L’auteur invité est Avinash Persaud, président de Intelligence Capital Limited et membre du conseil de la London School of Economics
Faire porter aux étrangers la responsabilité de nos problèmes est malheureusement une règle cardinale en politique, et même les plus ardents internationalistes y souscrivent. Après sept ans d’une frénésie de consommation aux États-Unis, attestée par un taux négatif d’épargne des ménages, un effet de levier excessif, des niveaux d’emploi historiquement élevés et des déficits extérieurs record, les commentateurs de la plus grand économie du monde ne veulent pas admettre ce que tous les modèle macroéconomiques indiquent pourtant de façon flagrante – que les politiques fiscales et monétaires des États-Unis étaient trop accommodantes. Au lieu de quoi ils font porter le chapeau à la Chine en particulier et à l’Asie en général, la première accusée de manipuler sa monnaie et la seconde pointée du doigt pour son taux d’épargne excessif.
L’une des formules favorites des milieux d’affaires américains, pendant les années fastes, c’était « faites le calcul ». Et bien faisons le calcul, justement, et nous trouvons qu’une hausse du cours du yuan ne changerait pas grand chose. Imaginons par exemple qu’à la faveur d’une hausse significative de la valeur du yuan, l’excédent commercial chinois (175 milliards de dollars) disparaissait. (Incidemment, il est loin d’être clair qu’une hausse du cours du yuan suffirait à aurait ce résultat, étant donné que cela ne suffirait pas à inverser le déséquilibre entre épargne et investissement, mais passons.). Si la Chine, donc, n’avait plus d’excédent commercial, de combien progresserait le PIB mondial ?
D’environ 0,25 %. Au cours actuel, l’économie chinoise représente le quart de l’économie américaine et au moment où le déficit commercial des États-Unis était le plus profond, l’excédent chinois représentait à peine un tiers de sa valeur. David pourrait avoir fait tomber Goliath, mais il ne pourrait pas le porter.
La Chine a indexé le cours du yuan sur celui du dollar pendant dix ans, jusqu’en 2005. Avec un cours fixe, un pays développe des excédents commerciaux croissants grâce à des prix de plus en plus compétitifs. Bien sûr, pour l’électeur américain moyen familier avec les changes flottants, la simple idée d’un cours fixe sent la manipulation, mais en fait il est plus facile de « manipuler » un cours flottant qu’un cours fixe.
Un bon exemple de manipulation de cours, ce sont les États-Unis, qui vont continuer à mener délibérément une politique monétaire accommodante, en partie pour faire baisser le dollar et dynamiser leurs exportations au détriment de leurs partenaires. Beaucoup d’Européens aimeraient que leur banque centrale fasse de même. Et c’est exactement pour éviter ce genre de politique de manipulation des cours que l’on a créé le FMI. Au lieu de quoi le FMI se demande aujourd’hui si un cours fixe est une manipulation. Bienvenue au pays du double discours.
La principale façon de « manipuler » un cours fixe est d’utiliser des taux d’intérêt élevé et la politique fiscale pour déprimer le secteur des biens non-exportables de façon à ce que les flux monétaire nés des excédents commerciaux ne nourrissent pas d’inflation domestique. Ce serait une forme de cannibalisme économique, que peu de pays souhaiteraient pour leurs citoyens – sacrifier le secteur des services domestiques pour nourrir les secteurs exportateurs. Une telle politique serait associée à des taux d’intérêt élevés, une faible inflation, et un secteur des services déprimé contrastant avec la bonne santé des secteurs exportateurs.
Or la Chine a des taux d’intérêts modérés qui montent régulièrement, on y observe une inflation du prix des biens et une inflation potentielle du prix des actifs, une surchauffe, et une croissance économique record qui n’est pas limitée aux exportations.
La Chine a dû abandonner son taux de change fixe en 2005 sous la pression du Congrès des États-Unis et depuis lors elle a poursuivi une politique d’appréciation progressive du cours du yuan, mais cela n’a servi qu’à aggraver les déséquilibres financiers en attirant un flux monétaire annuel supplémentaire de 100 milliards de dollars, puisque les investisseurs considèrent qu’en pariant sur la monnaie chinoise ils ne peuvent pas perdre.
L’idée selon laquelle le monde souffrirait d’une surabondance d’épargne, qui nous aurait tous entraînés dans la récession si la généreuse Amérique n’avait pas tant consommé, est à la fois très difficile à défendre intellectuellement et très intéressante à soutenir politiquement.
Certes, vous ne pouvez pas engager un boom en épargnant. Il n’existe pas de modèle économique où un surcroît d’épargne déclenche une période de croissance économique aussi rapide et aussi globale que ce que nous avons connu jusqu’en 2007. Faire pression sur la consommation risque de mener à un effondrement, au mieux contenu par les déficits des États-Unis. Mais tout ce qu’il faudrait pour produire le type de cycle que nous avons connu, une hausse rapide suivie d’une chute tout aussi rapide, ce serait précisément la politique fiscale, monétaire et régulatrice extrêmement accommodante menée aux États-Unis et ailleurs, alimentant un boom de consommation dans la plus grand économie mondiale qui mènerait nécessairement à des excédents pour une bande d’exportateurs de biens de consommation et de marchandises comme l’Allemagne ou le Chili, et ce indépendamment de leur régime monétaire.
Nous avons déjà connu ça. Au milieu des années 1980, l’industrie automobile américaine analysait ses déboires non pas par la moindre qualité des voitures qu’elle produisait, ni par leur consommation d’essence. Pour eux, ce qui était en cause c’était le cours du yen et celui du dollar.
Des pressions politiques ont amené à relever le yen, une hausse supérieure aux 27 % demandés aujourd’hui par le Congrès pour le yuan. Avec des résultats aussi insignifiants pour sauver Detroit que les bénéfices que l’on retirerait aujourd’hui d’une hausse du yuan.
La question du taux de change chinois a beaucoup plus à voir avec des questions de politique intérieure qu’avec l’économie internationale. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’estimation officielle du Trésor américain sur une éventuelle manipulation du cours du yuan par les Chinois pourrait bien être reportée sine die, en raison du malentendu qu’elle fait peser sur les relations entre les deux pays.
On peut lire le texte sur le site Internet Telos. Une version anglaise est aussi reproduite sur le site VoxEU
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