L’auteur invité est Annika Cayrol, gestionnaire de projet au Réseau Financement Alternatif (Belgique)
De plus en plus de gestionnaires d’actifs institutionnels placent leurs avoirs dans l’investissement socialement responsable (ISR). Ils décident de leur univers d’investissement et peuvent influencer les entreprises ou les États qui les composent par divers stratagèmes. Cet article s’attache à comparer les méthodes dites, d’une part, « d’engagement » et, d’autre part, « d’exclusion », à travers deux exemples en Europe.
Dans les faits, un gestionnaire d’actifs institutionnels peut être, entre autres, une société de gestion, une compagnie d’assurance, une caisse de retraite ou un fonds commun de placement. En tout état de cause, son but est d’investir les capitaux qui lui sont confiés dans des actions. Fort de cette mission, il peut influencer la manière dont est utilisé cet argent. C’est ainsi qu’historiquement ce sont des fonds publics, syndicaux ou religieux qui ont voulu orienter les politiques de gestion des entreprises dans lesquelles ils investissaient vers une meilleure prise en compte des facteurs sociaux, environnementaux ou de bonne gouvernance.
De nos jours – et dans une plus forte mesure encore depuis la crise financière –, les gestionnaires d’actifs institutionnels mettent en place des garde-fous pour assurer une certaine cohérence dans leurs placements. Ainsi, pour augmenter la prise de conscience des critères extrafinanciers, ces différentes organisations appliquent diverses démarches dont celles dites « d’engagement » et « d’exclusion ».
Examinons tout d’abord, ce que signifient ces termes dans le domaine de l’ISR. L’engagement, selon le glossaire de Novethic, média français expert du développement durable et de l’investissement socialement responsable,« est un terme, utilisé surtout dans les pays anglo-saxons, pour désigner une activité de dialogue entre un actionnaire institutionnel (fonds de pension, sociétés de gestion, etc.) et une entreprise dont le but est d’améliorer sa performance financière, à moyen et long terme, en facilitant une meilleure prise en compte des facteurs de risques environnementaux et sociétaux. Quand ce dialogue ne donne aucun résultat, l’investisseur-actionnaire porte le débat sur la place publique, lors des assemblées générales. » C’est une sorte d’activisme actionnarial, où le dialogue reste tant que possible dans l’arène privée des entreprises. Il s’agit dès lors d’une méthode dynamique et progressive pour entraîner les entreprises à considérer des aspects environnementaux, sociaux et de transparence.
L’exclusion, ou « screening négatif », ou encore « tamisage négatif », est quant à elle une technique plus brusque. L’auteur de l’article « Évolution sémantique de l’investissement socialement responsable », définit ce concept comme visant « à exclure de son univers d’investissement des entreprises impliquées dans certains secteurs d’activités ou produits et services. [...] L’exclusion sera soit globale – exclusion de l’ensemble du secteur d’activité ou exclusion géographique – soit nuancée, par exemple, exclusion des entreprises dont plus de 10 % du chiffre d’affaires proviennent de la vente d’armes. » Dès lors, la manière dont cette exclusion se fait est plutôt directe et elle peut être perçue comme agressive. […]
Plus concrètement, l’équipe de Karina Litvack, directrice de la Gouvernance et des Investissements durables, s’attache à faire évoluer les choses de l’intérieur par la technique de l’engagement. Cette technique se déroule en plusieurs temps. Autant de rendez-vous de dialogue avec l’entreprise ou le secteur concerné que nécessaire sont mis en place pour orienter les décisions des présidents d’entreprises vers un comportement plus respectueux du développement durable.
Le secteur bancaire en Grande-Bretagne fournit depuis plusieurs années un bon exemple de cette pratique. Le gestionnaire F&C Investments interpelle les grandes banques anglaises sur une série de sujets, dont la bonne gouvernance, la tension salariale ou le changement climatique. Une des clefs de la réussite de cette méthode est la fréquence des réunions de dialogue, la participation active à des formations internes des banques ainsi que des sessions de consultation et de feedback avec les décideurs.
La stratégie de dialogue employée par F&C Investments dans ce cas est donc de longue haleine, mais semble apporter une amélioration aux pratiques de la banque en question.
Un deuxième exemple décrit la méthode utilisée par KLP. Malgré son statut « d’une des plus grandes compagnies d’assurance-vie en Norvège », cette entreprise est relativement petite avec ses 442 000 clients et ses 23,12 milliards d’euros d’actifs. Sa manière de gérer les fonds est toutefois très intéressante.
Jeanett Bergan, directrice de l’Investissement socialement responsable, explique la manière de procéder de KLP : « Nous utilisons une stratégie en deux parties : nous utilisons la synergie des méthodes d’engagement et d’exclusion ». En effet, KLP pratique, d’un côté, l’exclusion selon des critères stricts sur les droits humains, le droit du travail, la protection de l’environnement, l’anti-corruption et les armes et, de l’autre, l’engagement afin de faire connaître aux entreprises les démarches à mettre en place ou à rectifier pour faire partie de leur univers d’investissement.
Si certaines entreprises sont exclues d’office du fait de la nature de leurs activités, comme les entreprises de tabac par exemple, d’autres risquent l’exclusion si elles ne changent pas leur comportement à la suite d’un avertissement du Global Ethic Service (GES), département de KLP analysant les compagnies de manière régulière. Un élément important de la stratégie de KLP : elle publie deux fois par an la liste des entreprises qu’elle exclut de son univers d’investissement et les raisons de cette exclusion.
Un exemple concret est le cas de l’entreprise de services de restauration et de chèques services Sodexho. KLP a d’abord dialogué avec Sodexho pour dénoncer les conditions inhumaines de l’«Immigration Removal Centre — IRC» de Harmondsworth en Angleterre géré par Kalyx, une filiale de Sodexho. Vu les faits de violation des droits humains, elle décide d’exclure Sodexho de son univers d’investissement en 2007 et publie un communiqué de presse sur cette exclusion. Cette action publique mène Sodexho à régler rapidement la situation à l’IRC et à développer une politique d’entreprise globale sur les droits humains. En décembre 2008, Sodexho réintègre l’univers d’investissement de KLP.
La stratégie de KLP consiste donc en un mélange de dialogue et d’action publique d’exclusion, qui a permis des améliorations concrètes dans le cas décrit.
On trouve le texte complet d’Annika Cayrol sur le site de Financité
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