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Le samedi 23 avril 2022

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L’heure de la retraite

L’auteur invité est Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives Economiques

Du fait de la crise, la négociation sur les retraites des prochains mois s’annonce encore plus délicate que les précédentes : les comptes se sont dégradés mais, dans un contexte de chômage de masse, repousser l’âge de départ à la retraite reviendrait surtout à diminuer encore le montant des pensions et aggraverait le chômage des jeunes. Il faudra donc bien, à terme, augmenter les cotisations…

Les retraites vont être un des grands sujets de l’année : lors de la dernière réforme, en 2003, rendez-vous avait en effet été pris pour 2010 afin de réajuster les dispositifs en fonction des évolutions constatées.

Dans un premier temps, le gouvernement avait même caressé l’idée d’une refonte complète. Il se serait agi de transformer le régime général, qui aujourd’hui accorde une pension au prorata des revenus touchés pendant les meilleures années de la carrière professionnelle, en un système par point, analogue à celui des régimes de retraite complémentaire, selon le modèle de la réforme des retraites suédoises décidée dans les années 1990. Compte tenu de la dégradation de la situation économique et de l’ampleur des incertitudes qu’une telle révolution aurait suscitée, cette hypothèse semble désormais écartée.

L’autre possibilité, longtemps soutenue par la droite, mais aussi parfois par la gauche, consisterait à faire évoluer le système de retraite pour y introduire davantage de capitalisation, c’est-à-dire d’épargne individuelle encouragée par des avantages fiscaux en vue de la retraite, sur le modèle anglo-saxon. Les crises financières successives de 2000-2001, puis de 2008-2009 ont montré combien ces modèles étaient risqués et dangereux pour les salariés et les retraités. Mais ces déboires n’empêchent pas les partisans de la retraite par capitalisation de revenir toujours à la charge. Pour une raison simple : ce serait l’intérêt du secteur financier pour développer son business et les capacités de lobbying de ces acteurs restent considérables malgré la crise, compte tenu des profits toujours colossaux qu’ils engrangent… On peut espérer que les louanges de la retraite par capitalisation nous seront cependant épargnées au moins cette année, mais ce n’est pas sûr : les fonds de pension comptent en effet toujours de chauds partisans au sein de la majorité actuelle…

La négociation qui s’ouvre portera donc, a priori, surtout sur les paramètres habituels : niveau des retraites et des cotisations, durée de cotisation et âge minimal de départ en retraite. La crise a cependant profondément transformé le paysage par rapport aux négociations précédentes. Elle a en effet aggravé le déficit du régime du fait de l’évolution négative des cotisations. Tout en démentant les prévisions antérieures : avec le papy-boom enclenché en 2007 (60 ans après 1947 et le moment du démarrage du baby-boom d’après-guerre), l’hypothèse d’un recul rapide du chômage était envisagée. Or, nous ne sommes manifestement plus dans cette perspective.

D’où une négociation qui s’annonce très difficile. Les réformes antérieures ont déjà entraîné une baisse importante du niveau des retraites futures. Il serait déraisonnable d’aller plus loin sur ce plan. La question qui se pose est plutôt celle de la remontée des niveaux de retraite garantis par le système dans certains cas de figure, ainsi qu’une interrogation sur les règles d’évolution du niveau des pensions, une fois la retraite prise, très défavorable actuellement aux personnes âgées.

Du côté de l’allongement des carrières, le gouvernement souhaiterait aller plus loin que les étapes d’ores et déjà prévues. Mais dans un contexte de chômage de masse où les seniors se retrouvent fréquemment à la porte des entreprises avant même 60 ans, cela revient en pratique à amputer encore le niveau des retraites. De plus, à un moment où la jeunesse se désespère de voir les portes des entreprises (et de la fonction publique) se fermer devant elle, celle-ci recevrait probablement le signal très négativement si on accentuait encore l’allongement des carrières, comme si rien n’avait changé par rapport au temps où on menait cette politique au nom d’une future pénurie de main-d’œuvre…

Le gouvernement voudrait également relever l’âge légal de départ en retraite, actuellement à 60 ans. Mais ce seuil a une valeur symbolique forte, et ce changement toucherait surtout les salariés les moins qualifiés entrés sur le marché du travail très tôt. Alors que ce sont aussi souvent eux qui subissent les conditions de travail les plus difficiles et qui ont l’espérance de vie la plus courte. La question de la prise en compte de la pénibilité des tâches, non réglée depuis 2003 malgré les engagements pris à l’époque, sera d’ailleurs une des clés des compromis éventuels. Il ne faut jamais oublier en particulier dans ce dossier que, certes l’espérance de vie s’allonge, mais que l’espérance de vie « en bonne santé » (sans incapacité majeure) n’est toujours que de 64,2 ans pour les femmes et 63,1 ans pour les hommes, selon une note récente de l’Insee. Même s’ils meurent désormais fréquemment à 80 ans ou plus, les salariés ont en réalité toujours relativement peu de temps pour profiter vraiment de la retraite…

Reste enfin la question des cotisations. Le patronat ne veut pas entendre parler de hausse et le gouvernement ne l’envisage pas pour l’instant. Même s’il faut être prudent tant que la crise dure, c’est pourtant à moyen terme un paramètre sur lequel il faudra bien jouer. En particulier pour boucher les multiples « niches sociales », régulièrement dénoncées par la Cour des comptes, notamment toutes celles qui sont liées au développement des rémunérations sous forme d’intéressement, participation et autres stock-options…

Redonner confiance aux Français dans l’avenir de leur système de retraite, dans sa capacité à assurer leurs revenus futurs n’est pas simplement un impératif social et politique, c’est aussi un enjeu économique essentiel dans le moment présent. En effet, si la négociation à venir échouait sur ce plan, et si les Français(es) en tiraient comme conclusion qu’ils n’auront probablement pas de retraite suffisante dans dix ou vingt ans, ils se mettront à épargner encore plus qu’aujourd’hui, et l’activité économique, loin de repartir, sera encore plus durablement anémiée…

Tiré du hors-série du magazine Alternatives Economiques

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