L’auteur invité, Louis Favreau, est titulaire d’une Chaire de recherche en développement des collectivités (CRDC) depuis 1996 à l’UQO
La question de savoir ce qu’est devenue aujourd’hui l’organisation communautaire en CLSC se pose avec d’autant plus d’acuité que celle-ci est sérieusement secouée par la nouvelle conjoncture politique. Et notablement son lien avec des associations citoyennes. C’est du moins ce que ressent fortement le RQIIAC, l’organisation qui regroupe les professionnels qui évoluent au sein de ce qui était jusqu’à récemment le service public de proximité par excellence, le CLSC. La fusion de la majorité de ces derniers avec des hôpitaux et l’offensive de la santé publique pour orienter et « planifier » le développement des communautés est probablement en train d’inverser les choses. Nouvelle conjoncture politique depuis plus ou moins 5 ans, conjoncture plutôt défavorable aux mouvements sociaux et, dans cette foulée, pas très positive pour l’organisation communautaire. D’où le malaise perceptible lors du dernier colloque du RQIIAC de juin 2008. On m’avait demandé de faire avec d’autres la séance de clôture. Conférencier à l’ouverture du premier colloque de cette organisation en 1988, 20 ans plus tôt, j’étais symboliquement bien placé pour commenter ces deux décennies et l’avenir qui vient que je qualifiais de relativement incertain […]
L’organisation communautaire professionnelle de 1988 à 2008 : déjà 20 ans !
Ce qui frappe néanmoins dans ces 20 ans, c’est le constant renouvellement, d’ailleurs appuyé par des recherches de grande qualité et une formation universitaire en organisation communautaire que toutes les universités donnent dans le cadre de leur programme en travail social. Ce qui frappe aussi, c’est le refus de cantonner l’O.C. en CLSC dans le seul service public lié aux politiques d’un ministère, celui de la santé et des services sociaux. Cependant…
Il y a quelques mois, je rencontrais un ex-directeur général de CLSC (il l’avait été dans l’Outaouais et à Montréal) et sa réaction immédiate sur les CLSC d’aujourd’hui a été de dire : «Il faut retourner au travail dans la communauté. Je suis atterré de voir comment on a perdu de vue cette orientation ». Réaction similaire, quoique sur un autre registre, du président du RQIIAC : « bien des choses ont changé depuis 20 ans, mais une chose ne doit pas changer : le cap sur une vision politique du changement social ». Bref, il y a un sentiment assez répandu qu’on étouffe et qu’il faut revenir aux motivations initiales de l’organisation communautaire en les inscrivant certes dans le nouveau contexte bien sûr mais aussi en évitant de simplement s’adapter à celui-ci. En d’autres termes, reprendre l’initiative, saisir les dynamiques émergentes et les accompagner, relancer la vie associative des organisations qui existent déjà, faire vivre de nouvelles associations citoyennes…
Return to basics : organisation communautaire et associations citoyennes
La démocratie s’appuie en premier lieu sur les élus qui nous représentent. Mais l’organisation communautaire a toujours pensé que la démocratie n’est pas fondée sur la seule représentation. Elle est faite de ces milliers d’associations de toutes sortes : des centres de loisirs communautaires de quartier, des coopératives, des syndicats, des organisations qui soutiennent le développement socioéconomique de leur communauté, des groupes de femmes, des réseaux de jeunes, des organisations de producteurs agricoles, des associations d’écolos…
Du mouvement des droits civiques parti du sud des États-Unis avec Martin Luther King en passant par Saul Alinsky qui se consacra à l’organisation des habitants dans les quartiers populaires de Chicago et Cesar Chavez qui forma des syndicats des travailleurs agricoles en Californie, toute une tradition démocratique d’associations citoyennes s’est bâtie dans les années 60-70 sur la promotion de droits sociaux en s’appuyant sur l’approche de l’organisation communautaire. Dans les années 80 et 90, le développement d’alternatives socioéconomiques locales prend les devants de la scène vient enrichir les stratégies de mobilisation citoyenne : mise sur pied d’entreprises collectives (coopératives d’habitation et de travail par exemple), soutien à la petite entreprise locale, développement économique communautaire, organisations et entreprises d’insertion socioprofessionnelle de jeunes…
Au Québec, nous sommes loin d’être étrangers à cette tendance puisque des Opérations Dignité ont exprimé, en région, les protestations des communautés rurales, pendant que les comités de citoyens traduisaient celles des quartiers urbains de Québec, de Montréal, de Hull ou de Sherbrooke. Par la suite, des dispositifs de soutien au développement des communautés (CLSC et CLD par exemple) se sont mis en place dévoilant ainsi la nécessité pour le service public de favoriser la relance des communautés en difficulté… À titre de figures exemplaires de mobilisation citoyenne depuis 20 ans : la mise sur pied d’« holding » coopératif, Boisaco, au Saguenay dans le village de Sacré-Cœur (2000 habitants) ou de la Société Angus à Montréal dans les quartiers Rosemont et Hochelaga-Maisonneuve. Sans oublier les initiatives plus récentes de l’agriculture au service de la communauté (ASC) et du commerce équitable initiés par le mouvement de la consommation responsable. […]
La mobilisation citoyenne est de retour
Prendre part aux décisions qui nous concernent par la mobilisation citoyenne est une clé de l’organisation communautaire. Des exemples québécois : Équiterre et son agriculture au service de la communauté, la présence du mouvement coopératif et du syndicalisme agricole dans la production d’énergies renouvelables, des tables de concertation en développement social comme à Montréal, notamment à Saint-Michel…Des exemples internationaux : le Forum social mondial depuis 2001 jusqu’à aujourd’hui, la Marche mondiale des femmes de l’an 2000 devenue depuis un réseau international organisé, l’émergence de réseaux internationaux d’économie sociale et solidaire ou de développement local depuis un peu plus d’une décennie. Mais dans cette mobilisation où le développement des territoires prend de l’importance se décèle deux tendances : celle d’un développement local solidaire et durable centré sur la communauté et celle d’un développement local centré sur les objectifs programmatiques des pouvoirs publics.
En fait les technocrates du service public ont tendance à oublier que, pour qu’il y ait changement social, les communautés doivent d’abord être des laboratoires d’initiatives qui ravivent l’espoir grâce aux solidarités qu’ils suscitent. J’ai souvent dit lors de conférences et de cours : « Il n’y a pas de communautés condamnées, il n’y a que des communautés sans projet ». Et comme le disait mon ami et collègue sociologue sénégalais Abdou Salam Fall : « Le pouvoir ne grandit que lorsqu’il est véritablement partagé ». René Lachapelle, qui a déjà été président du RQIIAC, disait récemment que nous étions entrés « dans une période de turbulences où il y a perte d’acquis et montée d’approches technocratiques ».
Contestation et concertation : le mythe de l’institutionnalisation progressive et progressiste
De la même façon que des organisations citoyennes ont été capables de passer de la contestation à la concertation –non sans certaines tensions- dans le cadre des partenariats que le gouvernement du Parti québécois avaient offert au lendemain du Sommet de l’économie et de l’Emploi de 1996, plusieurs pensent maintenant qu’il faut revenir à la contestation. C’est ce à quoi nous conduisent d’ailleurs des analyses qui tendent à se faire jour présentement. Sans oser cependant en tirer toutes les conclusions. […]
Ces chercheurs reprennent comme en écho ce que nous disions nous-mêmes en 2007 en conclusion de notre ouvrage sur l’O.C.. Il faut briser le mythe bien établi dans certains courants de pensée à l’effet que nous sommes dans un processus d’institutionnalisation progressive et progressiste.
En premier lieu, l’intégration par fusion d’établissements des CLSC a mis l’organisation communautaire sur la défensive en transformant de plus en plus ces professionnels de la mobilisation citoyenne en agents de planification. Deuxièmement, la perte d’autonomie politique d’organisations communautaires monofinancées comme c’est le cas des Carrefours Jeunesse Emploi (CJE). Ce qui a amené une douzaine d’entre eux à s’en retirer, notamment le CJE de l’Outaouais, carrefour fondateur. Et finalement, l’institutionnalisation précoce de certaines composantes de l’économie sociale, sujet que j’ai traité dans mon livre sur les entreprises collectives. Bref nous ne sommes plus à l’heure de politiques publiques progressistes de la part de nos gouvernements et cela pour un bon moment me semble-t-il. Prenons acte ! De nouvelles politiques progressistes peuvent naître dans la mesure où des mouvements émergeront et mobiliseront sur de nouveaux enjeux sociaux qui se pointent à l’horizon (défis de la crise alimentaire, du réchauffement de la planète…). La société a certes besoin de nouvelles régulations. Mais celles-ci viennent si des mouvements sociaux fournissent des alternatives réelles en bâtissant un rapport de forces qui leur corrrespondent. Return to basics. Le prochain colloque du RQIIAC qui se tiendra en Outaouais en juin 2010 relance-t-il le débat ? En tout cas, son projet de programme l’annonce. […]
On trouve la version complète de ce texte sur le Blogue de Louis Favreau
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