L’auteur invité, Jean-François Lisée, est directeur exécutif du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM)
Il arrive, pendant la lecture du dernier cahier de réflexion du Parti québécois sur l’économie, qu’on veuille revenir à la page couverture pour bien s’assurer qu’il s’agit d’un document péquiste. Non que le PQ n’ait jamais, auparavant, parlé d’économie. Il l’a fait abondamment.
Une «révolution culturelle» dans l’approche économique péquiste ?
Mais il n’en a jamais parlé ainsi. En abordant, sans la moindre inhibition, non seulement l’aide à l’entreprise (c’était déjà le cas dans le second mandat Lévesque et abondamment sous Bernard Landry) mais l’enrichissement individuel.
L’extrait qui suit, tiré du mot d’ouverture de Pauline Marois, donne le ton:
« Ce n’est plus l’État qui doit être au centre de notre enrichissement national, ce sont les Québécois et les Québécoises eux-mêmes. Ainsi, pour un gouvernement souverainiste, l’enrichissement des individus de tous les âges sera au centre de la politique économique. »
Mme Marois ajoute illico que « cette richesse individuelle n’est pas un but en soi, mais bien un moyen d’épanouissement des individus, des familles ». Certes. Reste que le mot est lâché. Plutôt, les mots. Car il y en a deux. Richesse et individus. Cet autre extrait illustre la nouvelle orientation générale:
« Trop souvent, l’individu doit s’adapter à l’État. L’État doit plutôt répondre aux besoins changeants des individus et les inciter à adopter des comportements générateurs de richesse. Afin de créer une richesse durable, il est nécessaire de converger vers un partenariat entre l’individu et l’État. Aux différentes étapes de la vie, les individus traversent des moments clés où le rôle accompagnateur de l’État peut faire la différence sur le niveau d’enrichissement personnel. »
Que se passe-t-il ? Le PQ tente de s’adapter à une réalité sociologique et à une réalité politique.
Une réalité sociologique
On a longtemps dit que la droite visait la réussite de l’individu et la gauche la réussite du groupe. Cela est à la fois exact et inexact. Car la défense, par la gauche, des droits humains et des droits de chaque travailleur, protégé par sa convention collective ou par une amélioration du code du travail, a mis la force du groupe au service des droits et du bien-être individuels. Nous sommes cependant à une nouvelle étape du développement social.
Comme l’écrit le grand sociologue de gauche Alain Touraine « désormais nous n’avons d’autre fondement que nous-mêmes : nous revendiquons le droit d’être nous-mêmes, nous avons la volonté d’être reconnus comme êtres de droits et avant tout du droit d’être nous-mêmes. »
Avec la fin du pouvoir religieux, le déclin de la structure familiale, la montée de la précarité de l’emploi, l’accélération des changements, chacun est plus seul que jamais et plus responsable que jamais de sa propre réussite.
C’est cette expérience et cette conscience individuelle affirmée et assumée qu’expriment les membres de la classe moyenne, du 450, de Québec et de la Beauce, tous ces jeunes diplômés qui arrivent dans un Québec où les luttes collectives ont déjà livré leurs principaux fruits économiques et sociaux. Ils jugent donc que, jusqu’ici, le discours social-démocrate du PQ ne se penchait pas sur leur réussite à eux, leur vie à eux, se concentrant sur les besoins de la collectivité ou des seuls démunis.
Une réalité politique
La Parti québécois, comme toute la gauche occidentale, ne peut tourner le dos à cette nouvelle réalité. Ne pas adapter le discours et le programme social-démocrate à la vie réelle, plus individuelle que jamais, c’est se condamner à la déconnection avec l’électorat. C’est abandonner le terrain au PLQ ou à l’ADQ.
Reconnaître la réalité ne signifie cependant pas abandonner son idéal, son approche, son objectif. Car au chacun pour soi de la droite, à une culture qui pousse l’individualisme vers l’égoïsme, la gauche doit répondre : tous pour un ! Elle doit proposer des solutions qui créent les conditions de la réussite de chacun, qui donne à l’individu les repères et les moyens de son cheminement et qui lui permette de vivre les « passages à vide » (licenciements, maladie) sans que ces crises deviennent catastrophes.
Contrairement à la droite, qui ne pense qu’aux sous, la social-démocratie doit aborder la richesse comme un tout — richesse économique, certes, mais richesse éducative, culturelle, écologique. Autrement dit, qualité de vie.
Contrairement à la droite, qui souhaite traiter les individus en égaux et que le meilleur gagne, la social-démocratie doit reconnaître que les individus ne naissent pas égaux et qu’il faut oeuvrer avec réalisme et détermination pour offrir, de la naissance à la diplomation, l’égalité des chances à ceux qui n’ont pas obtenu avec leur premier hochet la longueur d’avance que confère l’origine sociale.
Le document du PQ: forces et faiblesses
Je dois admettre d’emblée que je suis assez épaté de l’ampleur du virage intellectuel opéré par le document. (Transparence totale: même s’il m’arrive de conseiller le PQ, j’ai découvert ce document sur le site internet, comme tout vulgaire blogueur).
Le document n’est cependant pas complet. Il faudra attendre un autre cahier, consacré, lui, à la lutte contre les inégalités, pour y ajouter l’autre volet, indispensable, à une politique équilibrée de centre gauche.
De plus, la démarche adoptée par l’équipe Marois est de donner une orientation — ici, je me répète, étonnamment nouvelle et claire — puis de soumettre des questions au débat des militants, sans trancher immédiatement.
Nous sommes donc en présence de l’orientation, mais pas des engagements. C’est déjà beaucoup.
Il y a bien quelques anicroches. Cette phrase, par exemple: il n’est de richesse partagée qui ne fut d’abord créée. Gros bon sens ? C’est souvent vrai. Mais sans investissement en éducation, point de richesse à partager. Sans l’emprunt massif effectué pour nationaliser Hydro Québec, imaginez toute la richesse qu’on n’aurait ni créée, ni partagée.
À ce péché véniel s’ajoute l’agacement de ne pas sentir dans le texte une sensibilité envers la surproduction et la surconsommation. On y parle d’écofiscalité, ce qui est bien. Mais on ne sent pas que la synthèse est faite entre la quête de richesse individuelle — de qualité de vie — et la responsabilité, individuelle et collective, envers les limites de l’enrichissement.
Un État qui n’est pas prêt de s’effacer
Ceux qui craignent de retrouver dans les nouvelles orientations péquistes un copier/coller de l’approche adéquiste vivront une grave déception. Car l’accompagnement de l’individu dans sa quête de richesse ne se conjugue nullement, pour le PQ de Pauline Marois, avec un effacement de l’État.
Le document évoque une prise de participation publique dans les entreprises qui exploitent les ressources naturelles, la création d’une banque de développement du Québec, d’une nouvelle société d’État chargée de la recherche, du développement et du déploiement des énergies alternatives (éolien, biomasse, solaire, géothermique). Il est même question, si on devait exploiter les hydrocarbures tapis dans le Saint-Laurent, d’une compagnie pétrolière publique.
Et s’il est question d’aide aux entreprises, surtout aux PME, le PQ accorde autant d’importance aux coopératives et aux entreprises d’économie sociale, ainsi qu’aux coopératives de travailleurs, suggérant que l’État devrait en favoriser le développement. Voilà une orientation que ce blogueur applaudit, car il s’agit de faire croître au sein de notre économie un autre modèle, post-capitaliste, d’entreprises non-délocalisables et nettement plus résistantes aux crises économiques.
Lorsqu’elle a pris la tête du Parti québécois, Pauline Marois a juré de remettre son parti à l’offensive sur les questions identitaires — c’est fait — et de renouveler le discours social-démocrate. Avec le document économique produit sous sa gouverne, elle démontre qu’elle prend cette seconde tâche au sérieux. Voyons maintenant comme les militants accueillent cette audace.
On peut lire le texte au complet sur le blogue de Jean-François Lisée
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