L’auteur invité, est Harvey Mead, fondateur de Nature Québec, organisme qu’il a présidé presque continuellement de 1981 à 2006. De janvier 2007 à janvier 2009, Harvey Mead a agi à titre de Commissaire au développement durable au Bureau du vérificateur général du Québec.
Le gouvernement mène actuellement un processus de consultation sur l’élaboration du budget 2010-2011. Le ministre des Finances (MFQ) a formé un Comité sur l’économie et les finances publiques dont le mandat – tout comme le premier fascicule de son rapport – cible les « conditions de la reprise économique » pour relancer la croissance économique, réduire le fardeau de la dette, maintenir le caractère concurrentiel de l’économie, améliorer la productivité, cela en assurant le financement de services publics de qualité et en se dotant d’infrastructures adéquates et renouvelées.
C’est une sorte de quadrature du cercle, motivée par une volonté de garder le modèle économique actuel, en dépit de mises en cause fondamentales de ce modèle lors des analyses des crises financière et économique des deux dernières années. Les travaux passent aussi à côté d’enjeux tout aussi fondamentaux, soit ceux associés aux passifs environnementaux et sociaux, dette qui se révèle tout aussi importante et dramatique. Il est presque incompréhensible qu’il ne soit aucunement question de cette dette au cours du processus d’identification des perspectives et des orientations pour les deux prochaines décennies – mais le discours économique est devenu tellement rituel et exempt de réflexion, que ces « œillères » ne sont pas si surprenantes.
Les crises sociales et environnementales viennent à échéance
Cette absence de réflexion n’est pas sans conséquence. Le prix des grains et le prix du pétrole ont explosé en 2008 et ces événements n’étaient pas accidentels. À la suite de la crise du système financier, les spéculateurs semblent clairement avoir changé de cibles. Nous savons [eux, le savent depuis des années] que le marché mondial du grain va devenir un enjeu important : dans les deux prochaines décennies, la Chine à elle seule pourrait requérir jusqu’à deux fois la quantité de grains produits dans le monde entier pour l’ensemble du commerce international. Et nous savons également, comme eux, que le pic du pétrole va créer une pression sur les marchés pour cette ressource non renouvelable. Cette explosion des prix n’est pas la dernière que nous verrons. […]
On pouvait difficilement s’attendre à autre chose. L’avenir du « développement » de la société est entre les mains du MFQ, ministère central pour toute décision gouvernementale. […] La mission du MFQ est de « favoriser le développement économique et de conseiller le gouvernement en matière financière ». Le Ministère intervient en fonction de huit mandats, dont le premier touche directement les interventions budgétaires et le deuxième oriente plus généralement les questions de stratégies globales de développement, y compris le développement social.
Ce qui est frappant – et déconcertant – dans le processus qui découle de cette structure gouvernementale, c’est que le MFQ n’a aucune compétence relativement aux fondements de cette structure économique.
Ces fondements résident dans les processus écosystémiques qui constituent le cadre de toute l’activité humaine, non seulement économique, mais également sociale. Ils fournissent les matières premières pour le « développement économique » et représentent la poubelle dans laquelle tous les détritus résultant de ce développement sont placés. Et, contrairement aux fondements théoriques du système financier et économique, la capacité de ces écosystèmes de jouer le rôle qu’on leur reconnaît implicitement mais non explicitement est limitée.
Prendre en compte le contexte mondial
Rappelons-le, les principaux acquis des sociétés « développées », dont le Québec fait partie, sont assez faciles à identifier. Il s’agit des systèmes de santé publique qui ont permis à la population de connaître un accroissement de son espérance de vie pour l’élever à des niveaux inconnus auparavant. Il s’agit des systèmes d’éducation officielle ou extrascolaire qui ont permis à notre population d’atteindre des niveaux de connaissances de tous genres, facilitant la production de biens et de services matériels inégalée dans l’histoire de l’humanité.
Nous avons vu le rôle de ces gouvernements lors de la crise financière – partout dans le monde – en 2008-2009. Ce rôle avait été négligé par les gestionnaires, et on a reconnu que les gouvernements devaient revenir à leur rôle d’encadrement des activités de la société. Le processus budgétaire en cours au gouvernement du Québec ne semble se pencher d’aucune façon sur les remises en question qui s’imposent dans ce contexte.
[…] Le ministère des Finances du Québec n’était pas à Copenhague, ni le ministère des Ressources naturelles, ni celui des Transports. C’était le ministère de l’Environnement qui y « représentait » le Québec, avec un plan d’action ne répondant pas à l’engagement minimum nécessaire identifié par les scientifiques; ce plan a été visiblement orienté par le ministère des Finances in absentia.
Quant au Premier ministre Jean Charest, il y travaillait avec d’autres autorités d’États fédérés pour mousser des interventions qui dépassaient dans leur contenu celles des principaux acteurs de la conférence, mais qui étaient, somme toute, presque risibles vu leurs faiblesse à l’égard des enjeux identifiés clairement par le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
Le développement dans les prochaines décennies
C’était pourtant ce même Premier ministre qui a ouvert la session spéciale de l’Assemblée nationale sur le budget en mars 2009 avec un discours percutant […].
Rappelons que le projet de développement des ressources minières du Nord québécois est proposé sans que son principal responsable, le ministère des Ressources naturelles, ne détienne les connaissances requises pour considérer les enjeux qui y sont associés. Pire, le Plan Nord québécois se bâtit en reconnaissant que nous avons épuisé les ressources minières dans le Sud, sans planifier les suites qui devraient aller de soi dans un processus de « développement durable », sans fournir la moindre indication des connaissances permettant d’éviter la répétition des erreurs à l’avenir.
En effet, le Plan Nord détourne l’attention des problèmes de développement dans le Sud. Là, l’effondrement du viaduc de la Concorde en 2007 a ébranlé le gouvernement, qui a été obligé de reconnaître ce que des gouvernements successifs ont refusé de reconnaître : la vaste infrastructure mise en place depuis cinquante ans pour soutenir les acquis en santé, en éducation et en mobilité n’a pas été entretenue au fil des ans.
Le processus budgétaire en cours comporte un engagement de l’ordre de dizaines de milliards de dollars pour du rattrapage en matière de maintien de ces infrastructures, le maintien des acquis qui ne constitue ni du développement ni du progrès. Pour mener une partie importante de cet effort, les responsables gouvernementaux, le ministère des Transports et le ministère des Affaires municipales, n’ont pas la capacité d’assurer la cohérence de la planification et la coordination efficaces des travaux requis.
Voilà donc d’autres enjeux pour le processus budgétaire et l’identification d’orientations gouvernementales pour les prochaines décennies, spécifiques au contexte québécois, et ils n’incluent pas le fait que la moitié de l’énergie consommée au Québec, du pétrole importé, est sujette à tout ce qui gravitait autour de l’échec de Copenhague.
L’ensemble des enjeux esquissés ici ne fait pas partie de ceux analysés dans le fascicule préparé par le comité conseil du ministère des Finances, alors qu’il s’agit d’enjeux incontournables, reconnus comme tel par le Premier ministre. La « véritable révolution » ne semble pas se dessiner dans le processus de consultation prébudgétaire.
Il est vrai que notre développement pendant « l’ère du pétrole » ne tenait pas compte de ces enjeux, tenant pour acquis le rôle que jouaient les écosystèmes planétaires dans tout cela. Le processus budgétaire de 2010 est unique, parce qu’il comporte la nécessité de faire face à la pire crise des finances publiques de l’histoire de la province (à l’exception peut-être de la situation à la fin de la Deuxième Guerre mondiale). Il est exceptionnel aussi en raison de la nécessité de reconnaître que le Québec fait également face à une série de crises, en gestation depuis des décennies, et qui atteignent maintenant leur paroxysme.
Pour lire l’analyse complète d’Harvey Mead, allez sur le site de GaïaPresse
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