L’auteur invité est Robert Laplante, directeur de L’Action nationale et directeur général de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC)
Rarement a-t-on vu un budget du Québec aussi provincial. Parfait mélange de résignation comptable, de fétichisme idéologique et d’à-plat-ventrisme canadian, l’opus de Raymond Bachand donne le signal d’une volonté féroce de normalisation de la province de Québec. Le Parti libéral et ceux qui le soutiennent dans cette malsaine entreprise sont plus que jamais déterminés à gérer le Québec avec les moyens que le Canada lui laisse. Telle est en effet la situation réelle : nous sommes dans une conjoncture financière créée, certes, par l’aveuglement idéologique du gouvernement et son parti-pris pour les solutions néo-libérales, mais dans un cadre qui détermine toutes les autres options. Et ce cadre, c’est celui d’une nation qui n’a pas le contrôle sur la majorité des impôts versés par ses contribuables.
On peut toujours faire le procès de ce dogmatisme idéologique qui a consisté à réduire les impôts et à affaiblir l’État pour ensuite sonner le tocsin sur la fragilité des finances publiques et l’on n’aura pas tort. Mais encore faut-il y voir que la manœuvre était déjà bien éprouvée : d’abord fragiliser pour ensuite accuser l’État de sa faiblesse et de ses lacunes. Le gouvernement Charest qui l’avait annoncé lors de son premier mandat aura tout simplement mis plus de temps que prévu pour mettre en place le stratagème. La crise aidant, le voilà maintenant qui s’estime en meilleure posture. Et il ne recule devant rien pour jouer de tous les ressorts de la propagande au point de nourrir une psychose de la dette qui répond de la plus pure démagogie. Raccourcis méthodologiques, confusion conceptuelle, interprétations spécieuses, tout est bon pour produire l’effet dépresseur.
Nous dépenserions sans compter, nos actifs ne compteraient que pour peu dans notre situation financière globale. Les plus odieux vont même jusqu’à nous imputer une part de dette fédérale sans jamais tenir compte de la quote-part des actifs qui nous revient. C’est une psychose entretenue qui ne sert qu’à justifier un empressement à rembourser qui est d’abord et avant tout une agitation frénétique pour casser notre dispositif institutionnel. Nous serons donc les plus pressés du monde occidental à rechercher un équilibre budgétaire avec la moitié de nos outils. Nous brillerons parmi les meilleurs !
Le débat sur les finances publiques est un véritable faux-fuyant. Ce qui s’y joue réellement, c’est le consentement à se plier au régime, c’est la décision délibérée de mettre fin à des aspirations qui ne trouveraient à se réaliser qu’en forçant le procès d’un arrangement politique qui les freine. Le projet politique de Jean Charest est une entreprise d’autodestruction dirigée. Ce jusqu’au-boutisme n’est pas celui du courage, mais bien celui de la démission.
« À l’assaut du modèle québécois » titre avec justesse la une du Devoir. Ce budget veut effectivement marquer une rupture. Ce gouvernement veut mettre un terme, une fois pour toutes, aux distorsions que provoquent les aspirations nationales sur la gouverne de la province. Le ménage annoncé vise à faire du gouvernement du Québec un vrai gouvernement provincial, comme celui du Nouveau-Brunswick ou d’ailleurs. Un ordre subalterne qui s’occupe des choses publiques dans des paramètres fixés par le gouvernement national et le cadre financier qu’il définit. L’originalité de nos institutions, les spécificités de notre offre de services publics, nos choix de solidarité sociale ne tiennent qu’à la condition de s’inscrire dans un périmètre défini par les choix et les règles d’Ottawa. Les Québécois qui depuis toujours considèrent le gouvernement du Québec comme leur gouvernement national sont ainsi sommés de prendre acte : il leur faut renoncer.
Il aura fallu plus de deux générations et des efforts immenses de mobilisation pour finir par réaliser la Révolution tranquille qui n’aura été, somme toute, que l’opérationnalisation d’un constat impitoyable : l’État est un instrument indispensable à la réalisation de nos aspirations. C’est autour de sa modernisation que notre peuple a pu sortir de la misère et c’est par les politiques progressistes de ce même gouvernement du Québec qu’ont pu se constituer les classes moyennes sur les conditions réunies d’une prospérité qui permettait enfin d’espérer sortir de la marginalité économique. Le budget Bachand fait d’une pierre deux coups : c’est un assaut sur les classes moyennes et un effort délibéré pour casser le recours à l’État pour soutenir la lutte aux inégalités et, du coup, pour conforter la cohésion nationale.
Sous couvert de redressement des finances publiques, c’est l’aspiration nationale qui est combattue. La réduction annoncée des dépenses ne signifiera pas seulement diminution de l’offre et dégradation de la qualité des services, elle signifiera surtout le ratatinement des missions de l’État. Le gouvernement de la province de Québec n’aura plus les moyens de tenter de se conduire comme un gouvernement national. Le gouvernement Charest assume et consent : l’État québécois n’a plus les moyens des responsabilités qu’il s’est données. Pour faire face aux défis qui sont les nôtres, nous avons besoin d’un État complet. Pour remplir les obligations contractées au fil des ans pour tisser notre filet social aussi bien que pour soutenir notre vie nationale, il faudrait, il faut tenir compte de toutes les ressources disponibles. En se refusant à le faire, le ministre Bachand se comporte comme un servile intendant. Il sert un régime qui nous pousse à la vie médiocre et nous repousse dans un univers sociétal aux inégalités croissantes.
La volonté de réduire les acquis, présentée comme un courage pour casser les privilèges, traduit en réalité une conduite mercenaire fort tentante pour une partie de l’élite québécoise qui se considère désormais assez bien en selle pour se tirer d’affaire sans l’État du Québec. Et surtout assez bien placée pour en gérer la dépendance qui va s’accélérer. D’où l’engouement pour les PPP, d’où le culte du privé et de la privatisation, d’où le cynisme à l’endroit de la solidarité sociale. Une certaine classe dirigeante trouve désormais son intérêt à consentir à la dépendance. Le budget Bachand propose de brûler les meubles pour chauffer la maison Québec dont il renonce par ailleurs à se faire maître. Il sera concierge et fera du zèle à se justifier des contraintes qu’Ottawa lui imposera pour mieux brider les locataires.
Il y a eu beaucoup de tapage médiatique autour du caractère historique de ce budget. Mais c’était de la frime pour célébrer l’employé de l’année. La vraie rupture se dessinait depuis un bon moment déjà et c’était celle que suppose le renoncement à modifier le cadre canadian. Ce gouvernement s’en prend aux classes moyennes pour mieux continuer à attendre que le Canada règle le contentieux de l’harmonisation de la taxe de vente – un détail de 2,3 milliards. Il met en jeu la qualité des services publics en continuant d’attendre en vain le règlement de la note fédérale touchant la crise du verglas – un autre détail d’un demi-milliard de dollars. Il nous parle d’austérité et nous accuse de vivre au-dessus de nos moyens sans remettre en cause les sommes que le Canada consacre à la guerre. Il dénature la mission et le consensus sur le rôle social d’Hydro-Québec pour mieux se résigner aux changements des règles de la péréquation. Il appauvrit les ménages et menace la santé des gens en concédant un PPP d’un demi-milliard aux amis du régime pour le Centre de recherche du CHUM. Il se lamente sur la croissance des dépenses de santé tout en consentant au scandale financier de la construction des deux mégahôpitaux universitaires et à une facture de quelques milliards pour conforter les privilèges de l’establishment anglais et de McGill. Il laisse la corruption gangrener les travaux d’infrastructures et la marchandisation dénaturer le soutien à la petite enfance en faisant des garderies privées de juteuses occasions d’affaires pour les amis du régime.
Tout cela se tient et participe d’une régression nationale induite par notre incapacité collective à aller au bout des ambitions de la Révolution tranquille. Notre incapacité à nous coaliser derrière un projet national fort qui nous donnerait l’État fort essentiel pour résoudre nos problèmes se retourne donc contre nous-mêmes. Notre peuple va souffrir de sa condition minoritaire comme il n’a pas souffert depuis longtemps. On ne voit malheureusement pas bien quelles sont les forces qui pourraient canaliser la grogne que ce budget va susciter et encore moins faire naître la vision rassembleuse qui nous permettrait enfin de briser le carcan. La déliquescence du mouvement national à laquelle nous assistons depuis le sinistre épisode Bouchard va nous coûter très cher. Mais nous avons un rendez-vous avec nous-mêmes qui testera notre vitalité et notre volonté de vivre. Un redressement s’impose et il est possible, notre peuple en est capable.
Une crise majeure approche de son dénouement si les forces indépendantistes savent faire partager la compréhension de cette conjoncture nationale et si elles savent surtout, faire lever enfin la volonté d’en finir avec ce carcan qui nous condamne à tous les renoncements, à tous les déshonneurs.
Le peuple québécois est maintenant plus que jamais à même de réaliser ce que lui coûtera la rançon de l’inachèvement
On peut lire le texte sur le site de l’Action nationale
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