [NDLR : le traité impose le respect par tous les pays membres des règles limitant le déficit 3 % et la dette publique à 60 % du PIB]. Et, de fait, les choses semblaient aller dans ce sens, même si, certes, plus lentement que prévu. Dominique de Villepin s′apprêtait donc à fêter les mérites de sa gestion des finances publiques, qui faisait de la France le bon élève de l′Union européenne.
Tout a changé avec l′élection de Nicolas Sarkozy qui, dans la droite ligne d′un Reagan voyant dans la réduction forte des prélèvements le moyen infaillible de relancer la croissance, réduisait les impôts d′État de plus d′un point de PIB, les ramenant de 14,6 % du PIB en 2006 à 13,3 % du PIB en 2008. Grâce à quoi, à nouveau, la fameuse barre des 3 % était franchie, le déficit public atteignant 3,4 % du PIB… Et c′était sans compter sur la crise qui, non contente de ruiner les espoirs présidentiels d′une accélération de la croissance économique, allait exiger l′injection en urgence dans l′économie nationale de plus de 5 points de PIB sous forme de déficit budgétaire et social accru : moitié au titre de la relance, moitié au titre des « stabilisateurs automatiques » (la baisse des rentrées fiscales ou sociales). Bref, le déficit public devrait passer de 3,4 % du PIB en 2008 à 8,5 % en 2010 si les projets de loi de finances et de loi de financement de la Sécurité sociale sont adoptés par le Parlement, ce qui ne fait guère de doute… A quoi s′ajoutera le coup de pouce du « grand emprunt » − les 35 milliards d′euros qui gonfleront encore la dette publique.
Peu surprenant alors que Bruxelles monte au créneau. Certes, il y a bien « circonstances exceptionnelles », concède la Commission. Mais, de son point de vue, la parenthèse de la crise est appelée à se fermer − elle se referme déjà, soutient-on à la Commission −, de sorte qu′il faut d′ores et déjà penser aux lendemains plus normaux, lorsque l′ordre de Maastricht triomphera enfin et que chacun sera rentré dans le rang, après les excès de ces deux dernières années. Aussi négocie-t-elle pied à pied ce retour à l′ordre du 3 % maxi : dès 2013, et pas en 2015 comme le prévoit désormais la France. Tandis que, côté français, on mobilise tous les « crânes d′œuf » de Bercy afin de trouver des astuces pour que la dépense publique financée par l′emprunt national ne rentre pas dans le déficit au sens défini par le traité de Maastricht.
Il faut reconnaître que, sur le fond, la consigne visant à éliminer tout déficit public sur le long terme n′est pas déraisonnable. Un pays ne peut guère se permettre de vivre perpétuellement à crédit : non seulement cela finirait par lui coûter cher − sauf à éliminer ou alléger le poids de la dette par un coup d′inflation : après tout, pourquoi pas ? −, mais cela reviendrait aussi à dénaturer les politiques keynésiennes elles-mêmes. Car ces dernières reposent sur l′idée que l′État, par sa dépense, a un rôle central à jouer, mais qu′il s′agit d′un rôle conjoncturel, celui de gonfler la « demande effective » lorsque le marché tend à la fixer à un niveau insuffisant pour atteindre le plein-emploi. Il ne s′agit pas d′un rôle structurel, de type permanent, comme si l′économie ne pouvait fonctionner qu′à coups de gonflettes publiques. Se refaire des forces, reconstituer la « force de frappe budgétaire » pendant les périodes de vaches grasses pour pouvoir l′utiliser à plein lorsque les périodes de vaches maigres se profilent, ce n′est pas idiot, et l′on voit combien la France, faute d′avoir usé de ce précepte sage, s′est trouvée démunie lorsque la crise fut venue …
D′un autre côté, reconnaissons aussi qu′il y a dans l′obsession bruxelloise du déficit un refrain conservateur, voire réactionnaire, à la Pinay si l′on veut, quelque chose en tout cas de l′ordre du « Tout va très bien Madame la Marquise » : quand l′État dépense « trop », c′est l′ordre public qui est menacé… Comme si la crise était déjà terminée, comme s′il était évident que le marché est capable de conduire spontanément au plein-emploi, comme si la dépense publique était par nature mauvaise et la dépense privée par nature excellente.
Qu′il faille réduire peu à peu les déficits, parce que le niveau actuel n′est pas tenable, qui en douterait ? Mais pas n′importe quand, à n′importe quelle allure et sans aucune condition. Réduire le déficit public rapidement dans les circonstances actuelles, cela ne pourrait se faire qu′en s′attaquant aux retraites et à l′assurance maladie, deux composantes importantes de l′actuel déficit public. Finalement, mieux vaut aujourd’hui s′endetter qu′aller trop vite dans la voie de la discipline budgétaire.
On trouve le texte original sur le site du magazine Alternatives Economiques
Discussion
Pas de commentaire pour “Déficit public : la France résiste à Bruxelles”