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Le samedi 23 avril 2022

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Les Autochtones au Québec : combattre les inégalités en créant des alliances stratégiques

PremieresNationsL’auteure invitée est Carole Lévesque, de l’Institut national de la recherche scientifique et DIALOG, le Réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones.

Les luttes des peuples autochtones du Québec pour la reconnaissance de leurs droits sont désormais connues et régulièrement commentées dans les médias, parmi la communauté scientifique et au sein de l’espace public. Ce ne sont pas des luttes récentes : elles remontent loin dans l’histoire et elles ont mobilisé les plus hauts tribunaux du pays des dizaines de fois au cours du dernier siècle. Derrière ces luttes, qu’elles trouvent un ancrage sur le plan politique, juridique, territorial, social, économique ou culturel, se profile un combat quotidien, un combat de tous les instants : le combat contre les inégalités sociales, contre l’exclusion, contre la mise en marge de la société. Un combat qui s’est transformé et déplacé ces dernières années, au fur et à mesure que les Autochtones s’imposaient comme acteurs incontournables de la modernité et comme artisans du changement global. Depuis une quinzaine d’années en effet, les leaders et décideurs autochtones empruntent de nouvelles avenues à la fois pour dénoncer les injustices commises à leur égard mais aussi, du même souffle, pour faire connaitre leurs propres actions en faveur de l’égalité et leur engagement pour l’avènement de rapports plus démocratiques entre citoyens de diverses appartenances et origines. Trois d’entre elles retiennent plus particulièrement mon attention ici : la prise de parole publique, les initiatives en matière de politiques sociales, les alliances entre instances autochtones et instances québécoises.

Prise de parole publique

Investir l’espace citoyen, contribuer à le construire, voire à le transformer, sont autant de manifestations de cette présence soutenue des Autochtones sur les plus grandes tribunes du Québec. On a encore trop souvent tendance à oublier que les Autochtones partagent les mêmes espaces publics que les Québécois. Certes, ils les occupent à leur manière, mais ils y sont présents plus que jamais : lors des commissions parlementaires où ils déposent quelque 50 mémoires par année, tous sujets confondus : de la protection de l’environnement à l’itinérance, de la formation professionnelle aux services d’aide à la petite enfance, de la gestion des ressources aux services sociaux ; dans les grands rassemblements de société qui dénoncent le racisme et la discrimination, l’injustice et l’oppression ; à l’occasion des marches pour la paix, contre la pauvreté ou pour un développement responsable. Cette présence, si elle permet d’attirer l’attention sur les inégalités de toutes sortes en interpelant les gouvernements et les décideurs et en sensibilisant la population, permet aussi de créer des passerelles entre les peuples et de construire des rapprochements.

Prenons en exemple le festival annuel de la Société de promotion culturelle autochtone Terres en vue qui fêtera ses vingt ans en 2010 et qui porte, fort judicieusement d’ailleurs, le nom de Présence autochtone ; un festival qui transforme la scène culturelle montréalaise, offre une plateforme aux artistes autochtones des Amériques et accueille des milliers de spectateurs de tous âges et de toutes origines. Prenons un autre exemple avec la Marche Gabriel-Commanda qui se déroule chaque année depuis l’an 2000 dans les rues de Val‑d’Or pendant la Semaine d’action contre le racisme et qui a mobilisé plus de 1300 Autochtones et Québécois en 2009 ; une foule record pour une ville qui compte 32 000 habitants.

Politiques sociales

Le fait de concevoir et de mettre en œuvre des politiques et des programmes qui satisfont les besoins des populations qu’ils desservent et qui prennent en compte leurs trajectoires et leurs héritages, constitue aussi une voie empruntée par les Autochtones afin de combattre les inégalités. En effet, les politiques sociales québécoises, bien que marquées en principe par le sceau de l’universalité et de l’égalité, stigmatisent la plupart du temps les populations autochtones en faisant d’elles, de manière globale et sans nuance, des clientèles à risque, des groupes vulnérables, des victimes, des citoyens à part.

L’expression « les Autochtones » devient alors synonyme de problème, quel qu’il soit ; n’est-ce pas là aussi une manière de contribuer à l’exclusion et la mise à l’écart ? Il ne faut pas se surprendre dans ce contexte que les mesures et les programmes destinés au départ à la population québécoise et dont on étend la portée à une « clientèle autochtone » atteignent rarement les objectifs voulus. Un important travail de reconstruction et de redéfinition a été entrepris au cours des dernières années par diverses instances et communautés autochtones afin de s’assurer que les politiques sociales et les programmes qui en découlent reflètent plus justement leurs valeurs et leurs pratiques.

Que ce soit en matière d’éducation, de littératie, de violence, de protection de la jeunesse, de développement économique, de santé ou de sécurité publique, les Autochtones offrent de plus en plus d’alternatives, proposent de nouvelles approches, redéfinissent les priorités à partir de leurs besoins et perspectives. Citons, parmi de très nombreux exemples, le Système d’intervention d’autorité atikamekw (SIAA ) mis sur pied par le Conseil de la Nation Atikamekw, de concert avec les centres de la jeunesse et directions de la protection de la jeunesse des régions de la Mauricie et de Lanaudière, afin de contrer le placement d’enfants autochtones dans des familles d’accueil québécoises et de contribuer à construire des environnements plus sécuritaires pour les enfants. Le SIAA a été créé en tenant compte des valeurs propres à la nation atikamekw ; s’il met l’accent sur la responsabilité personnelle et parentale, il repose aussi sur le rôle d’entraide et de soutien dévolu à la famille élargie et à la communauté tout entière à l’égard des enfants.

Alliances entre instances québécoises et autochtones

Tel que l’illustre très bien ce dernier exemple, les initiatives des Autochtones engagent aussi des acteurs québécois. En effet, les instances et communautés autochtones créent de plus en plus d’alliances avec les agences gouvernementales, les autorités politiques locales, régionales et provinciales, avec les milieux de pratique, avec les intervenants de première ligne, avec la société civile, avec le monde universitaire. Voilà une troisième voie privilégiée dans la lutte contre les inégalités et l’exclusion : la convergence des actions, la mise en commun des savoirs et des expertises, la mobilisation vers une plus grande efficacité. Ainsi, le Regroupement des Centres d’amitié autochtones du Québec a signé une entente de partenariat avec l’Union des municipalités du Québec afin de favoriser la cohabitation harmonieuse des Autochtones et des Québécois dans les différentes municipalités de la province ; Femmes autochtones du Québec inc. a développé des liens structurants avec la Fédération des femmes du Québec afin de promouvoir des relations plus harmonieuses et d’encourager les collaborations ; le Réseau des maisons d’hébergement pour Autochtones s’est associé avec la Fédération des ressources d’hébergement pour femmes violentées et en difficulté du Québec, afin d’offrir une plus large gamme de services et de consolider les liens entre les intervenantes autochtones et québécoises. Les communautés autochtones localisées à proximité des villes bâtissent aussi des passerelles avec les autorités locales ou régionales afin par exemple de modifier et d’élargir l’offre de services en santé et d’en faciliter l’accès. Plus encore, le Centre de la petite enfance Abinodjic-Miguam du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or accueille les enfants autochtones aussi bien que les enfants québécois. Le CPE Mokaam de la communauté anishnabe de Pikogan accueille aussi des enfants de diverses origines.

Ces quelques exemples, bien que rapidement esquissés, démontrent clairement qu’en matière d’inégalité sociale et d’injustice, les leaders et décideurs autochtones mettent désormais de l’avant des initiatives que l’on gagnerait à connaitre, à documenter et à comprendre davantage. Des initiatives qui offrent autant de réponses aux besoins réels des populations autochtones que d’alternatives à une vision du développement social qui instrumentalise et la plupart du temps dépouille les Autochtones en ne tenant aucunement compte de leurs héritages, de leurs cultures, de leurs savoirs et de leurs modes de vie. Des initiatives qui proposent aussi des occasions renouvelées de rapprochement et de collaboration : entre Québécois et Autochtones d’une part, mais aussi, d’autre part, entre instances et communautés autochtones de diverses appartenances.

De reconnaitre que les Autochtones forment des nations et des groupes distincts à l’intérieur du Québec, qu’ils ont des droits, que leurs batailles pour les droits qui ne leur ont pas encore été reconnus sont légitimes et qu’ils participent aussi à la construction d’une société globale plus égalitaire et plus humaine, c’est déjà une manifestation citoyenne positive. De reconnaitre également que leur engagement collectif puisse emprunter d’autres voies que celles de la majorité fait partie des moyens que l’on peut nous-mêmes mettre en oeuvre afin de ne pas contribuer à reproduire l’exclusion, au moins dans les milieux au sein desquels nous évoluons. Ce combat des Autochtones contre les inégalités requiert de leur part une vigilance, des batailles, des actions et des efforts continus. Il requiert, de la part de la société québécoise et de ses acteurs individuels et institutionnels, une meilleure compréhension des enjeux de gouvernance et d’autodétermination qui se posent chaque jour pour les peuples autochtones, qu’ils résident dans les villes ou dans des réserves, qu’ils soient femmes, hommes, jeunes ou ainés. Ce combat requiert aussi une meilleure connaissance de l’histoire et des politiques coloniales qui, pendant des générations, ont eu comme principal objectif « l’effacement » du fait autochtone à travers le pays. Les réponses qui sont formulées aujourd’hui par les Autochtones eux-mêmes ne visent pas à faire oublier l’histoire ; elles participent plutôt de l’émergence d’une nouvelle conscience politique et sociale.

On trouve le texte complet de Carole Lévesque sur le site de la revue DÉVELOPPEMENT SOCIAL

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