L’auteur invité est Arnaud Lechevalier, maître de conférences à l’Université de Paris 1 et chercheur au Centre Marc Bloch.
Selon un sondage effectué, dans le cadre du Deutschland-Trend, par l’institut Infratest-dipmap les 4 et 5 janvier auprès d’un échantillon de 1000 personnes, représentatif de la population allemande âgée de dix-huit ans et plus, pour le compte de la première chaîne de télévision allemande (ARD), une majorité des Allemands se prononcent contre les projets de nouvelles baisses d’impôt portées par la coalition gouvernementale. Le sondage a été effectué classiquement selon la méthode des quotas et l’institut indique une marge d’erreur de 1,5 à 3,5 points.
Comme chaque fois avec ce type d’enquêtes d’opinion, il convient d’être attentif à la formulation des questions. La question est posée de la manière suivante : « le gouvernement a annoncé pour l’année 2011 une vaste réforme fiscale prévoyant 24 milliards d’allègements d’impôt. Certaines personnes d’avis critique pensent que, au regard du niveau de la dette actuelle, cette réforme n’est pas finançable. Selon vous, les impôts devraient-ils baisser en 2011 ? ». Il ne s’agit donc pas de savoir si les baisses d’impôts sont ou non souhaitables en elles-mêmes mais plutôt si des baisses d’impôts qui risquent d’accroître la dette publique le sont. A cette question, 58% des Allemands répondent par la négative et 38 % positivement.
En termes d’appartenance politique, ce sont les électeurs des Grünen (84 % contre 14 %) suivis des électeurs du SPD (64 % contre 36 %) qui se prononcent le plus en défaveur des baisses d’impôts, mais une majorité de l’électorat de la coalition gouvernementale ne s’y montre guère plus favorable (57 % contre 37 % y compris pour l’électorat du parti libéral FDP).
Plus remarquable encore est le lien entre le niveau de revenu et l’opinion face à la politique fiscale du gouvernement. Les ménages avec un revenu net inférieur à 1 500 euros mensuels, qui paient peu ou pas – suivant les configurations familiales – d’impôt sur le revenu, sont à 49 % en faveur de baisses d’impôt (contre 45 %), alors que les ménages disposant d’un revenu supérieur à 3 000 euros par mois, qui sont les plus gros contribuables, se prononcent à 69 % contre les baisses d’impôt (contre 31 %). Ce sont donc les ménages les plus susceptibles de profiter des allègements fiscaux qui s’y montrent les moins favorables…
Ceci est à rapprocher de deux considérations. D’une part, l’omniprésence du débat sur la fiscalité dans l’actualité allemande – qui a certes plus de vertus civiques que celui sur l’insécurité en France – conduit progressivement à une reformulation des enjeux. La question est de moins en moins celle des baisses d’impôt en elles-mêmes que, dans un contexte d’appauvrissement de l’Etat fédéral et des collectivités territoriales, celle de l’arbitrage entre des baisses d’impôt, l’accroissement de la dette ou le financement des infrastructures publiques (« préférez-vous X euros de baisse d’impôt mensuel ou le financement de places dans les Kindergarten ? », entend-on de plus en plus souvent dans les débats). L’autre enjeu est celui du sentiment face au déroulement de la crise économique actuelle : 64 % des Allemands pensent que le « pire de la crise est encore devant nous » (contre 51 % en novembre dernier), ce qui est cohérent avec l’évolution prévue du chômage dans les prochains mois après l’exceptionnelle efficacité du « pacte pour l’emploi » (chômage partiel mais aussi accords de flexibilité interne dans les entreprises du cœur industriel) en 2009. Cette opinion est sans surprise rapportée au niveau de revenu (et sans doute plus encore avec les conditions d’emploi) : plus il est faible et, logiquement, plus le sentiment de précarité face à la crise est fort.
Une large majorité d’Allemands se dit prête à préserver un système public de redistribution et des dépenses publiques que la crise rend plus que jamais indispensables ; ce qui confirme les enquêtes d’opinion qui font état d’un fort soutien à la préservation d’un haut niveau de protection sociale. Voilà qui ne va pas manquer d’alimenter les débats au sein de l’actuelle coalition gouvernementale déjà très divisée sur la politique fiscale et budgétaire des années à venir ; en attendant les arbitrages prévus pour la fin du premier semestre.
On trouve le texte complet sur le blog d’Alternatives Economiques
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