L’auteur invité, Jean-Marc Fontan, est professeur de sociologie à l’UQAM, co-directeur de l’Alliance de recherche universités-communautés (ARUC) en économie sociale et animateur du Blog de l’incubateur universitaire Parole d’excluEs
L’histoire commence au milieu des années soixante. Dans la foulée de l’après Deuxième Guerre mondiale, les avancées de la mobilité sociale se conjuguent à une transformation de la demande en main-d’œuvre de la part des entreprises nord-américaines. Ce double mouvement a des effets opposés. Les bénéficiaires des avancées du fordisme, en gros une proportion importante des populations étatsunienne et canadienne, voient leur capacité d’achat progresser, ce qui se traduit par une entrée massive dans l’ère de la consommation de masse et dans celle du « vive la banlieue, délaissons la grande ville ».
Pour de nombreux quartiers urbains des États-Unis, telle la communauté South Shore de Chicago, nous assistons à partir des années 1950 à un lent exode de salariés de la classe moyenne vers les banlieues et à la localisation de travailleurs pauvres ou de personnes sans emploi issues de communautés culturelles dans les logements qui se vident. Avec l’exode de ces personnes fuient les commerces et les services de proximité. D’une façon imagée, le phénomène « little boxes » de Malvina Reynolds prend de l’ampleur et se traduit par l’apparition de « déserts d’investissements » dans des communautés qui prospéraient jusque là.
La contrepartie des transformations en cours est fondamentalement liée aux besoins des entreprises pour une main-d’œuvre mieux formée, plus qualifiée et plus mobile. Les pressions à l’emploi se font alors plus fortes, l’exclusion s’installe. Ces populations ont tendance à se loger là où des opportunités de localisation se présentent. Avec le départ de couches moyennement aisées vers les banlieues, l’occasion est intéressante de se rapprocher du centre ville et des services qu’on y trouve. Mais voilà, les commerces et les services de proximité n’apprécient guère ce changement de profil de clientèle. Ils vont eux aussi avoir tendance à migrer vers des cieux qui leur paraissent plus cléments. C’est dans ce contexte que le conseil d’administration de la South Shore National Bank décide de fermer ses portes à la fin des années 1960 et demande une autorisation de relocalisation. Autorisation qui sera refusée en 1972 par le US Comptroller of the Currency.
Les propriétaires de la South Shore National Bank peuvent certes décider de fermer la banque, mais ils doivent avoir l’autorisation pour en relocaliser la place d’affaires. Ne l’ayant pas obtenue, ils décident de vendre. La banque est rachetée par un groupe d’entrepreneurs à l’esprit communautaire qui décident de faire de cette dernière la première banque communautaire de l’ère moderne des États-Unis. Aujourd’hui, la ShoreBank compte plusieurs succursales dont une branche vouée à la promotion du développement durable. Au fil des années, le groupe financier a revu les fondements de la corporation, ses principes et ses valeurs, pour consolider sa mission communautaire tout en la dotant d’un énoncé clair de promotion du développement durable (Gable, 2007).
Since 1973, the company has financed $3.5 billion toward the renovation and purchase of more than 50,000 units of available housing. ShoreBank also finances the decontamination and redevelopment of abandoned manufacturing sites, and helps businesses find funding to change waste-intensive processes and reduce or eliminate the use of toxic materials. In 2007, the company’s conservation loan originations totaled $185 million, money that is also used to protect and revitalize land and water. (Watson-Larson, 2009, p. 2)
Comment expliquer pareille réalisation ? En revisitant l’histoire de cette banque, quelques conditions de réussite deviennent apparentes.
D’une part, nous retrouvons tout au long de l’histoire du développement de cette banque une volonté d’innover en réponse à des problèmes criants. L’idée maîtresse est certes d’inverser les effets d’un processus de financiarisation reposant sur la volonté de transférer des avoirs des zones locales pauvres vers des zones riches.
Les promoteurs du projet étaient en quelque sorte des visionnaires. Comment ont-ils procédé ? En offrant des prêts à des entrepreneurs issus de communautés culturelles, lesquels étaient à l’époque ignorés par le système bancaire dominant.
D’autre part, en mettant dès le départ sur pied une organisation de développement économique communautaire, la Illinois Neighborhood Development Corporation (INDC), ils se sont dotés d’un levier pour agir sur le développement local de South Shore.
Enfin, en s’appuyant sur la mobilisation de la population locale, tant pour empêcher la délocalisation de la South Shore National Bank que pour renouer une relation de confiance avec des épargnants et des emprunteurs locaux, ils se sont donnés des assises pour assurer la croissance de l’entreprise. Au cœur du processus, nous retrouvons des relations serrées avec des organisateurs communautaires, nous retrouvons l’appui financier de fondations religieuses, enfin, des relations étroites sont tissées avec le milieu universitaire.
ShoreBank illustre une façon relativement simple de contrer l’exclusion découlant de l’enlisement dans le sous-développement qui affectait la communauté de South Shore. Le groupe de financiers communautaires atteint ses objectifs en plaçant au cœur de la mission de cette organisation l’idée qu’il est non seulement possible, mais vital de construire des communautés locales à partir d’une économie inclusive et durable. Ils ont donc tourné le dos aux pratiques bancaires susceptibles d’accentuer le phénomène de l’exclusion.
On peut lire la version complète (avec tous les hyperliens) sur le Blog de l’incubateur universitaire Parole D’excluEs
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