L’auteur invité est Christian Chavagneux, rédacteur en chef adjoint d’Alternatives Economiques et rédacteur en chef de la revue L’Economie politique.
Cette fois, ça y est : le conseil fédéral suisse semble prêt à ouvrir des négociations internationales sur le sacro saint secret bancaire. Aux pays européens de s’en saisir pour agir, de manière collective, et obtenir une remise en cause maximale du secret à fin d’évasion fiscale.
Le gouvernement suisse s’est donc réuni le 25 février dernier pour établir la part d’opacité qu’il est prêt à abandonner (ou à conserver…) au regard de l’avenir du pays comme place financière. Une petite phrase du communiqué final ouvre la possibilité, en principe, d’une forte remise en cause du secret bancaire à des fins d’évasion fiscale : désormais, le Conseil fédéral « refuse le dépôt en Suisse des avoirs non déclarés provenant d’autres pays ». De manière positive, cela signifie qu’il n’accepte que les avoirs déclarés et donc taxés.
Une véritable révolution pour des banquiers habitués à offrir des produits d’opacité financière et fiscale depuis plusieurs siècles ? Pas vraiment. Ou pas encore.
D’abord, le gouvernement a fixé une limite à sa bonne volonté : pas d’échange automatique d’informations fiscales. Il n’est pas question pour la Suisse de prévenir les fiscs étrangers dès que l’un de leurs ressortissants arrive avec de l’argent pour ouvrir un compte. Les pays qui pensent que leurs citoyens pratiquent l’évasion fiscale devront continuer à rassembler des preuves, notamment le nom de la banque (y compris pour la France), et demander à la Suisse de bien vouloir leur fournir des informations aussi bien en cas d’évasion fiscale que de fraude comme le pays s’y est engagé depuis le 13 mars 2009. La Suisse a signé 18 conventions fiscales bilatérales en ce sens et les premières seront ratifiées dans quelques mois à la cession de printemps du Conseil des Etats (l’équivalent du Sénat).
Ensuite, la Suisse n’a pas indiqué clairement quelles modalités concrètes elle comptait mettre en œuvre pour s’assurer que l’argent qui va arriver a bien été déclaré et taxé ou pour régulariser l’argent déjà reçu. Ou plutôt si : Hans-Rudolf Merz, le ministre des Finances a dit que ce serait l’enjeu des négociations qu’il compte mener avec chaque pays étranger individuellement.
La modalité la plus directe serait de demander aux clients d’arriver avec un papier du fisc de leur pays d’origine faisant la preuve de la déclaration des revenus ou du patrimoine concerné. Les banquiers suisses sont montés au créneau contre cette possibilité. Pour Ivan Pictet, de la banque privée éponyme, « la décision de ne plus accepter que de l’argent déclaré méritera des précisions, car c’est extrêmement compliqué à appliquer,…, on ne peut le demander comme acte préalable à l’ouverture d’un compte à moins de disqualifier les banques suisses » ? Bel aveu… Pour Michel Dérobert, secrétaire général de l’Association des banquiers privés suisses « il faut savoir que le banquier n’a qu’une vision partielle de la situation de son client. Il n’a pas à devenir sa conscience fiscale ».
Enfin, la Suisse ne veut pas négocier avec l’Union européenne mais avec chaque pays pris individuellement pour lâcher le moins possible à chacun. La Commission européenne n’a pas bien pris la chose… Elle a réagi en indiquant que de telles négociations à la carte n’étaient pas intéressantes et qu’elle continuerait à promouvoir le principe de l’échange automatique d’informations.
L’Allemagne et, dans une moindre mesure, la France, vont jouer un rôle important dans les négociations qui vont s’ouvrir. La pression exercée par ces deux pays et par les Etats-Unis depuis deux ans a fini par payer, forçant les autorités suisses à réfléchir aux conditions d’un mode d’insertion de la Suisse dans l’économie mondiale moins fondée sur l’offre parasite d’opacité. Les banquiers semblent encore marquer un temps de retard par rapport à leur gouvernement. L’histoire joue contre eux. Elle est celle d’un affaiblissement progressif du secret bancaire et d’une intolérance croissante des grands Etats vis-à-vis de leurs pratiques. Ils ont tout intérêt à proposer des solutions sérieuses s’ils veulent arrêter de servir de punching-ball aux fiscs des grands pays étrangers.
On peut lire le texte complet sur le site d’Alternatives Economiques
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