L’auteur invité est Marc Chevallier, journaliste au magazine français Alternatives Economiques
En déplacement à Marignane le 4 mars 2010, Nicolas Sarkozy a présenté un plan d’aide à une industrie française en pleine crise. L’enjeu est crucial, car aujourd’hui comme hier, l’industrie, locomotive de l’emploi et moteur de l’innovation, demeure au coeur du développement économique d’un pays.
Une France sans usines? Il y a quelques années, cette perspective n’effrayait plus certains économistes. Et même certains chefs d’entreprise, tel Serge Tchuruk, alors patron d’Alcatel, qui voulait transformer son groupe en entreprise fabless, c’est-à-dire sans unités de production. Une nouvelle division du travail était en train d’advenir. Aux pays émergents, les tâches de production des biens. A nous, les nouvelles technologies, les services, les emplois « verts » et les activités à haute valeur ajoutée, comme le design, la recherche et développement ou le marketing. Las! La crise a rappelé le rôle primordial joué par l’industrie dans les économies développées. Et combien sa disparition serait lourde de conséquences.
Le poids de l’industrie recule depuis des décennies, tant dans l’emploi que dans la richesse créée par l’économie française. L’essor du secteur des services et les restructurations successives ont réduit la part de l’emploi salarié des industries manufacturières d’un peu plus de 30% de l’emploi total dans les années 1950 à un petit 12% aujourd’hui. Dans le même temps, la part de la valeur ajoutée dégagée par ces industries dans la richesse totale produite dans l’Hexagone a été divisée par deux.
La locomotive de l’emploi
Ces chiffres sont cependant en partie trompeurs. D’abord parce qu’ils ne rendent pas compte d’un phénomène majeur: l’essor de l’externalisation, c’est-à-dire le recours croissant des entreprises industrielles aux services d’autres entreprises pour prendre en charge les activités qu’elles jugent en dehors de leur coeur de métier. Des activités aussi variées que la restauration collective de leurs salariés, le nettoyage des locaux, l’intendance informatique, mais aussi la comptabilité, la publicité, certaines activités d’ingénierie ou de conception, etc. Une part de la valeur ajoutée et des emplois industriels disparus a donc migré vers ces activités. Ces emplois sont comptabilisés dans les services aux entreprises, dont les effectifs ont été multipliés par quatre en quarante ans, pour dépasser 4 millions de postes avant la crise. Si plus de 230 000 emplois ont été supprimés dans ce secteur depuis le début de la crise, cela a donc un rapport direct avec les difficultés de l’industrie…
D’une manière générale, l’industrie conserve un rôle de locomotive dans la création d’emplois. Un rôle qui saute aux yeux lorsqu’on examine les dynamiques locales, comme l’a fait l’économiste Brieuc Bougnoux, directeur du cabinet Reverdy. L’exemple de STMicroelectronics dans le bassin grenoblois en est une illustration: lorsque le fabricant de semi-conducteurs crée un emploi sur son site, il « engendre environ un emploi chez les fournisseurs directs du site, observe Brieuc Bougnoux. Ces deux emplois créés dans la filière microélectronique grenobloise engendrent à leur tour environ quatre emplois dans l’économie tertiaire pour répondre aux besoins des familles. Ces quatre emplois se partagent à peu près à parts égales entre le local et le national. Sur un plan strictement local, on peut donc considérer qu’un emploi supplémentaire chez STMicroelectronics en suscite quatre autres. Un effet de levier considérable qui justifie l’ardeur des collectivités locales pour attirer les industriels sur leur territoire ». Cet enjeu est d’autant plus important que les emplois industriels sont généralement des emplois stables, relativement qualifiés et bien rémunérés, tandis que les emplois créés dans les services sont plus souvent précaires et mal payés.
Le tourisme ne suffit pas
Cet effet d’entraînement ne s’exerce pas seulement sur l’emploi. Les dépenses de recherche et développement des entreprises françaises sont assurées à plus de 85 % par l’industrie. L’essentiel de l’effort d’innovation, moteur de la croissance de demain, repose donc sur elle. D’où l’intérêt crucial du maintien de certains secteurs comme l’aéronautique ou l’automobile. « Si l’on raye l’industrie automobile de la carte, c’est une catastrophe, tranche Daniel Coué, consultant en stratégie d’entreprise, spécialiste de la sous-traitance industrielle. Par son exigence en matière de recherche, cette branche a tiré l’ensemble de l’industrie française vers le haut. » Une contribution plus indispensable aujourd’hui que jamais. « Les solutions techniques pour réduire l’impact des activités humaines sur l’environnement, pour lutter contre le changement climatique s’inventent aujourd’hui dans l’industrie« , insiste Yvon Jacob, président du Groupe des fédérations industrielles (GFI).
Enfin, l’industrie joue également un rôle dominant dans les échanges extérieurs: les produits industriels (hors énergie) représentent 73 % de nos exportations et 68 % de nos importations. Si demain la France n’exporte plus d’automobiles, d’Airbus ou de TGV, comment paiera-t-elle les vêtements, les baladeurs numériques ou les écrans plats qu’elle ne produit plus sur son territoire et que chaque Français aspire pourtant à posséder? Aucune branche des services, pas même le tourisme, n’est en mesure pour l’instant de faire rentrer les dizaines de milliards nécessaires pour maintenir ce niveau de vie…
On peut lire le texte complet sur le site d’Alternatives Economiques
Discussion
Pas de commentaire pour “De l’importance des usines”