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Le samedi 23 avril 2022

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Qu’est-ce qu’une école juste ?

L’auteur invité est Anne Châteauneuf-Malclès, de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon

L’Observatoire des inégalités organisait le 28 janvier 2010 une conférence intitulée « Qu’est-ce qu’une école juste ? ». Nous vous proposons de découvrir la vidéo de cet évènement qui réunissait Marie Duru-Bellat, professeure de sociologie à Sciences-Po Paris, et Eric Charbonnier, spécialiste des questions d’éducation à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques).

Nous reprenons ici un extrait du texte de présentation et l’enregistrement vidéo proposés par Anne Châteauneuf-Malclès, pour l’Ecole Normale Supérieure de Lyon.

Présentation des intervenants

Marie Duru-Bellat est professeure de sociologie à Sciences Po Paris, chercheur à l’Observatoire Sociologique du Changement et à l’Institut de Recherche en Education. Elle a notamment travaillé sur les politiques éducatives et les inégalités sociales et sexuées dans le système scolaire, et a publié de nombreux ouvrages et articles sur ces questions. Récemment, elle a orienté ses recherches sur la question de l’intériorisation de la méritocratie et vient de publier Le mérite contre la justice (Presses de Sciences Po, 2009).

Eric Charbonnier est analyste à la Division des indicateurs et analyses de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Il participe notamment au programme PISA (Programme for International Student Assessment – Programme international pour le suivi des acquis des élèves) et à la publication annuelle de l’OCDE, Regards sur l’éducation.

Présentation de la conférence

Dans cette conférence, Marie Duru-Bellat et Eric Charbonnier sont invités à dessiner les contours d’une « école juste », dans un contexte à la fois de fortes attentes sociales vis-à-vis de l’école et de persistance d’inégalités scolaires dont font les frais une partie des jeunes qui connaissent l’échec scolaire. Marie Duru-Bellat centre sa réflexion sur la méritocratie et discute de ce principe de justice dominant dans le système éducatif français. Eric Charbonnier, en s’appuyant sur les comparaisons internationales des systèmes éducatifs et la mesure de leurs performances relatives, propose des pistes pour améliorer l’efficacité du système éducatif français et diminuer les inégalités de réussite des élèves.

Pour Marie Duru-Bellat, il existe plusieurs principes de justice, mais la méritocratie, selon laquelle les places de chacun sont attribuées sur la base de leurs talents et de leurs efforts, s’est progressivement imposée comme principe de justice central, notamment à l’école où elle est au cœur de son fonctionnement. Ce « succès » croissant du mérite et son caractère consensuel s’expliquent par le « confort psychologique » qu’il apporte aux individus et par sa capacité à concilier l’idéal égalitaire des sociétés démocratiques et les inégalités de fait des positions sociales. Néanmoins, la sélection par le mérite – et l’acceptation d’inégalités fondées sur le mérite – suppose une réelle « égalité des chances », c’est-à-dire l’égalité de tous dans la compétition pour accéder aux places inégales.

Marie Duru-Bellat critique l’hégémonie du mérite et sa capacité à produire de la justice, en observant ses insuffisances et ses effets pervers à l’intérieur de l’école, mais aussi à l’extérieur, quand on entre dans le monde du travail (cette thèse est développée dans son dernier ouvrage Le mérite contre la justice). Elle souligne d’abord la présence d’une forte corrélation entre l’origine sociale des élèves et leur réussite scolaire, qui montre que les résultats des élèves ont peu de relation avec leur « mérite ». Elle ajoute qu’à l’école les évaluations des enseignants mesurent assez peu le mérite des élèves. De plus, elle estime que les dispositifs de promotion de l’égalité des chances du type « discriminations positives » ne corrigent le système qu’à la marge et nient l’existence d’inégalités sociales fortes ayant un impact important sur le développement des enfants. Ensuite, Marie Duru-Bellat constate que la réussite et les carrières professionnelles ont peu de relation avec mérite scolaire et qu’il ne suffit pas d’avoir des diplômes pour être employable et efficace dans le travail. Les « qualités » attendues dans le monde du travail ne sont pas toujours celles qui sont sanctionnées par les titres scolaires et universitaires, et les chances de réussite professionnelle des jeunes diplômés sont très dépendantes du contexte socioéconomique (la croissance, les évolutions sectorielles, le milieu social d’origine…).

En outre, la diffusion d’une pure logique du mérite, la polarisation sur la promotion individuelle et l’impératif d’excellence, comporte des risques pour la sociologue : l’abandon de certaines missions fondamentales de l’école (formation, éducation), des gaspillages en termes de ressources humaines, des coûts psychologiques dans un monde du travail hyper-compétitif où tous les problèmes d’emploi sont renvoyés à la responsabilité des individus (culte de la performance). La conclusion de Marie Duru-Bellat est qu’il ne faut pas rejeter la méritocratie, mais l’usage exclusif ou excessif du mérite comme principe de justice. Il s’agit de l’articuler avec d’autres logiques, moins individualisées, comme celle d’égalité. Assurer un bagage commun à tous les élèves ou réduire les inégalités socio-économiques au niveau de la petite enfance lui paraît au moins aussi essentiel que la promotion de l’égalité des chances d’accès aux grandes écoles.

Les travaux de la direction éducation de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques) tels que l’enquête PISA et la publication annuelle « Regards sur l’éducation » offrent des informations précieuses sur les comparaisons des systèmes éducatifs des pays développés et montrent que les choix en matière de politique d’éducation sont très variables d’un pays à l’autre. Ces études et les indicateurs construits à cette occasion constituent des outils pour apprécier la situation de notre système éducatif, ses forces et ses faiblesses. Eric Charbonnier expose d’abord les spécificités du système éducatif français relativement aux autres pays. Ensuite, il dégage les caractéristiques d’une école juste et efficace, à partir de l’étude des systèmes éducatifs nationaux qui arrivent à combiner bonnes performances scolaires et économiques, et faibles inégalités de réussite. En premier lieu, il ressort de ces études que les performances du système d’éducation français sont dans la moyenne des pays de l’OCDE, mais que les inégalités de réussite y sont plus marquées que la moyenne. L’école française a, par certains côtés, un caractère atypique par rapport à la plupart des autres pays. Au niveau de sa structure de financement, on observe des inégalités dans la répartition des moyens (entre le secondaire et le primaire, entre les universités et les grandes écoles). De plus, contrairement à la majorité des pays de l’OCDE, les universités ne sont pas les formations supérieures les plus prestigieuses et récoltent moins de ressources privées qu’ailleurs. Une autre spécificité française est la prédominance des mathématiques dans l’enseignement secondaire, dans l’orientation et la sélection, d’où une forte pression sur les élèves et une peur de l’échec en mathématiques bien plus élevée qu’ailleurs chez les jeunes Français. Quant aux inégalités, elles sont d’abord géographiques avec une surreprésentation des enfants de milieux défavorisés dans certains établissements (collèges ambition-réussite).

Les inégalités de réussite en fonction du milieu social d’origine sont aussi plus présentes en France : d’après l’enquête PISA, un enfant de milieu défavorisé a une probabilité quatre fois supérieure d’être parmi les élèves en difficultés relativement à un enfant de milieu favorisé, contre trois fois plus en moyenne dans les pays de l’OCDE. Néanmoins l’existence du collège unique semble favorable à la réussite des élèves : l’enquête PISA a montré qu’une différenciation scolaire très précoce avait un impact négatif sur les inégalités (Allemagne, Autriche, Suisse), alors que les systèmes éducatifs les plus performants sont ceux qui gardent les élèves ensemble le plus longtemps possible. Enfin, la présence d’une population immigrée n’est pas forcément un obstacle à la réussite du système d’éducation, comme le montrent les exemples de la Suède et du Canada, qui ont su prendre des mesures adaptées pour améliorer la réussite des enfants d’immigrés (cours de langue obligatoires dans un cas, valorisation de toutes les cultures à l’école dans l’autre cas). E. Charbonnier précise dans un second temps les « clés de la réussite » des systèmes d’éducation qui obtiennent les meilleurs résultats dans les études. Ceux-ci associent « qualité, équité et efficience », c’est-à-dire bonnes performances scolaires, faibles inégalités de réussite et coût limité pour l’Etat (Finlande, Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, la Corée).

Dans les systèmes scolaires de ces pays, les chefs d’établissement ont plus d’autonomie qu’ailleurs en matière de choix de l’utilisation des moyens, de recrutement des enseignants, de définition de la politique éducative… Le redoublement y est beaucoup moins fréquent qu’en France. La cohésion des équipes pédagogiques et la formation poussée des enseignants est un autre élément de réussite. La formation très exigeante des enseignants en Finlande – et pas seulement sur le plan académique – mais également la place qu’ils occupent dans la société (respect, reconnaissance sociale) expliquent en partie les très bonnes performances de l’école finlandaise. Enfin, dans ces pays, les élèves ont moins d’heures de cours, des programmes scolaires moins chargés, le choix des méthodes pédagogiques s’adapte aux élèves. Les apprentissages sont davantage centrés sur les compétences de base, avec plus de travail en petits groupes et de rattrapage pour les élèves qui ne sont pas au niveau.

Ces réflexions conduisent Eric Charbonnier à formuler quelques pistes pour améliorer le système éducatif français (élever ses performances moyennes et réduire les inégalités de réussite des élèves) : diminuer le redoublement, réduire le volume horaire des enseignements, développer le soutien scolaire, améliorer l’orientation entre le secondaire et le supérieur et le contenu pédagogique des filières de l’enseignement supérieur… L’un des enjeux fondamentaux est de diminuer le nombre de jeunes qui sortent du système d’éducation sans aucun diplôme. Des réformes sont nécessaires, cependant, pour Eric Charbonnier, les associer à des économies budgétaires peut conduire à annuler leurs effets.

On peut lire le texte sur le site de l’Observatoire des inégalités ou sur celui de l’Ecole Normale Supérieur de Lyon

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