L’auteur invité est Arnaud Lechevalier, maître de conférences à l’Université de Paris 1 et chercheur au Centre Marc Bloch. Il collabore au magazine Alternatives Economiques
La politique fiscale de la nouvelle coalition est empreinte d’une idéologie libérale plus que jamais inadaptée aux défis de l’heure. Son financement est pour le moins aléatoire et promet des lendemains douloureux en termes de dépenses et d’investissements publics. Elle n’aura pour seul effet certain que d’accroître les inégalités de revenu et de patrimoine.
« Mehr Netto vom Brutto !»
« Nous concevons la politique fiscale comme une politique de soutien à la croissance » peut-on lire dans le contrat de coalition. Mais pas n’importe quelle politique fiscale… Puisque les bonnes vieilles augmentations de salaires bruts, calées sur les gains de productivité, ont disparu de l’horizon de la pensée dominante en Allemagne, à revenu brut donné, le seul moyen d’augmenter les revenus nets, c’est de diminuer le prélèvement socio-fiscal (mehr Netto vom Bruttolohn). Cette politique n’aurait pas seulement pour vertu de libérer le Mittelstand (les classes moyennes salariées et non salariées) de l’Etat, cet « effroyable corps parasite qui recouvre comme d’une membrane le corps de la société (…) et en bouche tous les pores », (cela aurait pu être du Guido Westerwelle, le chef du parti libéral FDP, mais c’est en réalité de Marx dans le « 18 Brumaire »…), elle aurait aussi des effets incitatifs. On connaît la chanson par cœur : les baisses d’impôts stimulent la croissance et donc, à terme, améliorent le solde budgétaire des administrations publiques.
Les relations entre taxation et croissance sont en réalité beaucoup moins immédiates que ne le laisse penser cette fable de Laffer. Malgré la diversité des approches et des résultats auxquels ont conduit les travaux consacrés à ces questions, on peut, dans le présent contexte, retenir trois choses : il n’existe pas d’évidence empirique au plan macroéconomique d’un lien entre le niveau d’imposition et le taux de croissance des économies nationales. En revanche, les dépenses publiques productives (éducation, recherche, santé) stimulent la croissance. Deuxièmement, les baisses d’impôt ne s’autofinancent jamais à 100% : elles se traduisent toujours par un manque à gagner pour la puissance publique. Troisièmement, si la structure des impôts peut importer de manière générale, les baisses d’impôt sur les plus hauts revenus sont le moins susceptibles d’avoir un effet sur l’augmentation de l’offre de travail (pour simplifier : les riches n’ont pas besoin de travailler plus pour gagner plus…) et, partant, sur l’augmentation de la production. Quant à la baisse de l’impôt sur les successions, il existe peu de justification économique solide pour la fonder et bien des considérations sociales pour la condamner (« égalité des chances » dans le registre libéral ou, plus pertinent, égalité en termes de libertés « réelles », ou encore lutte contre la reproduction sociale).
Les réformes fiscales programmées
C’est bien cette politique de baisse d’impôt, qui profitera pleinement aux revenus les plus élevés, que dessine le programme gouvernemental de la nouvelle coalition, qui porte incontestablement, de ce point de vue, la marque du parti libéral (FDP). Logiquement le train des réformes arrivera en deux temps : les cadeaux fiscaux et la majoration des prestations familiales interviendront dès le mois de janvier prochain et seront amplifiées dans les années à venir. […]
Selon l’OCDE, le total des prélèvements publics s’élève en Allemagne à 35,7% du PIB, contre 37,5% au Royaume-Uni, 43,5% en France et 40% en moyenne dans l’UE à 15. L’impôt sur le revenu des personnes physiques représentait, en 2006, l’équivalent de 8,7% du PIB en Allemagne (contre 7,7% en France), soit environ 23% du total des recettes fiscales. Ce niveau, pour le principal prélèvement progressif en Allemagne, est là encore inférieur à la moyenne des pays de l’UE à 15 (10,3%). […]
Les recettes de l’impôt sur le revenu augmentent si les revenus progressent mais que le barême de prélèvement n’est pas revalorisé chaque année, en général comme la hausse des prix (si mon revenu augmente de x% mais que les tranches de revenu auxquelles s’applique les taux d’imposition demeurent les mêmes, je vais payer plus d’impôt). C’est cette situation qui prévaut en Allemagne et entraîne, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation « implicite » de la progressivité du prélèvement (kalte Progression) par rapport au revenu. Concrètement, les baisses d’impôts décidées ces dernières années ont plus que compensé ce phénomène. […]
Mais le morceau de bravoure est encore à venir : il s’agit d’une réforme globale de l’impôt sur le revenu. Les divergences intervenues à ce sujet lors des négociations du contrat de coalition ont conduit, là comme ailleurs, à une formulation tellement alambiquée, qu’il est difficile d’anticiper le contenu exact de la réforme. […]
Parallèlement, l’impôt sur les successions, pourtant d’un montant global faible, sera encore réduit pour les légataires appartenant à la fratrie de la personne défunte et pour leur descendance. Les contraintes portant sur la transmission d’entreprises seront parallèlement bien entendu « allégées » (notamment quant aux délais concernant la masse salariale à verser). Les entreprises ne sont évidemment pas oubliées avec une augmentation des possibilités de déduction fiscale des charges d’intérêt, centrées sur les PME, ou des dettes en cas de reprise d’entreprise. […]
La quadrature du cercle de la politique budgétaire allemande
Comment ces baisses d’impôt seront-elles financées alors même que les effets de la crise et des deux plans de relance (trois fois supérieurs par leur ampleur à « l’impulsion budgétaire » qui vaut, en France, un maroquin ministériel à M. Devedjian) conduisent déjà à creuser fortement les déficits publics, sur lesquels pèsera un peu plus dans les prochains mois l’accroissement du chômage ? C’est loin d’être clair : sans doute le seront-elles dans un premier temps par l’accroissement du déficit et de la dette publique. La Chancelière, hier (en 2005) néo-libérale, convertie pour l’heure au keynésianisme, trompette à chaque apparition publique récente qu’il ne faut pas « casser la reprise ». Il convient de saluer ce pragmatisme. Mais à moyen terme, faudra-t-il aller jusqu’à financer les baisses d’impôt sur les plus hauts revenus par la dette, c’est-à-dire les créances sur l’Etat que les mêmes accumulent sur leurs comptes d’épargne ? « Les deux vices marquants du monde économique contemporains sont, en premier lieu, que le plein emploi n’y est pas assuré, en second lieu, que la répartition de la fortune et du revenu y est arbitraire et manque d’équité », écrivait Keynes dans sa « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » en 1936.
La coalition gouvernementale emmenée par Mme Merkel est donc confrontée à la quadrature du cercle (mission qu’elle a déléguée à un spécialiste suffisamment expérimenté pour n’avoir rien à perdre et qui n’appartient pas au cercle de ses intimes : Wofgang Schaüble). Elle s’est mise dans l’obligation de réduire rapidement les déficits publics, alors même qu’elle a été contrainte d’augmenter, à court terme (plans de relance), les dépenses, et que son gouvernement promet de généreuses baisses d’impôt.
Certains s’en réjouiront dans les capitales européennes en voyant leur propre marge de manœuvre croître, à commencer par Paris – en oubliant que le déficit avait été réduit substantiellement par la grande coalition grâce à une hausse d’impôts qui n’avait en rien pénalisé la croissance entre 2005 et 2008…. Il n’en va pas de même pour les assurés sociaux allemands. Car les principales baisses de dépenses publiques envisageables à l’avenir sont limitées en matière d’investissement public, ramené depuis une dizaine d’année à moins de 1,5% du PIB (3,7% en 1980, 2,5% en 1990), ou de masse salariale ; les fonctionnaires et salariés du Bund, des Länder et des communes ont vu leurs effectifs fondre en dix ans (-50.000 pour le Bund, -400.000 pour les Länder, moins 350.000 pour les communes). Les marges de manœuvre concernent principalement les transferts de l’Etat aux régimes de sécurité sociale… A suivre.
Le texte est tiré du blog d’Alternatives Economiques
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