L’auteur invité, Harvey Mead, a été le premier commissaire au développement durable du Québec, en 2007 et en 2008
Dans l’effort visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), cause des changements climatiques, les coûts pour l’économie sont constamment mis en avant. Les gouvernements ne mettent jamais dans la balance les coûts de ces changements climatiques eux-mêmes.
Le Québec, à l’instar de toutes les sociétés développées, détient une responsabilité dans le cumul des GES dans l’atmosphère depuis des décennies, ces gaz restant dans l’atmosphère pour de longues périodes et leurs quantités cumulatives devant être prises en compte. Il faut chiffrer la responsabilité du Québec dans l’émission de ces GES afin que les débats soient engagés sur une base où tous les coûts seraient comparés.
L’évaluation de notre « dette écologique » historique imputable à nos émissions cumulatives jusqu’à aujourd’hui indique que les coûts de leurs impacts se montent à près de 39 milliards de dollars, soit environ 15 % du PIB de la province. Un tel chiffre représente un passif qui est, finalement, une approximation à la « contribution » attendue du Québec par les pays du G77 en compensation du frein à leur propre développement que constituent les émissions cumulées des GES dans l’atmosphère et la nécessité de réduire radicalement les futures émissions.
Consommation d’énergie
En 2012, ces coûts seront de l’ordre de 44 milliards et en 2020, d’environ 84 milliards. Cette évaluation s’insère dans un contexte où le gouvernement du Québec ne vise même pas le respect du protocole de Kyoto, en dépit de déclarations répétées en ce sens. La différence représente environ 15 millions de tonnes de carbone, c’est-à-dire l’équivalent de l’objectif de réduction du plan d’action pour 2012 au complet. Et le gouvernement se dit incapable de viser la cible minimum pour Copenhague avancée par les scientifiques.
Par ailleurs, le Québec connaît un niveau de consommation d’énergie qui n’est d’aucune façon soutenable par l’ensemble de la population humaine, que cette énergie soit « propre », ou « verte », ou « renouvelable », ou non. Le gouvernement vient de sortir un indicateur pour ce sujet, mais il se restreint aux dix dernières années, alors que les données existent pour les cinquante dernières années. De 1958 à 2006, la consommation d’énergie par habitant a augmenté de 82 % au Québec.
Mais même si le protocole de Kyoto était respecté, cette entente internationale reconnaît d’avance l’inertie du système actuel et accepte comme inévitable le fait que 94 % des émissions des pays riches et l’ensemble de celles des autres pays continuent. Les meilleurs efforts de Copenhague ne feront que continuer à diminuer ces augmentations, qui vont en croissant.
La véritable impasse
Tout économiste qui se respecte présente ses bilans en incluant, non seulement les actifs, mais aussi les passifs; les estimations de notre « dette écologique » relative à ces émissions cumulatives permettent d’établir un tel bilan.
Et il n’est pas envisageable que nos dirigeants — pas plus que les contribuables — confrontent la réalité que les coûts qui nous sont imputables représentent, la réalité du bilan. Les changements climatiques sont une catastrophe appréhendée de la même taille économique que la récession appréhendée en 2008. C’est cela, l’impasse que montre Copenhague.
Que cette situation n’ait pas été décrite en termes financiers explique en partie les difficultés, pour ces pays, de reconnaître les revendications des pays du G77. Les pays développés savent que leurs économies gigantesques ont une responsabilité fondamentale dans la situation actuelle, mais ils n’ont jamais calculé les véritables montants en cause. Ce calcul fait, l’envergure de leur « dette écologique » démontre la nécessité d’un changement radical de structure dans leurs économies.
Quelques éléments
On peut bien voir dans l’intervention québécoise récente quelques éléments pertinents pour le changement de cap requis, même s’ils ne sont pas suffisants:
• une reconnaissance que le pic du pétrole exige une réorientation radicale des transports et du système économique qui en dépend, ainsi qu’une réorientation des budgets gouvernementaux dans le secteur dès le prochain budget;
• une reconnaissance de la dépendance totale du Québec envers le pétrole importé;
• une transformation des transports en mode électrique, laquelle transformation ne peut quand même pas se faire aussi « facilement » ailleurs qu’au Québec;
• la mise en place d’un système de plafonnement des émissions et d’échange de droits d’émissions, ou un système de taxation du carbone, même si de tels systèmes seront beaucoup trop limités pour relever le défi signalé — par exemple, pour 2020, le Québec ne voudrait pas augmenter les redevances associées à sa taxe de plus de 0,13 $!
Restructuration des économies
Il n’y aura pas de « protocole de Copenhague » à la hauteur des défis posés avant que les pays riches n’évaluent les coûts des impacts et en tiennent compte. La poursuite de plus en plus irréfléchie de la croissance — de la « reprise » de la croissance, dans les temps qui courent — est tout simplement incompatible avec la gestion du problème des changements climatiques.
Que le Québec se sente obligé de tenir compte «des secteurs d’activités économiques [actuels], de la compétitivité internationale [actuelle], des technologies disponibles [actuellement] et des mesures de transition [qui n'auront pas d'impact]» se comprend très bien et souligne l’inévitable concertation entre les pays riches qui s’imposera. Mais ce discours du gouvernement ne fournit aucune indication d’une reconnaissance de la restructuration des économies des pays riches, dont la sienne, qui est nécessaire. Le calcul de l’empreinte écologique du Québec montrait déjà en 2007 qu’il faudrait trois planètes Terre pour soutenir ce mode de vie.
Ce texte a été tiré de la page Idées du quotidien Le Devoir
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