Les auteurs invités sont Michel Genet et Bernard Bayot, de l’organisation belge Financité
Depuis quelques mois, les citoyens du monde, notamment dans notre pays [la Belgique, NDLR] ont la douleur de découvrir ce qu’est devenu le métier de banquier. Traditionnellement, celui-ci se targue d’être un rouage essentiel de l’économie. D’un côté, il permet aux épargnants de préserver et de faire fructifier leur épargne. De l’autre il transforme cet argent en prêt pour les agents économiques que sont les ménages, les entreprises et les organisations publiques et privées. Ce mécanisme paraissait fluide et sans défaut, au service de tous et de chacun. Mais, au fil du temps, l’image d’Epinal s’est peu à peu écornée.
Au début des années ’80, des organisations religieuses et des ONG se sont inquiétées du fait que leur épargne pouvait être utilisée en Afrique du Sud, en appui au régime de l’apartheid. C’est que les banques sont bien peu disertes sur la manière dont elles transforment notre épargne. Lentement, les consciences se sont éveillées et les clients des institutions bancaires ont réalisé que placer de l’argent n’est pas un geste neutre. Cette dynamique ne va cesser de se renforcer dans le courant des années 1990 et une autre dimension est apportée à l’investissement éthique. Il ne s’agit plus simplement d’exclure des entreprises en fonction de leurs activités, mais bien de mieux décortiquer leurs modes de fonctionnement afin d’encourager les meilleures de chacun des secteurs. Les firmes sont comparées entre elles sur différents indicateurs – système de « best-in-class » —, puis sélectionnées en vertu de leur engagement envers la société.
Il n’empêche, en avril 2004, on se rend compte que du travail reste à faire pour responsabiliser le monde bancaire: un rapport d’enquête est publié par Netwerk Vlaanderen au sujet des investissements de cinq grandes banques actives en Belgique (Axa, Fortis, Dexia, ING et KBC) dans les industries qui fabriquent des armes « controversées » : mines antipersonnel, bombes à fragmentation, bombes à uranium appauvri ou armes nucléaires. Ce rapport démontre que, directement ou indirectement, ces cinq institutions financières avaient des liens financiers avec 13 entreprises de ce secteur, à hauteur de 1,2 milliard d’euros. Face à ce constat, les clients/épargnants de ces banques leur ont demandé de se retirer de tout investissement ou financement dans de telles entreprises et d’élaborer et de mener une politique qui interdise tout lien financier futur de ce type.
Mais, plus largement, la question posée est celle de l’information et du contrôle dont bénéficient les clients/épargnants à l’égard des investissements et des financements accordés par leur banque non seulement dans l’industrie de l’armement mais aussi dans d’autres entreprises peu soucieuses du respect des droits humains et de l’environnement : que fait ma banque de mon argent ? Celle-ci ne doit-elle pas informer clairement, honnêtement et complètement ses clients de sa politique d’investissement et rendre public son portefeuille d’investissements et de financements ?
Par ailleurs, au milieu des années ’90, avec la chute de la banque Barings, on s’est rendu compte qu’une banque aussi ancienne et prestigieuse pouvait tomber en faillite parce qu’un de ses traders a fait des placements hasardeux, en dehors de tout contrôle. Durant les années suivantes, dans un paysage belge où tout acteur financier public avait disparu, emporté par la vague néo-libérale, il a fallu constater que non seulement l’accès à un crédit adapté mais aussi l’accès à un simple service bancaire de base (avoir un compte courant, disposer d’une carte de débit, …) n’étaient plus garantis à qui ne montrait pas patte blanche, à savoir ne justifiait pas de suffisamment de revenus pour se montrer intéressant pour la banque.
Car, entre-temps, les banquiers s’étaient trouvés une activité bien plus rémunératrice que les crédits – que certains, en privé, avouaient ne plus trop pousser -, à savoir les commissions sur les placements financiers. Côté crédit, outre la pratique de la titrisation qui a permis de disperser le risque loin de tout contrôle régulatoire, on appliqua les fameux systèmes de « scoring », dans lequel les données de l’emprunteur sont passées à la moulinette standardisée d’un ordinateur, quelle que soit la relation de confiance qu’aurait pu développer l’agent bancaire avec son client. Combien de fois les travailleurs du secteur ne se sont-ils pas sentis profondément mal à l’aise d’être devenus des auxiliaires d’une course effrénée au profit, bien loin de cette vocation de confidents des clients, où la confiance était le maître mot d’une relation réussie. Et Dieu sait si ce sentiment de mal-être était encore plus perceptible chez les employés issus des banques publiques ou coopératives.
La crise financière [de 2008-2009] a, sans ambiguïté, montré les limites d’un modèle de ce type, qui n’était ni suffisamment transparent, ni suffisamment contrôlé pour être durable. On est bien loin de l’image d’Epinal évoquée plus haut. Est-ce pour autant une fatalité ? D’autres modèles, parfaitement viables, existent: celui de la caisse d’épargne qui reste un modèle dominant dans des pays comme l’Espagne ou l’Allemagne, la banque postale qui s’avère une success story dans un pays comme la Nouvelle-Zélande, des banques coopératives comme la future banque éthique européenne qui naîtra de la fusion de Banca Etica en Italie, de Fiare en Espagne et de la NEF en France, ou encore des banques spécialisées dans le développement durable comme Triodos et des coopératives de crédit comme Crédal.
Sortir de la crise bancaire belge par le haut ne paraît possible qu’à la condition d’en revenir au métier de base, récolter l’épargne pour octroyer des crédits, et se donner des objectifs précis. Bien sûr, créer de la valeur financière – on ne parle plus que de cela ces derniers jours, comme aux meilleures heures de la finance casino – mais aussi poursuivre l’intérêt général de trois manières : en assurant le développement local par une politique de crédit appropriée, en garantissant l’inclusion financière de tous par une offre de produits simples et adaptés et en favorisant le développement durable par l’intégration de critères sociaux et environnementaux dans les politiques de crédit et de placement. La banque, dans cette conception, devient un vrai service d’intérêt général, qu’il appartient aux pouvoirs publics d’assumer ou de confier à un opérateur externe. Soit donc la création d’une banque publique, soit une initiative qui s’inspire de la diversité des solutions bancaires évoquées plus haut pour fonder un projet pluriel et novateur où seraient impliqués, aux côtés des pouvoirs publics, d’autres acteurs qui sont issus de la société civile (syndicats, ONG, congrégations religieuses, entreprises d’économie sociale, universités, mutuelles, …) et dont la finalité sociale fonderait celle de cette banque d’intérêt général.
Que peut faire le citoyen devant un tel enjeu qui peut paraître le dépasser ? Nous l’avons vu, c’est lui qui, au travers de ses indignations et de sa volonté de changement, a permis de nourrir la réflexion pour une plus grande responsabilité du monde bancaire. C’est encore lui qui a aujourd’hui les cartes en main pour construire une banque d’intérêt général : des cartes politiques pour peser sur les choix des pouvoirs publiques, sociales pour convaincre les acteurs de la société civile et, bien sûr, consuméristes car, en fin de compte, c’est lui qui choisi sa banque.
On peut lire le texte complet (avec ses nombreuses notes de bas de page) sur le site de Financité
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