L’auteure invitée est Isabelle Ménard, conseillère syndicale responsable de l’environnement au Service des relations du travail de la Confédération des syndicats nationaux (CSN)
À la suite des révélations scientifiques concernant les changements climatiques, nombre d’entreprises et d’organisations se sont engagées à agir par des déclarations, des politiques, des plans verts et des nouveaux modèles d’affaires.
De plus, nous savons maintenant que 70 % des émissions totales de GES sont liées à l’organisation du monde du travail (industries manufacturières, production énergétique, transport, construction et secteur forestier et agriculture). Il devient donc essentiel de revoir les modes de production pour s’attaquer avec sérieux aux défis environnementaux.
Toutefois, plusieurs initiatives évitent une dimension importante : celle de la participation des travailleurs. Cette mobilisation recèle pourtant un potentiel de changements à explorer. En effet, les travailleurs peuvent aider à modifier le cours des choses en matière de protection de l’environnement.
WoW!
Il y a eu en parallèle aux négociations politiques entre les États à Copenhague des dizaines d’événements, comme le colloque international intitulé WoW, (World of Work) organisé par la centrale syndicale danoise. Les approches macros et micros du monde du travail y ont été discutées.
Des syndicats des Pays-Bas, de l’Australie, des États-Unis, d’Angleterre, du Québec et du Japon ont partagé les expertises développées localement pour réduire les gaz à effet de serre (GES), avec le souci de préserver les emplois et de les « écologiser ». De même, ces syndicats désiraient profiter de l’occasion pour orienter le discours et la pratique vers une économie plus verte, en favorisant la création d’emplois dits « verts » et décents. Une économie dite « verte » est aussi une économie durable et faible en carbone ou en hydrocarbures.
Le colloque WoW a mis en évidence le point de vue macro de certaines centrales syndicales, comme celle du Danemark, qui a développé des politiques climatiques accordant la priorité à la sécurité et à l’approvisionnement énergétique. D’autres présentations, notamment celle des Pays-Bas, exposaient un point de vue davantage micro avec l’écologisation des milieux de travail et des impacts positifs sur la protection de l’environnement (Green at work).
Le colloque a aussi fait ressortir au cours de discussions vives et intéressantes la nécessité que les emplois dits verts intègrent des mesures de protection de l’environnement (contrôle des émissions atmosphériques et des effluents, gestion des déchets dangereux et programme d’efficacité énergétique), pour être qualifiés de verts. C’est le cas, par exemple, dans le secteur des énergies renouvelables comme celui de la fabrication de plaques photovoltaïques qui exige l’extraction de métaux ou de la fabrication de pales d’éoliennes conçues à partir de résine.
L’exemple japonais
La Confédération des syndicats japonais a présenté au colloque un cas concret d’adoption de mesures de transition d’une économie basée sur l’utilisation du charbon, vers les énergies renouvelables, en passant par le pétrole. Depuis sa défaite à la Deuxième Guerre mondiale, le Japon a utilisé le charbon comme levier pour redémarrer son économie d’après-guerre. Quelque 460 000 personnes travaillent dans les mines de charbon. À la fin des années 1950, la ressource s’épuisait, la pollution s’accentuait et on constatait un impact sur la santé de la population et les écosystèmes. Le Japon a alors choisi de passer à une économie reposant sur le pétrole. Durant cette période de transfert, les travailleurs ont eu droit à une série de mesures sociales incluant de la formation, une réorientation, des assurances, etc., et cela a été accompagné d’investissements dans le secteur de la recherche et du développement.
La transition graduelle des travailleurs s’est révélée être un défi de taille qui a tout de même été surmonté et a minimisé les impacts sociaux dus aux changements énergétiques. Pour compenser ses émissions de carbone, le Japon a entrepris une vaste campagne de plantation d’arbres sur les terrains victimes de la déforestation et de la pollution par le charbon. Cette campagne a été réalisée grâce à une concertation entre les centrales syndicales, le gouvernement, les employeurs et la société civile.
Des travailleurs conscientisés
Nous avons constaté que la réflexion et la prise de conscience d’une nécessaire transition vers une économie faible en carbone et la création d’emplois dits « verts » ont fait du chemin, tant parmi les travailleurs, que les employeurs et dans la société civile européenne. Plusieurs rapports provenant des confédérations syndicales d’Europe exposent ce fait (CES, CSI, PNUE, OIT). La discussion est amorcée depuis quelques années au sein des centrales syndicales, mais, tout comme chez nous au Québec, il reste beaucoup reste à faire quant aux moyens à prendre pour se réorienter vers une économie faible en carbone.
Au Québec et au Canada, l’analyse et les liens entre les changements climatiques, l’emploi et la transition vers une économie verte sont plutôt embryonnaires. La CSN et L’École des Hautes Études Commerciales (HEC) de Montréal ont documenté dans un rapport les meilleures pratiques en environnement dans les milieux syndicaux, tant à l’échelon international, que national. En quelque sorte, il s’agissait d’identifier les organisations syndicales qui ont écologisé leur milieu de travail et de rendre compte des impacts de ces choix sur l’organisation du travail. Ce rapport traite de tous les enjeux en environnement, incluant les changements climatiques.
Pour sa part, l’Université de York, en Ontario, amorce un projet vers ces mêmes axes de recherche. De plus, Greenpeace Canada, en collaboration avec Sierra Club Canada et la Fédération du travail de l’Alberta, a étudié les conséquences pour les emplois d’une réduction des GES sur les lieux de travail, de l’abandon croissant du pétrole et de la transition vers des énergies renouvelables. Il s’agit d’un axe de recherche en plein essor.
Une révolution industrielle
Un consensus se dessine : l’affranchissement des organisations et des pays de leur dépendance au pétrole mènera vers des technologies protectrices du climat. Leur implantation dans les modes de production fait dire à certains qu’elles lanceront une véritable révolution industrielle. Pour y arriver toutefois, il faudrait élaborer une stratégie climatique, tant à l’échelon national qu’à l’échelon international.
Les emplois dits « verts » et décents sont compris dans une multitude de secteurs : énergie renouvelable et production énergétique (biogaz, géothermie, solaire, éolien, marémotrice, etc.), transport (autobus, train, train léger, bateau, auto électrique, bicyclette marche), efficacité et économie d’énergie au sein des bâtiments résidentiels et institutionnels, chauffage, construction et secteur forestier, industries du recyclage, agriculture et écotaxes. De quoi faire intervenir bien des travailleurs !
La création d’emplois verts et décents basés sur une économie verte n’est qu’un élément d’un véritable changement en faveur d’un monde durable où l’environnement, le social et l’économique seront intégrés de concert avec la société. Cette transition vers une société pauvre en carbone n’est possible que si elle est perçue comme juste, moins financiarisée et plus près de l’économie réelle. Pour y arriver, cette transition exige un engagement des gouvernements, des organisations, des communautés, des entreprises à devenir de véritables parties prenantes en faveur d’une société durable. Le mouvement syndical a tout intérêt à lier les enjeux du changement climatique aux enjeux de l’emploi et à inscrire le dérèglement climatique dans un débat plus large impliquant une vision à moyen et à long terme de l’organisation des milieux de travail. N’est-ce pas cela le développement durable?
Ce texte est tiré du site de GaïaPresse
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