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Le samedi 23 avril 2022

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Le climat, l’imposteur et le sophiste

L’auteur invité est Olivier Godard, économiste du développement et de l’environnement, directeur de recherche au CNRS

Ce qui est déjà parti pour être un best seller, le dernier livre de Claude Allègre dénonçant une imposture climatique, a trouvé dans la presse des journalistes rétifs. Le 25 février Anne Bauer, journaliste aux Échos en faisait une recension honnête, mais sans fard : par sa mauvaise foi et son simplisme, l’ouvrage s’assimilait à un pamphlet ; ce n’était pas le livre d’un homme de science. Elle aurait pu être plus mordante envers ce mauvais roman d’une prise supposée du pouvoir par un petit groupe d’hommes, qui n’aurait de précédent que celle des bolcheviks lors de la révolution russe de 1917… Le lendemain, Stéphane Foucart, journaliste au Monde, pointait le « Cent-fautes de Claude Allègre ». Le livre est truffé d’erreurs et d’affabulations, nous dit-il : référence à des auteurs ou des articles qui n’existent pas, assimilation des opinions des présentateurs météo de la télé américaine à celle des scientifiques du climat, enrôlement arbitraire de scientifiques au service de points de vue qu’ils ne défendent pas, etc.

C’est dans ce contexte que le 2 mars, Les Échos publiaient une « apologie de Claude Allègre » signée François Ewald, cet ancien assistant de Michel Foucault devenu l’intellectuel de la Fédération française des sociétés d’assurance puis le titulaire d’une Chaire au Cnam. Ewald s’en prenait aux journalistes qui auraient fait preuve d’intolérance et cédé à leurs convictions militantes. Protestant avec gravité, il le faisait, prétendait-il, au nom de l’éthique des sciences : pointer les erreurs serait une manière d’esquiver la thèse centrale de l’ancien ministre. Et Ewald de juger impératif un débat national sur les conditions de transformation d’une « hypothèse douteuse » (sic) (celle du réchauffement climatique en cours et à venir) en « dogme » (sic). Et de voir en Allègre un nouveau Michel Foucault déconstruisant l’imposture climatique née des amours adultères de la science et du pouvoir ! Pauvre Foucault !

Jusqu’où notre sophiste ira-t-il pour défendre l’indéfendable ? L’éthique des sciences, cela commence par respecter les règles de la vie scientifique : le souci de la démonstration et de la preuve, la précision des sources, la publication de travaux dans des revues scientifiques, tous éléments qui mettent à l’épreuve des allégations ou hypothèses avant d’en faire un savoir admis digne d’être communiqué comme tel au grand public. Ce qui est reproché à Allègre ce n’est pas d’avoir des idées et des opinions, aussi farfelues et brouillonnes soient-elles, mais d’usurper l’autorité de la science sans en respecter aucune des règles. Allègre le revendique d’ailleurs en faisant de sa position de sniper de la communauté scientifique compétente la preuve intrinsèque et ultime qu’il a raison : tous les génies n’ont-ils pas bousculé les préjugés et les routines de leur temps ?

A la suite d’Allègre, Ewald met en cause les modèles numériques utilisés par les climatologues. Il y voit une base précaire. Il oublie de dire que les modèles du climat ne sont pas de pures constructions statistiques montées à l’aveugle, mais qu’ils sont fondés sur la théorie physique la plus incontestable ; qu’un système unique d’équations permet de reproduire les saisons et les différents climats régionaux et qu’ils ne parviennent à reproduire les évolutions observées depuis le XIXè siècle qu’en prenant en compte l’effet de l’accumulation atmosphérique de gaz à effet de serre. Foin des humeurs du soleil et du magnétisme ! Aucune équipe de modélisation n’a encore réussi à construire un modèle du climat compatible avec la physique et avec les données d’observation qui ne conduise pas à un réchauffement global de la planète. Pourtant il y aurait le Nobel à la clé en cas de succès. Alors, parler d’hypothèse douteuse comme le fait Ewald !

Quant à la théorie du complot ourdi par une science appliquée assoiffée de crédits, elle n’est pas nouvelle du tout. Yves Lenoir l’avait mobilisée en des termes très similaires dans un livre publié en 1992, au titre évocateur : « La vérité sur l’effet de serre. Le dossier d’une manipulation planétaire ». Il utilisait déjà des procédés rhétoriques, révélés en leur temps pour ce qu’ils étaient. Il y eut aussi, la même année, sur le problème connexe de l’ozone stratosphérique, Ozone, un trou pour rien. Le genre n’a pas désempli depuis lors.

Il est troublant de voir le succès des balivernes climato-sceptiques auprès de l’opinion et de certains médias tout frétillants de pouvoir mettre à terre ce qu’ils avaient porté, il y a peu, au rang des causes les plus élevées. Il est triste de voir une certaine intelligentsia, écrivains, « penseurs médiatiques », philosophes de salon, qui ne connaissent pas plus la science du climat que la science tout court, se rallier aux faussaires ou aux bouffons dans lesquels ils voient le nec plus ultra d’une science innovante qui ose renverser la pensée unique avec courage. Du haut de leur incompétence ils jugent que les milliers de scientifiques qui font leur travail avec sérieux sont des idéologues ou des incapables, sauf dans l’art de la manipulation, mais que nos imposteurs médiatiques sont les savants qui disent enfin la vérité sur la nudité du roi…

Il y a un point d’importance dans la rhétorique d’Ewald le sophiste, comme de tous ceux qui veulent accréditer des thèses que la science n’admet pas, qu’il s’agisse des créationnistes ou des négationnistes de la Shoah : l’invocation du nécessaire débat public pour que chacun puisse se faire son opinion. S’abritant derrière le paravent de la démocratie, il s’agit en l’occurrence de faire reconnaître un contenu de vérité à des allégations qui n’ont pas passé les épreuves de la critique scientifique. Comme l’écrivait en avril 2006 Susan Woodbury, présidente de la Société météorologique et océanographique canadienne, face à une demande pressante de climato-sceptiques au premier ministre canadien Harper, d’organiser un débat national où seraient confrontées les « thèses » en présence : « Nous soutenons l’idée d’un programme d’information du public sur le changement climatique. Cependant, nous ne croyons pas que la consultation du public soit un moyen crédible d’évaluer la science du changement climatique ». Et Woodbury de renvoyer aux travaux du GIEC, meilleure synthèse disponible des connaissances mondiales sur le sujet. Se référer au débat public pour juger de la scientificité de différents énoncés, c’est transposer dans l’ordre de la connaissance scientifique une procédure politique, au rebours d’une éthique des sciences. N’était ce pas Raymond Aron qui voyait dans la soumission de la science au politique l’une des sources du totalitarisme ? […]

Quel est le rôle des médias dans tout cela ? S’ils n’y prêtent attention, ils offrent une plateforme inespérée aux faussaires. Le détournement du principe de l’équilibre démocratique de l’expression des opinions en est le vecteur. Au concret c’est au mieux la règle de l’égalité des moyens (présence, temps de parole) donnés aux deux « camps » en présence : les pour et les contre, agençant ainsi une fausse symétrie du vrai et du faux. « L’équité » commanderait de traiter de façon égale la parole des représentants des « défenseurs » de la thèse du changement climatique d’origine anthropique et celle de ses détracteurs. […]

Que le débat politique soit légitime pour déterminer la politique climato-énergétique à adopter, il n’y a aucun doute. Encore faudrait-il qu’il puisse s’engager sur une base saine et non sur la confusion entretenue à laquelle Allègre et Ewald contribuent autant qu’ils le peuvent. Établir une base de connaissances partagée à l’échelle mondiale, c’est le projet qui a présidé à la création du GIEC et qu’il a remarquablement mené jusqu’à présent malgré les nombreuses tentatives de déstabilisation qu’il a connues depuis sa création en 1988. Une erreur empirique faite dans le rapport de 2007 du Groupe 2 du GIEC concernant la date de fonte des glaces de l’Himalaya, n’est pas de nature à remettre en cause le bilan scientifique établi dans le rapport du Groupe 1, ou les scénarios d’émission et l’analyse des instruments de politique présentées dans le rapport du Groupe 3…

Inversant les rapports du faux et du vrai et surfant sur les thèmes à la mode comme la déconstruction de la science et le débat public, l’imposteur et le sophiste en viennent à leur objet véritable : délégitimer à la racine des politiques publiques du climat « aussi coûteuses qu’inefficaces ». Avec un certain talent ils pratiquent les recettes bien décrites par David Michaels dans son livre dévoilant les stratégies de dé-crédibilisation des bases scientifiques de la gestion des risques sanitaires aux États-Unis. Tout ça pour venir à la rescousse du conservatisme le plus étroit ! La France de l’esprit est soumise ces temps-ci à de bien mauvais vents.

On peut lire le texte complet sur le site d’Alternatives Economiques

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