Les auteurs invités sont Gilbert Cette (Université de la Méditerranée, DEFI), Maty Konte (Université de la Méditerranée, GREQAM) et Samuel Chang (Université d’Harvard)
Entre 1870 et 2005, la durée annuelle moyenne du travail (DAMT par la suite) a fortement diminué dans tous les pays industrialisés. Les travaux de comparaisons internationales sur longue période, comme par exemple ceux de Maddison (2001, 2003, 2007), montrent l’importance de cette baisse généralisée : la DAMT s’est réduite de près de 40 % au Japon et 60 % aux Pays-Bas, les autres pays se situant entre ces deux extrêmes.
Cette forte réduction a pris des formes variées selon les pays ou les périodes : réduction de la durée hebdomadaire des travailleurs à temps plein, émergence et développement du temps partiel, émergence et développement des congés payés… Sur la même longue période, la durée travaillée en moyenne par une personne sur l’ensemble de sa vie a par ailleurs été modifiée par d’autres facteurs comme les changements des âges d’entrée ou de sortie de l’activité et tous les autres facteurs influençant les taux d’emploi.
L’explication de cette baisse généralisée de la DAMT est assez simple. La satisfaction des individus est, toutes choses égales par ailleurs, croissante avec leur temps de loisir (de non travail) et leur niveau de consommation. Les arbitrages individuels et collectifs ont abouti à une mobilisation partielle des gains de productivité quasi continus sur la longue période évoquée en faveur d’une réduction du temps travaillé (augmentation du temps de loisirs) plutôt qu’en une augmentation plus forte du pouvoir d’achat et de la consommation.
Pour autant, si la DAMT a bien évidemment eu un impact négatif sur la productivité moyenne par employé, cet impact n’a pas été aussi fort que la DAMT elle-même. En effet, les rendements de la durée du travail ne sont pas nécessairement constants. Il est souvent supposé que les effets de coûts fixes (qui aboutissent à des rendements croissants de la durée du travail), liés par exemple à la présence de plages de temps peu compressibles et non directement productives incluses dans la durée du travail, sont dominés par des effets de fatigue (qui aboutissent à des rendements décroissants). En conséquence, les rendements de la durée du travail seraient globalement décroissants. Cela signifie que la réduction de la DAMT a eu un impact à la fois négatif sur la productivité par employé et positif sur la productivité horaire.
L’hypothèse d’effets de fatigue importants peut étonner quand les niveaux de durée hebdomadaire du travail sont historiquement assez bas dans de nombreux pays industrialisés. Signalons que la durée du travail est ici une moyenne annuelle et que ces effets de fatigue prennent aussi en compte les effets des congés et les arrêts liés à des maladies ou aux maternités.
Peu d’analyses ont proposé des estimations des rendements de la durée du travail. Sur la base d’une étude économétrique réalisée avec des données individuelles d’entreprises, Malinvaud (1973) propose : « Comme il n’y a pas de meilleures indications que celles évoquées ci-dessus, un coefficient de ½ sera retenu pour évaluer l’incidence que la réduction de la durée du travail a sur la productivité horaire ». Compte tenu de moindres effets de fatigue du fait d’une durée moyenne qui s’est raccourcie sur les dernières décennies, les travaux plus récents réalisés dans le cadre d’évaluations des effets de la réduction du temps de travail en France retiennent plutôt un coefficient inférieur (en valeur absolue) à -0,5 (Cf. Cette et Gubian, 1997). Les estimations économétriques récentes réalisées par Bélorgey, Lecat et Maury (2004, 2006), Bourlès et Cette (2005, 2007) ou Aghion et alii (2009) sur des panels de pays industrialisés aboutissent effectivement à une élasticité de long terme de la productivité horaire du travail par rapport à la durée du travail comprise entre -0,35 et -0,55.
Work in progress
L’étude que nous sommes en train de finaliser vise à approfondir sur données macroéconomiques l’évaluation des rendements décroissants de la durée du travail. La question soulevée dans cette étude est celle de la relation entre les rendements de la durée du travail et la durée du travail elle-même. L’idée sous-jacente est que les effets de fatigue peuvent être logiquement très rapidement croissants avec la durée du travail, ce qui aboutirait (toutes choses égales par ailleurs) à des rendements de la durée du travail d’autant plus décroissants que la durée du travail est longue. Une modélisation théorique simplifiée illustre ce mécanisme et des estimations économétriques sont réalisées sur un panel de 17 pays de l’OCDE, à la fois sur un ensemble de cinq sous périodes sur la période 1870-2005 et sur des données annuelles sur la période 1950-2005. Le faible nombre d’observations interdit la mobilisation de méthodes économétriques complexes et divers modèles sont ainsi estimés par la méthode des variables instrumentales. Les modèles estimés sont assez simples et permettent aux rendements de la durée du travail de varier selon la durée du travail elle-même par la présence d’effets de seuils, divers seuils étant alternativement retenus.
Les résultats obtenus apportent une confirmation empirique à l’idée que les rendements de la durée du travail sont d’autant plus décroissants que la durée du travail est longue. Ainsi, les rendements de la durée du travail seraient d’environ 0,5 (ce qui signifie qu’une augmentation de 1 % de la DAMT élèverait la productivité par employé de 0,5 % mais abaisserait la productivité horaire de 0,5 %) pour des DAMT du type de celles connues sur les dernières décennies mais pourraient baisser jusqu’à 0,1 ou 0,2 au-delà de 2 000 heures (une augmentation de la DAMT de 1 % élèverait la productivité par employé de seulement 0,1 à 0,2 % car elle abaisserait la productivité horaire de 0,8 à 0,9 % !).
La significativité des effets de seuil estimés est cependant réduite. Ces résultats empiriques encore très partiels demanderont à être confirmés par d’autres approches. Ils nous semblent cependant apporter une première confirmation à l’idée que les rendements de la durée du travail sont d’autant plus décroissants que la durée du travail est longue.
On trouve le texte complet sur le site de Metis, correspondances européennes du travail
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