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Le samedi 23 avril 2022

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Une autre façon de contrôler la pollution : un protocole international sur l’information relative aux rejets polluants

GaiaPresse1L’auteur invité, Jean Baril, LL. M., est avocat, auteur du livre « Le BAPE devant les citoyens » et étudiant chercheur à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement

Une forme différente de régulation

Traditionnellement, pour préserver la qualité de l’air, de l’eau et des sols, les États ont fixé des seuils de pollution, ou carrément interdit certains produits polluants, en prévoyant divers types de pénalités en cas de non-respect de ces dispositions par les entreprises. Malheureusement, cela n’a pas toujours donné les résultats escomptés. Le Protocole sur les registres des déchets et transferts des polluants (PRDTP), ou « Protocole de Kiev » aborde donc la question des déchets et des polluants de façon différente. En effet, ce protocole ne réglemente pas des niveaux d’émission ou de pollution, mais améliore plutôt l’accès du public aux informations sur ces questions. La diffusion obligatoire d’informations sur les rejets polluants des entreprises vise à mettre la pression de l’opinion publique sur ces dernières, de façon à les inciter à réduire leur pollution. Cette pression publique peut venir d’acteurs fort différents : la population concernée, les groupes environnementaux, les professionnels de la santé publique, les autorités politiques locales et régionales, les actionnaires et administrateurs d’une entreprise mécontents de voir un concurrent afficher un bilan environnemental nettement plus positif, des banques ou compagnies d’assurances s’inquiétant des dommages financiers éventuels que pourraient entraîner de telles pratiques polluantes, etc. Des auteurs américains ont baptisé cette approche « regulation by revelation » et le Protocole de Kiev s’inscrit dans cette nouvelle forme de régulation de l’environnement.

L’origine du Protocole

Le PRDTP est le premier protocole découlant de la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, aussi appelée « Convention d’Aarhus ». En droit international, un « protocole » concrétise les principes contenus dans une convention. Par exemple, en 1997, le Protocole de Kyoto est venu préciser les cibles de réduction à atteindre pour respecter les principes sur lesquels s’était entendue la communauté internationale, en 1992, par la Convention sur les changements climatiques. Le Protocole de Kiev vient donc préciser les obligations des pays signataires quant à la diffusion d’informations concernant divers rejets polluants. Entré en vigueur le 8 octobre dernier, il s’agit du premier instrument juridique international contraignant sur cette question.

Adopté en mai 2003 à Kiev, en Ukraine, par la Commission économique pour l’Europe des Nations Unies (CEE-ONU), dont le Canada est membre, le protocole est cependant ouvert à la ratification par tous les États membres des Nations Unies. Jusqu’ici, seize pays, dont la France, ainsi que l’Union européenne, ont ratifié le Protocole, ce qui a permis son entrée en vigueur le mois dernier. À noter qu’il n’est pas nécessaire d’avoir ratifié la Convention d’Aarhus pour pouvoir ratifier le Protocole de Kiev. Quant au Canada, il n’a ratifié, ni la Convention, ni le Protocole…

Vers la création de registres nationaux

L’objet du Protocole de Kiev, exposé à son article premier, est de « … promouvoir l’accès du public à l’information par l’établissement de registres cohérents et intégrés des rejets et transferts de polluants à l’échelle nationale […] qui puisse faciliter la participation du public au processus décisionnel en matière d’environnement et contribuer à la prévention et à la réduction de la pollution de l’environnement ». Le Protocole oblige donc les entreprises des pays signataires à produire un rapport annuel sur leurs rejets dans l’environnement et leurs transferts hors site pour quatre-vingt-six types de polluants, dont les gaz à effet de serre (GES), les dioxines et les métaux lourds comme le mercure. Outre l’avantage que représente l’inclusion des GES dans un registre public, d’autres sources de pollution diffuse comme la circulation automobile et l’agriculture seront aussi répertoriées dans les registres nationaux.

En outre, le Protocole couvre soixante-quatre activités regroupées par secteurs (énergie, mines, métallurgie, industrie chimique, gestion des déchets et des eaux usées, etc.) qui verront leur niveau de pollution rendu public. On estime que les activités et les substances visées représentent 90 % de la pollution industrielle. La diffusion de ces informations devrait donner au public un bon portrait des niveaux de pollution, par région, par secteur, par produit ou par entreprise. Celui-ci pourra alors jouer un rôle plus actif et mieux informé dans les divers processus de participation à la prise de décisions.
Les registres nationaux devront être conçus de façon à faciliter au maximum l’accès au public par des moyens électroniques tel qu’Internet et contenir des liens menant à des bases de données pertinentes concernant des questions liées à la protection de l’environnement. Des liens électroniques devront aussi permettre de comparer les données avec d’autres registres du même type, qu’ils soient tenus par d’autres États, Parties au Protocole ou non.

Le Protocole prévoit aussi de nombreuses obligations pour les propriétaires ou exploitants des établissements assujettis, que ce soit en termes d’archivage, de qualité ou de mode de collecte d’information. Quant à eux, les États-Parties ont l’obligation de contrôler la qualité des informations soumises et de vérifier leur exhaustivité, leur cohérence et leur crédibilité.

Fait intéressant, l’article trois du Protocole protège ce qu’on appelle les « lanceurs d’alerte » en faisant obligation aux Parties de prendre les mesures nécessaires pour que les employés des entreprises soumises au Protocole, ou les membres du public signalant aux autorités publiques une violation du Protocole par un établissement, ne soient pas victimes de sanctions ou de représailles pour avoir agi ainsi.

Contrairement à ce qui existe dans le Toxic Release Inventory aux États-Unis ou dans l’Inventaire national des rejets polluants au Canada , le Protocole de Kiev cherche à tracer un portrait global de la problématique de la pollution industrielle, plutôt que de s’attarder à couvrir, de façon isolée et à des fins principalement axées sur la sécurité, des centaines de produits chimiques spécifiques. Il est aussi beaucoup plus orienté de façon à faciliter l’accès à l’information et la participation du public. Les États-Parties doivent d’ailleurs s’assurer que le public puisse participer à l’élaboration du registre national.

Conclusion

Il est trop tôt pour mesurer les effets du Protocole de Kiev sur les niveaux de pollution des pays signataires. Cependant, il a déjà eu un effet positif bien réel, soit celui d’influencer le droit communautaire européen sur ces questions et, ce faisant, le droit national des vingt-sept pays membres de l’Union européenne. En effet, pour faire suite à sa ratification du Protocole en 2005, l’Union européenne s’est assurée de sa mise en œuvre en adoptant un règlement communautaire, le 18 janvier 2006, concernant la création d’un registre européen des rejets et transferts de polluants. Ainsi, contrairement à ce qu’on entend trop souvent, le droit international a pu, dans un délai très court, entraîner des conséquences concrètes sur un sujet important comme celui des déchets et des polluants industriels.

Tiré du site GaïaPresse

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