L’auteur invité est Philippe Frémeaux, directeur de la rédaction au magazine Alternatives Economiques.
Barack Obama vient de faire voter laborieusement par la Chambre des représentants, le 7 novembre 2009, son projet de réforme du système de santé américain. Un système qu′il juge trop coûteux et socialement injuste. C′est un premier succès sur les lobbies du secteur, qui devra être confirmé au Sénat, où la partie s′annonce encore plus difficile…
« Nous devons rejoindre les rangs des autres pays développés et fournir une couverture médicale abordable et de qualité à tous nos citoyens », affirmait solennellement le président Barack Obama, le 9 septembre dernier, lors de la présentation au Congrès de son projet de réforme de la santé. Qu’on en juge : alors que les Etats-Unis consacrent plus de 16 % de leur produit intérieur brut (PIB) aux dépenses de santé − record mondial −, plus de 48 millions d’Américains n’ont pas accès à une couverture maladie et des dizaines de millions sont très mal assurés. Une situation encore aggravée par la montée actuelle du chômage.
Dans ce contexte, le projet Obama remet seulement marginalement en cause les intérêts des compagnies d’assurances privées, des professionnels de santé et des grands laboratoires pharmaceutiques. Il suscite néanmoins une vive hostilité de la droite américaine, qui s’oppose au principe même d’une assurance maladie générale, et donc obligatoire, et récuse tout droit de regard de l’Etat sur l’offre de soins.
Inflationniste et injuste
Pour comprendre les enjeux de la réforme, rappelons tout d’abord comment fonctionne le système de santé américain. Historiquement, la couverture maladie fait partie du package offert par les entreprises à leurs salariés et, par extension, à leur famille. Les entreprises souscrivent des contrats auprès de compagnies d’assurances privées qui remboursent les soins de ville, les médicaments ou les séjours hospitaliers, sur le modèle de l’assurance maladie française. A ceci près que les prix des médicaments sont libres et que les professionnels fixent sans grandes contraintes le montant de leurs honoraires.
D’autres organisations − les Health Maintenance Organizations (HMOs), généralement à but non lucratif − intègrent verticalement l’assurance et l’organisation des soins.
Concrètement, la personne qui adhère à un HMO doit avoir recours aux médecins et aux établissements hospitaliers qui lui sont liés et dont il contrôle les coûts. Le but est de limiter l’inflation des actes médicaux et de mieux négocier les honoraires des professionnels. Mais la concurrence entre HMOs, et entre ceux-ci et les assureurs privés, n’est pas parvenue à limiter la progression des dépenses.
Face à l’angoisse que suscitent légitimement les risques liés à la santé, l’offre joue sur du velours. Le système est d’autant plus inflationniste que les patients, qui paient lourdement pour obtenir une couverture souvent déficiente, multiplient les actions en justice afin de récupérer une partie de leur mise. Un comportement encouragé par les avocats qui en font métier, ce qui incite en retour les médecins à multiplier les examens pour se prémunir et à souscrire des assurances personnelles qui se chiffrent parfois en dizaines de milliers de dollars. Un coût évidemment répercuté sur les patients…
Les entreprises, à la différence de la situation qui prévaut en France, ne sont pas tenues d’assurer la couverture sociale de leurs salariés. L’augmentation du coût des contrats a conduit certaines d’entre elles à ne pas couvrir leurs salariés ou à diminuer les garanties qui leur sont offertes. Le recul de l’emploi industriel au profit des petits boulots souvent précaires ou à temps partiel dans le secteur des services a également multiplié les emplois sans couverture santé. Du coup, un nombre croissant d’Américains est contraint de recourir à des assurances individuelles, souvent au rabais, ou renonce à s’assurer. Une situation encore aggravée par la crise.
Quant aux assurés, ils doivent supporter des franchises de plus en plus importantes et les contrats incluent souvent des clauses d’exclusion nombreuses et complexes. Certains patients, atteints d’une maladie grave, découvrent parfois que leur contrat ne les assure pas ou très insuffisamment. D’autres se voient refuser toute prise en charge au motif qu’ils ont omis de signaler une maladie infantile en remplissant le questionnaire préalable. Enfin, seule une partie des retraités bénéficie d’une couverture santé via leur ancien emploi.
Medicare et Medicaid
Pour limiter les dégâts, l’Etat fédéral a institué deux grands programmes publics sous la présidence Johnson en 1965 : Medicare et Medicaid. Le premier couvre les personnes âgées de plus de 65 ans − hors médicaments. Le second prend en charge les plus pauvres avec des modalités différentes selon les Etats. Le coût de cette couverture publique est loin d’être négligeable : elle représentait près d’un tiers des dépenses totales de santé en 2008 ! Les vétérans de l’armée disposent également d’une aide médicale spécifique ainsi qu’une partie des enfants via le SCHIP (State Children Health Insurance Program). A cela s’est ajouté ces dernières années un programme d’aide à l’achat de médicaments, pour le plus grand bénéfice de l’industrie. Mais en dépit de ces multiples dispositions, plus de 15 % de la population demeurent exclus de toute couverture santé. […]
Une ambition mesurée
Sur ces bases, le projet Obama est tout sauf révolutionnaire. Pas question de bouleverser l’édifice existant. Le premier volet, et non le moindre, consiste à moraliser les contrats d’assurance. L’Etat fédéral imposerait une limitation des franchises à un niveau raisonnable et interdirait les contrats prévoyant un plafond de dépenses annuelles. De même, les assureurs n’auraient plus le droit d’imposer des modifications unilatérales, voire de résilier les contrats des personnes gravement malades, comme cela se produit aujourd’hui. La réforme veut, enfin, interdire toute discrimination en fonction des antécédents médicaux des patients et contraindre les assureurs à prendre en charge les examens de prévention. Autant de mesures de bon sens.
Le projet présidentiel − dans sa version actuelle − propose également la création d’un organisme d’assurances public qui gérerait l’assurance maladie des exclus actuels du système. Une proposition qui a suscité une levée de boucliers de la part des assureurs privés et des grands labos pharmaceutiques qui plaident en faveur d’un système d’aide aux ménages afin que ces derniers souscrivent un contrat auprès des structures existantes, à la manière de ce qui a été mis en œuvre au Massachusetts.
C’est que la création d’un assureur public, même résiduel, pourrait menacer à terme les assureurs privés : il n’aurait pas à dépenser d’argent pour capter ses clients et pourrait en conséquence être moins cher à garanties égales. Au-delà, l’assureur public serait tenté d’imposer aux professionnels de santé et à l’industrie des tarifs conventionnés pour réduire les dépenses. Les Etats-Unis se rapprocheraient alors du système que la France est en train de quitter progressivement, du fait de la multiplication des dépassements d’honoraires non sanctionnés !
Barack Obama compte paradoxalement sur sa réforme pour réduire le rythme de progression des dépenses, bien plus élevé aujourd’hui que celui du PIB. Le coût lié à l’accroissement du nombre de personnes couvertes serait en partie compensé par une action sur l’offre, via un développement des protocoles définissant les bonnes pratiques. Des outils dont l’efficacité est discutée et qui alimentent le procès fait à la réforme de vouloir rationner les soins de manière liberticide. Barack Obama attend également d’importantes économies d’une meilleure gestion de Medicare et de Medicaid. Enfin, des actions devraient être entreprises pour limiter les contentieux liés à la santé, et donc le coût des assurances pour les praticiens.
Barack Obama réussira-t-il là où nombre de ses prédécesseurs se sont cassé les dents ? Au-delà des cris d’orfraie poussés par la droite populiste qui hurle au « socialisme », un facteur majeur joue en faveur du Président. Si le coût budgétaire de sa réforme est élevé (900 milliards de dollars sur dix ans), un montant qui n’est pas supérieur au coût des guerres d’Irak et d’Afghanistan a-t-il rappelé, un nombre croissant d’élus estime qu’il est urgent d’agir, compte tenu de la progression des coûts observée ces toutes dernières années. Reste à savoir si l’intérêt général du pays et de ses habitants prévaudra sur l’influence des lobbies.
On trouve le texte complet de Philippe Frémeaux sur le
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