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Le samedi 23 avril 2022

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Comment lutter contre le chômage ?

L’auteur invité est Guillaume Duval, rédacteur-en-chef adjoint au magazine français Alternatives Economiques

L’envolée sans précédent du chômage, loin d’être terminée, nécessiterait une mobilisation générale, comme celle qui a eu lieu pour sauver les banques. Mais pour l’instant, on ne voit rien venir…

3,9 millions de chômeurs étaient inscrits à Pôle emploi en janvier 2010, soit 770 000 de plus qu’en janvier 2008. Au cours des trente dernières années, le pays a déjà connu quelques moments où le chômage a été encore plus important qu’aujourd’hui, mais jamais il n’avait été confronté à une hausse aussi brutale et rapide. Et selon les prévisions actuellement disponibles, c’est loin d’être fini : bien que l’économie française soit sortie de la récession, 2010 devrait être marquée par une nouvelle hausse sensible du chômage. La reprise est en effet très lente et l’activité n’est toujours pas revenue au niveau d’avant la crise. Les entreprises qui avaient souvent fait le dos rond au cœur de la tempête ajustent désormais leurs effectifs à la baisse.

Au-delà même des importantes difficultés que le chômage de masse impose à ceux qui le subissent directement, son retour risque d’avoir un effet particulièrement délétère sur une société française dont la cohésion sociale était déjà très fragilisée. En désespérant en particulier une jeunesse qui s’était prise à croire que les papy-boomers allaient lui libérer de la place en masse sur le marché du travail. Le chômage pourrait bien aussi tuer la reprise économique elle-même, car il risque d’avoir raison de la consommation des ménages, qui avait bien résisté jusque-là et tirait l’activité.

Après le volontarisme de nos dirigeants face à la crise bancaire fin 2008, on ne peut qu’être surpris par leur timidité sur le front du chômage. Il faut dire que nombre des mesures qui permettraient de limiter les dégâts − réduction du temps de travail, emplois aidés, emplois publics − impliqueraient de revenir sur les promesses de campagne du candidat Sarkozy…

Ce n’est pas fini

Bien que l’économie française soit sortie de la récession depuis le deuxième trimestre 2009, l’emploi continue de diminuer. Normal : les effectifs des entreprises s’ajustent toujours avec retard aux évolutions de l’activité. A la baisse comme à la hausse. Mais cet effet est particulièrement marqué aujourd’hui. La chute spectaculaire de l’emploi à laquelle on a assisté en 2009 est en effet loin de refléter l’ampleur de la baisse d’activité. On s’en rend compte en mesurant la productivité, c’est-à-dire la quantité de richesses produite par chacun de ceux qui occupent un emploi.

Au premier trimestre 2009, elle était plus faible de 2,6 % qu’au premier trimestre 2008. Or, en temps normal, on parvient au contraire chaque année à produire un petit peu plus de richesses avec autant de travail, grâce à de nouvelles machines, à une meilleure organisation, etc. D’ordinaire, le niveau de ces gains de productivité est de l’ordre de 1,5 % par an en France. Quand on se situe à − 2,6 %, cela signifie que les effectifs employés sont trop importants, à hauteur de 4 % environ par rapport à la normale. Ces sureffectifs ont notamment été gérés jusqu’à présent grâce à un recours massif au chômage partiel et à la souplesse donnée aux entreprises par les accords sur les 35 heures, qui ont permis de cumuler les réductions du temps de travail (RTT) et d’éviter ainsi des licenciements.

Malgré l’aide de la puissance publique au chômage partiel, cette situation ne peut cependant pas s’éterniser : les salariés sous-employés pèsent négativement sur la rentabilité des entreprises, au moment où celles-ci peinent à obtenir des crédits auprès des banques et ont le plus grand besoin de les rassurer, ainsi que leurs clients et leurs fournisseurs, sur leur viabilité. En effet, la part des profits dans la valeur ajoutée des entreprises (les sociétés non financières) avait plongé à 30,1 % au premier trimestre 2009, un record à la baisse depuis 1985. C’est pourquoi, bien que l’économie française soit sortie de la récession dès le deuxième trimestre 2009, les suppressions d’emplois se sont poursuivies depuis, et se poursuivront cette année, à un rythme élevé. […]

Pour créer des emplois, le gouvernement veut surtout soutenir les très petites entreprises et les entrepreneurs individuels. Il a ainsi supprimé les cotisations sociales des salariés recrutés au niveau du Smic dans les entreprises de moins de dix salariés. En décembre dernier, 740 000 emplois en avaient bénéficié, selon le gouvernement. Le chiffre est élevé, mais pour une bonne part lié à ce qu’on appelle un « effet d’aubaine » : ce type de mesures coûte en effet très cher aux finances publiques, alors que la plupart des emplois qui en bénéficient auraient été créés même sans ces allégements.

La deuxième grande politique menée par le gouvernement consiste à inciter les gens à se mettre à leur compte. 580 000 entreprises ont vu le jour l’an dernier, contre 331 000 en 2008, soit une hausse de 75 % malgré la crise, grâce notamment au succès du nouveau statut d’auto-entrepreneur. Malheureusement, si ces entreprises nouvellement créées soulagent temporairement les statistiques du chômage, la grande majorité d’entre elles ne survivront pas : dans un tel contexte, beaucoup de ceux qui se sont lancés dans l’aventure connaîtront même de grandes difficultés financières. Sans oublier que ce n’est pas vraiment de toutes petites entreprises dont l’économie française a besoin, il y en a déjà trop. […]

Il manque des contrats aidés

Autre outil plus pérenne : les emplois aidés. Tout le monde a conscience que ce n’est pas l’idéal, mais ils sont utiles à différents titres : pour limiter l’impact désocialisant du chômage sur les personnes ; pour aider à modifier les « files d’attente » des chômeurs en donnant une chance de revenir dans l’emploi à celles et ceux qui en ont a priori très peu ; enfin, pour permettre à certaines activités d’exister dans le secteur non lucratif, qu’il ne parviendrait pas à financer sinon. […]

Il existe par ailleurs d’autres actions, potentiellement efficaces, auxquelles le gouvernement répugne encore à recourir pour des raisons essentiellement idéologiques. De même que l’Etat endosse le rôle de banquier en dernier ressort lorsque le système financier risque de s’écrouler, il peut et doit aussi être l’employeur en dernier ressort lorsque le chômage menace de plonger l’économie et la société dans la crise. Cela peut prendre la forme de la création d’emplois publics. Il faut naturellement être prudent : compte tenu de la protection statutaire dont bénéficient ces emplois, ces créations sont difficilement réversibles. Mais pour l’instant, le problème ne se pose pas : le gouvernement entend, au contraire, supprimer 30 000 emplois dans la fonction publique (dont 16 000 à l’Education nationale), soit le plus grand plan social du pays.

Travailler moins ?

Dans les circonstances actuelles, la réduction du temps de travail pourrait, elle aussi, limiter le nombre de chômeurs. Mais loin d’aller dans ce sens, le gouvernement continue d’encourager les salariés à faire des heures supplémentaires à grand renfort d’argent public. En 2009, malgré la crise, on a encore enregistré 676 millions d’heures supplémentaires subventionnées, soit l’équivalent de 434 000 emplois. Un emploi coûte en moyenne 41 000 euros par an, charges comprises. Les 4 milliards d’euros dépensés pour subventionner les heures supplémentaires auraient donc pu permettre de financer quasiment entièrement 100 000 emplois en plus !

Enfin, plus délicat, une autre forme de réduction du temps de travail est envisageable : une des politiques traditionnelles face aux poussées du chômage de masse consiste à encourager les salariés les plus âgés à anticiper leur départ en retraite afin de donner la priorité aux jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Or, en 2009, c’est l’inverse qui s’est produit : le nombre de départs en retraite a été l’année dernière, contre toute attente, inférieur à ce qu’il avait été en 2008. Et malgré la crise, le taux d’emploi des 55-64 ans a continué de s’accroître sensiblement, tandis que celui des 15-24 ans plongeait brutalement.

Les problèmes de financement de la protection sociale sont réels, mais au vu de l’évolution récente du chômage et compte tenu de l’absence de perspectives d’amélioration à court terme, il convient probablement de revenir, en partie et provisoirement, sur la politique qui a consisté toutes ces dernières années à limiter au maximum ces départs anticipés. Bref, il existe des moyens pour freiner la montée du chômage, mais leur mise en œuvre à grande échelle impliquerait de remettre en cause certains dogmes auxquels le gouvernement s’accroche toujours, malgré la gravité de la crise.

On peut lire le texte au complet sur le site d’Alternatives Economiques (Article issu du hors-série poche « La crise », avril 2010)

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