Les logiques économiques sont parfois implacables. Elles mettent en branle des forces tellement vastes qu’elles nous paraissent irrévocables. Comment, par exemple, lutter contre la perte d’emploi dans un quartier, contre la fermeture d’une usine alors que ces phénomènes semblent commandés par les diktats de cette impénétrable mondialisation économique? Avec un peu d’imagination et de solidarité peut-être… Car n’y aurait-il pas d’autres voies, d’autres possibilités que celle de la résignation face à ce Léviathan des temps moderne ? L’exemple de la revitalisation des anciens Ateliers Angus dans le quartier Rosemont à Montréal laisse entendre, justement, que toutes les cartes ne sont pas jouées d’avance…
Les chercheurs Jean-Marc Fontan et Juan-Luis Klein publièrent à ce propos un article dans Le Devoir du 30 janvier dernier. En 1992, les Ateliers Angus, qui employaient alors 1 000 personnes, annonçaient leur fermeture. Le coup s’annonçait dur pour le quartier et le maintient de son tissu social… Il n’était plus souhaitable pour le Canadien Pacifique de continuer ses activités sur le site et les propriétaires fonciers voulaient alors que l’espace ainsi dégagé soit transformé en développement résidentiel et commercial.
Mais le milieu communautaire n’entrevoyait pas le futur du quartier de la même façon. Mobilisé par la CDEC de Rosemont-Petite-Patrie, la population locale revendiqua autre chose, à savoir, des emplois, tout simplement. Il fallait utiliser les besoins de la population locale elle-même comme point de départ des orientations de développement subséquentes, voilà ce qu’on demandait. Dans cette optique, en négociant avec le Canadien Pacifique, la Société de développement Angus (SDA), créée en 1995 par la CDEC, réussi à acquérir progressivement des portions du site en faisant appel aux institutions financières collectives du Québec, dont Fondaction qui est devenu son principal partenaire financier.
En fournissant un espace de concertation et de médiation à un grand nombre d’acteurs venant de différents milieux et de différentes échelles d’action, la SDA réussit son pari. Elle réussit à convaincre les investisseurs que tous pourraient y trouver leur intérêt. Une multitude d’entreprises vinrent alors s’installer sur le site, autant des entreprises publiques, privées que des entreprises d’économie sociale. L’imagination, la mixité des activités et la mobilisation de ressources autant endogènes qu’exogènes auront donné aux habitants du quartier une autre possibilité que celle de l’exclusion et de la pauvreté. À l’heure actuelle, on retrouve sur le terrain de ce qu’on appelle aujourd’hui le Technopôle Angus plus de 1 300 emplois, soit plus que lors de la fermeture des Ateliers Angus.
La réussite de l’aventure du Technopôle Angus démontre que les tangentes du marché peuvent être infléchies par une mobilisation communautaire bien structurée, qu’il est possible de préserver le tissu social d’un quartier sans pour autant compromettre son dynamisme économique. « Cette initiative locale, issue du milieu communautaire, démontre bien comment, à partir d’une stratégie de développement économique communautaire, d’un entrepreneuriat social et d’une volonté d’inscrire le développement dans la durabilité, il est possible de redonner une vie économique forte à une friche industrielle qui était devenue orpheline de développement » nous disent Klein et Fontan.
Juan Luis Klein est directeur du Centre de recherche sur les innovations sociales; Jean-Marc Fontan participe aux travaux de l’Alliance de recherche universités-communautés en économie sociale.
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