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Le samedi 23 avril 2022

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L’Europe et le New Deal vert

L’auteur invité est Alain Lipietz, ex-député écologique au Parlement européen

Sur le papier, la sortie de la crise semble évidente. Ce ne sont plus seulement les écologistes qui le disent, mais le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE), et même le G-20 : la solution est un « New Deal Vert », ce que le G-20 appelle « a green and inclusive recovery » (une reprise verte et solidaire). Dans la réalité, cela paraît presque impossible, tant il faudrait bousculer les pouvoirs établis, qui refuseront un repartage des richesses et des revenus mondiaux en faveur des bas salaires et des exclus, et tant semblent forts les lobbies qui s’acharnent à maintenir un modèle productif dangereux, y compris sous des prétextes écologistes (les partisans des agrocarburants ou du nucléaire).

Face à ces blocages, il faut opposer, comme au temps du New Deal de Roosevelt ou du Front populaire, un pouvoir politique résolu, appuyé sur une forte base démocratique. Et ce défi semble encore plus insoluble : le New Deal, comme le Front populaire, avaient les institutions politiques de leur projet (les États-Unis d’Amérique et la République française.) Le New Deal Vert serait nécessairement mondial, car l’économie et la crise écologique sont globalisées. Or, il n’existe pas de République universelle.

Oui, mais il existe une Union européenne. Et celle-ci produit la grande majorité de ce qu’elle consomme, et consomme la grande majorité de ce qu’elle produit. Première puissance économique mondiale, deuxième émetteur de gaz à effet de serre, pesant en population une demi-Chine, l’Union européenne a la masse critique pour réaliser chez elle un New Deal Vert et pousser ses partenaires vers ce modèle. Mais en a-t-elle les moyens et la volonté ?

Qu’elle en ait la volonté semblait jusqu’ici évident, c’était même sa « spécialité ». En pointe depuis Kyoto sur les questions d’environnement, elle prétendait opposer au modèle agressivement libéral américain la force de ses compromis sociaux, de ses États-providence. Il a suffi que le splendide Obama soit élu face à l’ultra-libéral Barroso, aux autoritaires Sarkozy et Berlusconi, à l’alignement des socialistes et des centristes européens sur le « réalisme » d’Angela Merkel, pour que s’inversent les images. Preuve que « l’avance » socio-écologique du modèle européen n’était pas si évidente ! L’Europe peut-elle conserver ou retrouver cette avance ? […]

Premier problème : de quelle Union parle-t-on ? Beaucoup de médias disent « Bruxelles » pour désigner indifféremment le Parlement (élu par les citoyens), le Conseil (lieu des compromis diplomatiques entre gouvernements nationaux), et la Commission (exécutif sensé appliquer les décisions des deux précédents). Or, la réalité des traités en vigueur, ceux de Maastricht et de Nice, laisse pour l’instant peu de place à l’expression directe des citoyens et donne le poids principal aux compromis diplomatiques en Conseil. La Commission s’est transformée en secrétariat permanent de ce Conseil, lui-même dominé par l’Allemagne de « grande coalition » chrétiens démocrates – socialistes dirigée par Angela Merkel. Autant dire qu’une telle Europe n’est guère prédisposée aux prises de position résolument « vertes et solidaires ».

Illustration : la capitulation de Sarkozy et Merkel devant les industriels allemands, italiens et polonais lors du sommet « climat » de décembre 2008. Alors que jusqu’ici l’Union se préparait à réduire de 30 % ses gaz à effet de serre d’ici 2020 pour limiter le réchauffement à 2° C, le Conseil impose de réduire cet objectif à –20 %, ce qui correspond à un réchauffement de 3 à 4 degré ! Et, au Parlement, les principaux partis (PPE, PSE, ALDE, avec les Français de l’UMP, du PS, du Modem) approuvent ce « compromis » suicidaire.

La toute première nécessité pour l’Europe, si elle veut promouvoir son modèle comme prototype du New Deal Vert, est donc une réforme démocratique de ses institutions, renversant le rapport de force enter les élus (le Parlement) et les technocraties gouvernementales, nationales ou européennes. Le Traité Constitutionnel (TCE) représentait un pas en avant. Le traité de Lisbonne, édulcoration du TCE, reste à ratifier. Mais, face à la crise, beaucoup d’opinions hier euro-sceptiques placent aujourd’hui leur espoir dans l’Europe, y compris les Irlandais qui avaient rejeté ce traité. Celui-ci a donc quelques chances d’être accepté, mais ne suffira certainement pas : le New Deal de Roosevelt avait impliqué une croissance considérable du pouvoir fédéral sur les États fédérés américains.

Admettons que le pouvoir fédéral européen (on dit « communautaire ») se développe, la crise aidant. D’ores et déjà, l’Union européenne se révèle beaucoup plus « planiste » qu’il y a quelques années, s’assignant des objectifs chiffrés, et hésitant de moins en moins à prendre des mesures de protection, comme dans le cas de l’aviation (les compagnies aériennes étrangères devront payer leur « quota » en se posant en Europe).

Mais on reste encore loin des mutations qu’exige cette crise multiforme.

Crise alimentaire : le modèle agro-industriel a échoué, et même provoque une montée des disettes dans le Tiers-monde et du coût de la vie en Europe. Il est temps de passer à une Politique agriculture commune fondée sur la compétence paysanne, subventionnant non les propriétaires ou les grands exploitants mais les producteurs d’agriculture biologique de proximité.

Énergie, effet de serre : L’objectif « stabiliser la dérive climatique à +2 degré » exige une action rapide et résolue. Si elle veut être exemplaire à la conférence de Copenhague qui fixera la « feuille de route » planétaire fin 2009, l’Europe doit renverser le compromis Sarkozy-Merkel de décembre 2008, et s’en donner les moyens. Le New Deal Vert, contrairement au New Deal rooseveltien, ne repose pas sur la croissance du pouvoir d’achat individuel, pour acheter des automobiles, mais sur la croissance des investissements des collectivités territoriales, pour mettre en place des réseaux de transport en commun et des plans massifs d’isolation des logements et de production décentralisée d’énergies renouvelables. Cela implique une augmentation du budget européen et la possibilité, pour la Banque européenne d’investissements, de refinancer à 0 % auprès de la Banque centrale les prêts qu’elle accordera dans ce but aux collectivités territoriales. Bref, une réforme profonde de l’architecture et des mentalités du pouvoir monétaire européen.

La conversion verte passera par une période de transition, qui risque d’être douloureuse (des emplois anciens, comme ceux de l’automobile, s’écroulent déjà comme châteaux de cartes). Elle exigera une reconversion très rapide des ressources humaines vers ces emplois qualifiés que sont les emplois verts. Pendant cette transition, un « bouclier social » garantissant les parcours professionnels devra être mis en place. Cela implique une coordination des politiques sociales en Europe afin d’éviter les effets de dumping social.

Ces réformes sont profondes. Elles exigent que se constituent, tant aux niveaux nationaux qu’au niveau européen, des majorités pro-sociales et écologistes. Car les meilleures constitutions du monde ne peuvent donner que des résultats désastreux si les électeurs se donnent à des majorités désastreuses. Il ne faut jamais oublier que ce fut précisément le cas au début de la crise des années trente : en 1938 les réponses autoritaires à la crise l’emportaient presque partout. Puissent les prochaines élections européennes et nationales écarter les solutions nationalistes et sécuritaires, et choisir la solidarité transeuropéenne, internationale et intergénérationnelle. Le New Deal avait triomphé en 1945… mais au prix d’une guerre mondiale. Que cette expérience pousse les peuples européens à choisir pacifiquement et directement la voie du New Deal Vert.

Tiré du site du blogue d’Alain Lipietz

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