L’auteur invité, Christian Chavagneux, est en chef adjoint d’Alternatives Economiques et rédacteur en chef de la revue L’Economie politique.
Paul Krugman et Joseph Stiglitz tiennent le haut du pavé médiatique de la contestation de la théorie économique dominante. Leurs prises de position en faveur d’un rôle régulateur actif de l’Etat redonnent de l’importance et de la légitimité aux réflexions sur la capacité des pouvoirs publics à contribuer au bien être général. Pourtant, leur positionnement les place plus comme des techniciens soucieux d’améliorer les performances de la théorie dominante que de proposer une alternative comme Keynes avait su le faire en son temps.
On a déjà eu l’occasion de montrer ici tout ce que l’on doit aux travaux et aux chroniques de Paul Krugman. Et tout ce qu’il n’apporte pas : au moment où le tout libéral vacille, au moment où la théorie économique dominante est secouée par son incapacité à penser les crises, Krugman ne propose pas, pour l’instant, une autre façon de penser l’économie.
L’intervention de Joseph Stiglitz à la grande conférence Inet, le think tank lancé en avril par George Soros pour pousser les économistes à renouveler leurs idées, laisse la même impression. Après avoir rappelé que les économistes sont en partie responsables de la crise du fait des mauvaises idées qu’ils ont propagé, Stiglitz propose un nouvel agenda pour la science économique qui consiste à lever petit à petit certaines hypothèses de la théorie néoclassique pour que les économistes puissent bâtir de meilleurs modèles.
Stiglitz montre l’absurdité de retenir des hypothèses telles que celles de la rigidité de salaires, de l’individu représentatif (« ça limite l’analyse des interactions » !), etc. Il ne croît pas au fait que les acteurs de l’économie se comportent en suivant un modèle d’anticipations rationnelles mais conserve tout de même cette hypothèse car, dit-il, elle est utile comme « stratégie de recherche » (malheureusement, il n’explique pas pourquoi).
Evoquant en fin de conférence quelques pistes de renouveau, il souhaite que les modèles analysent mieux les faillites et défauts de paiement, tiennent compte de l’hétérogénéité des agents (et donc des questions d’inégalités et de redistribution) ou encore proposent des analyses des liens entre acteurs financiers et comment ils peuvent provoquer un risque systémique. Des problèmes difficiles à théoriser car il faudra sûrement, conclut Stiglitz, utiliser des modèles stochastiques complexes avec simulation sur ordinateur.
On ne peut effectivement que souhaiter aux économistes de mieux comprendre les mécanismes des crises financières et d’inégalités. Mais pourquoi vouloir le faire uniquement en continuant à bâtir des modèles plus abstraits, ce qui visiblement va leur prendre un peu de temps… Pourquoi ne pas appeler à la multiplication des travaux historiques sur les mécanismes des crises financières, des travaux sociologiques sur les rapports de force à l’intérieur des banques pour comprendre comment les risques tout peuvent y prendre le pouvoir, etc. On semble en rester à une approche qui essaie de vérifier que ce qui ce passe dans la réalité peut vraiment se produire en théorie…
Pourquoi en rester là ? La réponse tient à l’écart qui existe entre les prises de position politique fortes de ces économistes qui révèlent leurs préférences idéologiques pour des économies mieux régulées et plus justes et leur volonté de croire que l’analyse économique est une science lancée sur une trajectoire de progrès continuel (un point de vue discutable).
Krugman et Stiglitz sont des économistes passionnants. Il faut les lire et se nourrir de leurs réflexions. Mais ils ne semblent pas pouvoir être la source d’un renouvellement profond de la réflexion comme celui que Keynes a su mettre en œuvre dans les années 1930, trop prisonniers qu’ils sont de l’environnement méthodologique dans lequel ils ont grandi et trouvé leur place. Amis économistes, il y a une place à prendre !
On peut lire le texte sur le blogue d’Alternatives Economiques
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