L’auteur invité est Olivier Ferrand, président de terra nova, une fondation progressiste française
La Commission sur le Grand emprunt, nommée par le président et co-présidée par les anciens premiers ministres français Alain Juppé et Michel Rocard, a rendu son rapport le 19 novembre. Elle propose un emprunt de 35 milliards d’euros consacrés à l’innovation et la transformation, autour de sept axes prioritaires. Selon Olivier Ferrand, président de Terra Nova et membre de l’équipe des rapporteurs, quatre enseignements principaux sont à tirer pour des politiques progressistes.
Synthèse
La commission Juppé-Rocard vient de rendre ses conclusions. Elle propose un programme d’investissements de 35 Md€, afin d’assurer la transition vers un nouveau modèle de développement, un modèle durable alliant deux moteurs : l’économie de la connaissance et la croissance verte – « Lisbonne » et « Ushuaia ».
Il y a quatre enseignements principaux à en tirer pour des politiques progressistes :
Investir pour l’avenir, tous les ans
Le problème économique prioritaire de notre pays, c’est bien les investissements d’avenir. La France est marquée par un sous-investissement structurel. La montée en puissance de la contrainte de finances publiques ces trente dernières années a entraîné l’asphyxie progressive des investissements d’Etat. Les régions n’ont que partiellement pris le relais. Il manque 1 à 2 points de PIB (20 à 40 Md€), non pas sur un coup mais par an, pour maintenir la France dans le peloton de tête des pays les plus développés.
Réorienter massivement nos finances publiques
La France cumule à la fois sur-endettement et sous-investissement de ses finances publiques. C’est donc à une réorientation budgétaire massive qu’elle doit procéder.
Il y a des décisions politiques de bon sens à prendre, comme revenir sur les dépenses budgétaires inutiles. Un quinquennat de loi TEPA (bouclier fiscal et heures supplémentaires), c’est 65 Md€. Un quinquennat de baisse de TVA sur la restauration, c’est 15 Md€. Ces deux mesures financent à elles seules plus de deux « grands emprunts » !
Il faudra aussi faire des choix de politique publique. Les exonérations de charges pour les bas salaires représentent plus de 20 Md€ par an. Elles s’inscrivent dans une logique de compétitivité-prix : en abaissant le coût du travail de nos industries les plus exposées, on prétend leur permettre de résister à la concurrence internationale des pays émergents. Mais ne faut-il pas au contraire opter pour un transfert de cet effort budgétaire vers les investissements d’avenir, la compétitivité-qualité dans le cadre d’une montée en gamme au niveau des pays les plus avancés ?
Au-delà, le desserrement de l’étau de la contrainte budgétaire passe peut-être par des règles contraignantes de finances publiques. Des règles constitutionnelles de retour à l’équilibre, comme celles que l’Allemagne vient d’adopter, et proposées aujourd’hui par l’économiste Jacques Delpla. Mais la réorientation durable de nos finances publiques peut aussi passer par une règle contraignante fléchant obligatoirement une partie des dépenses publiques vers les investissements d’avenir.
Faire émerger une politique industrielle moderne
Le rapport de la commission Juppé-Rocard fonde le retour de l’investissement industriel public, et donc de la politique industrielle.
Dans ses soubassements théoriques. Il s’agit d’intervenir là où le marché ne peut pas aller : les projets industriels ou de recherche sans rentabilité directe suffisante, mais qui génèrent une rentabilité socio-économique pour le pays. Et là où le marché est défaillant : les projets industriels rentables, mais de très long terme (écartés par les taux d’actualisation élevés des marchés financiers) ou à la masse critique trop élevée (et mettant en danger la survie de l’entreprise qui les mène).
Une politique industrielle nouvelle, aussi, dans sa gouvernance. Il ne revient plus à l’Etat jacobin de choisir les projets individuels, ce qui a abouti à des erreurs historiques coûteuses (plan calcul). L’Etat indique les priorités stratégiques, en assure le financement, mais laisse à des organismes compétents indépendants le soin de mettre en concurrence par appels d’offre les projets et les technologies.
Vers un « grand emprunt » européen ?
L’idée d’un « grand emprunt » européen, proposée dès le début des années 90 par Jacques Delors, mériterait d’être revisitée aujourd’hui. C’est au niveau européen qu’est désormais formulée la politique économique (stratégie de Lisbonne). C’est à son niveau que l’on peut atteindre la masse critique en matière de recherche ou de projets industriels.
On peut lire le texte sur le site de terra nova, la fondation progressiste
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