L’auteur invité, Louis Favreau, est titulaire d’une Chaire de recherche en développement des collectivités (CRDC) depuis 1996 à l’UQO
De retour d’une semaine à Genève où j’ai participé au congrès de l’Alliance coopérative internationale (ACI) et rencontré des responsables du Service des coopératives du Bureau international du travail (BIT), pour le bénéfice d’un projet de recherche sur l’ACI et d’une conférence internationale à organiser, je crois qu’il faut prendre acte des changements qui s’opèrent dans les mouvements sociaux dont la trajectoire historique est longue. C’est le cas du mouvement coopératif. En d’autres termes, face à la montée de la mondialisation néolibérale, face à la crise globale que nous traversons (écologique, alimentaire, financière…), les mouvements sociaux ont vu leur rôle redéfini au Québec et un peu partout dans le monde développé et, encore plus, dans les pays du Sud. Ces mouvements fournissent-ils quelques réponses inédites à cette pression ? Et de ces réponses nouvelles, le monde coopératif est-il de la partie ? Est-il et sera-t-il un acteur de premier plan à côté d’autres mouvements (communautaire, syndical, écologique…) ?
Une conférence internationale à l’Université du Québec en Outaouais lance le débat en 2008
C’est en septembre 2008, dans le cadre d’une conférence internationale à Gatineau dont l’intitulé était « Initiatives des communautés, politiques publiques et État social au Nord et au Sud », que la question fut soulevée pour la première fois ouvertement et librement. Ce qui ne s’était pas vu depuis longtemps tant les discussions sur les coopératives au Québec sont devenues routinières et convenues.
En effet, à gauche, dans l’ensemble des mouvements, on fonctionne depuis deux décennies sur quelques lieux communs du genre : « Quand elles sont consolidées, quand elles atteignent une certaine taille, les coopératives deviennent des accessoires du capitalisme ». Et quand elles sont émergentes, on dit d’elles « que c’est très compliqué à mettre en place et que tout le monde dirige, donc personne, d’où leurs difficultés d’aboutir ».
À droite, avec la finesse qu’on connaît dans le courant majoritaire présent dans les Écoles de gestion de nos universités, le présupposé explicite ou implicite est le suivant : « Si les coopératives sont si pertinentes qu’elles le prétendent, comment se fait-il qu’il n’y en ait pas davantage ? ».
Réponse à la droite d’abord. Les coopératives sont inscrites dans un rapport de force avec le capitalisme qui domine depuis deux siècles ! On peut d’ailleurs en dire autant du syndicalisme : « s’il est aussi valable qu’il le prétend, pourquoi la majorité des salariés ne le sont pas ? ». Encore là, l’adversaire est de taille et c’est le même. Mais généralement, on le sait plus vite dans une lutte syndicale parce que le rapport de force des travailleurs avec leur patron est plus direct : on licencie les leaders qui veulent mettre sur pied un syndicat, les travailleurs sont souvent forcés à faire la grève pour faire reconnaître leurs droits les plus élémentaires, etc. Il n’y a qu’à penser à l’arrivée d’un Walmart dans une région pour le voir : la quincaillerie locale (souvent une coopérative démarrée par les agriculteurs de la région) est menacée ; les travailleurs du Walmart sont sous pression car l’entreprise prend tous les moyens à sa disposition pour empêcher la syndicalisation ; les commerçants locaux en général (PME tout comme les coopératives) obligés de se redéfinir […]
La contribution des coopératives : réponse à la gauche sceptique
Les coopératives, porteuses d’un projet de société, levier pour repenser l’ensemble de l’économie et de la société et mouvement organisé ? Oui vraiment !? Porteuses d’un projet de société ?
Quelques considérations générales pour commencer. Les coopératives se distinguent par plusieurs aspects. Elles développent des structures économiques solidaires : leur propriété est collective plutôt qu’à capitaux privés. Elles sont fondées sur l’association plutôt que sur l’actionnariat et peuvent être considérées, à des degrés divers, comme étant constitutive d’un mouvement. Parce qu’elles cherchent à transformer – de l’intérieur- le système économique dominant en cohabitant avec des entreprises du secteur privé qu’elles concurrencent sur la base de besoins sociaux (et non du profit) et de valeurs de solidarité (plutôt que de compétition). Elles forgent des alliances (durables ou temporaires) avec d’autres acteurs sociaux sur la base d’intérêts communs et d’un projet de société qui, sans nécessairement être toujours très explicite, rejoint les autres acteurs sociaux parce qu’il se veut démocratique, solidaire et de développement durable.
C’est ainsi qu’au début des années 1990 les coopératives québécoises, réunies en États généraux de la coopération, se sont données un nouveau manifeste et de nouvelles structures. Tous les secteurs (anciens et plus nouveaux) se sont en quelque sorte « confédérés » en réaffirmant l’importance d’avoir un Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (à l’époque Conseil de la coopération). Puis l’air du temps a commencé à favoriser une stratégie de développement coopératif, non seulement par secteurs mais aussi sur la base des territoires, ce qui allait finalement donné naissance à des coopératives de développement régional (CDR) sur tout le territoire du Québec et à une fédération des CDR. Le mouvement coopératif québécois n’est d’ailleurs pas le seul à avoir fait cette opération. Le mouvement coopératif à l’échelle internationale s’est aussi interrogé à la même période sur l’identité coopérative et sur la manière de s’organiser (Congrès de 1992 et 1995 de l’Alliance coopérative internationale).
Cependant depuis 20 ans, le paysage économique et social mondial s’est transformé plus profondément qu’on ne l’aurait cru : grandes transitions économiques, politiques, sociales et environnementales planétaires ; explosion des pratiques coopératives un peu partout dans le monde ; transformation des grandes organisations sociales nées ou reconstituées dans l’après-guerre (mouvement syndical, mouvement des agriculteurs, mouvement coopératif) ; émergence de nouveaux réseaux ou de nouvelles organisations (mouvement de la consommation responsable, commerce équitable, réseaux d’économie solidaire et de développement local…). Sans compter la montée d’une internationalisation de l’action collective à travers l’expérience des Forums sociaux mondiaux…Autrement dit, le mouvement coopératif et tous les mouvements sociaux disposant d’une certaine trajectoire historique ont été interpellés dans leurs orientations comme dans leurs stratégies de développement pour faire face à ces nouveaux défis (urgence écologique, mondialisation néolibérale, crise alimentaire…). […]
Au Québec, des changements, chiffres à l’appui
Si les coopératives font partie intégrante du paysage québécois depuis plus d’un siècle, Marie-Joëlle Brassard, directrice de la recherche et du développement au CQCM, constatait une recrudescence de cette forme d’entreprise depuis une quinzaine d’années notamment dans de nouveaux secteurs. Les coopératives sont de plus en plus nombreuses (3 300 coops et 39 mutuelles en 2007), diversifiées (40 secteurs d’activités), emploient une importante main-d’œuvre (87 461 travailleurs) et représentent sur le plan économique un chiffre d’affaires de $22 milliards. La plupart sont regroupées au sein d’un mouvement par l’intermédiaire d’une quinzaine de fédérations lesquelles sont réunies au sein d’un Conseil général de la coopération, le CQCM. Dans les dix dernières années, pas moins de 160 coops ont été annuellement créées en moyenne. Et plusieurs, de façon significative, dans des secteurs émergents : santé, services de proximité (épicerie générale, quincaillerie et centre d’horticulture, station-service…), services à la personne, énergies renouvelables, agriculture biologique, etc. […]
Le mouvement coopératif dans le monde bouge-t-il ?
[…] Comment nourrir la planète ? Quel rôle pour l’économie sociale ? Rassemblés à Chamonix les 9 et 10 novembre dernier, 200 dirigeants de 35 pays ont discuté de la crise alimentaire mondiale, en présence d’émissaires de plusieurs institutions des Nations Unies (PNUD, BIT, PAM, FAO) ainsi que de représentants de l’ACI (Alliance coopérative internationale), de l’AIM (Association internationale des mutuelles) et de centres de recherche. Le CQCM, par son président Denis Richard (également président de la Coop fédérée) et le secrétaire exécutif de Coop fédérée Jean-François Harel, participaient à ces Rencontres du Mont-Blanc (RMB). Perspective : développer des projets internationaux et participer au renforcement international de l’économie sociale (lire ici « coopératives, mutuelles, associations entreprenantes ») pour « mondialiser au profit de tous ». Les RMB y tenaient cette année leur quatrième édition sur le thème de l’alimentation mondiale. Parmi les engagements pris à ces rencontres, quelques-uns sont liés à la participation du mouvement coopératif québécois : 1) un projet de notation durable des coopératives agricoles conduit par Coop Fédérée (Québec) et Coop de France (en Bolivie et en Chine), projet faisant le lien avec les projets de nouveaux modèles coopératifs agricoles soutenus par Coop Africa (10 pays) ; 2) l’expérience d’agriculture écologique intensive expérimentée par la coopérative agricole française Terrena avec Coop Fédérée. De même les RMB entendent développer des partenariats notamment avec le BIT (de nouveaux modèles de coopératives), le PNUD, la FAO, l’Alliance coopérative internationale (en micro-finance) et avec l’Association internationale des mutuelles (en matière d’assurance-santé). […]
Les coopératives influencent-elles la marche générale des États à l’échelle du monde ?
Les coopératives, porteuses d’un projet de société et fournissant, au plan local, des réponses pratiques à des besoins sociaux de communautés, arrivent-elles pour autant à exercer des changements à une échelle plus grande que celle du local ? À l’échelle internationale, rien n’est gagné d’avance. Chose certaine, le mouvement coopératif international gagne à se rapprocher du mouvement citoyen international en participant notamment à des initiatives comme le Forum social mondial. D’autre part, au Québec, un des prochains enjeux du CQCM sera sans doute de se doter d’une politique internationale plus explicite. Dossier à suivre.
On peut lire le texte complet sur le blogue de Louis Favreau
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