L’auteur invité est Thanassis Kalfas, journaliste grec collaborateur à Metis, correspondances européennes du travail
« L’Enfer, c’est les autres » disait Sartre. Il n’était pas Grec, mais son adage est devenu une rengaine populaire en Grèce. Les Hellènes sont dépités et en colère. Anni Podimata (PSE) et Rodi Kratsa (PPE et vice-présidente du Parlement européen), deux eurodéputées grecques, membres de la Commission spéciale sur la crise financière, économique et sociale analysent la situation.
« Taxer les riches », « grève contre les spéculateurs » et « pas touche au 14e mois », indiquent les pancartes d’un cortège athénien mené par la Confédération générale des travailleurs grecs (GSEE, 1 million d’adhérents) et la fédération des fonctionnaires Adedy (300 000 membres). Manifestation spontanée, grève générale, occupation d’usine, une frénésie de mouvements sociaux agite Athènes. Chaque jour défilent de nouveaux cortèges.
Contre les mesures d’austérité ?
Dans un bulletin quotidien, les grévistes protestent contre les mesures d’austérité destinées à réduire le déficit abyssal du pays. Pour l’instant, seul le service public est concerné par les nouvelles mesures sur l’emploi. Elles ne prévoient pas de suppression d’emploi dans le service public, mais des gels des salaires et des retraites. Les rémunérations des fonctionnaires représentaient à elles seules 60 % des dépenses budgétaires ! Le gouvernement compte ainsi réduire de moitié les dépenses publiques, et planifie de nouvelles recettes fiscales en pesant sur le pouvoir d’achat et la consommation, notamment par des hausses d’impôts, de TVA (de 2 %) et de taxes sur les alcools et le tabac (20 %).
« Les Grecs sont un peuple fortement politisé, explique l’eurodéputée grecque Anni Podimata (PSE). Ils se rendent compte du caractère particulier et difficile de la situation financière du pays. Une grande partie de la population a un sentiment d’injustice, étant donné qu’elle va devoir supporter les conséquences d’une situation dont elle n’est pas responsable. Nous rentrons dans une ère d’austérité, très difficile pour tous, mais certainement plus difficile pour les couches sociales disposant de salaires moyens et bas ».
Un sondage publié dans le quotidien Kathimerini le 14 mars dernier indiquait des tendances apparemment paradoxales : 60,2 % des citoyens estiment que les mesures prises par le gouvernement sont nécessaires, mais 52,6 % pensent que ces mesures ne serviront à rien. 28,9 % des interrogés ont ressenti de la colère à l’annonce de ces mesures, et seuls 16,1 % croient à un nouveau départ pour le pays.
« La société grecque a fait preuve de son courage et de sa volonté de faire des sacrifices afin de redresser les comptes publics et restaurer la compétitivité de l’économie grecque. Mais la patience de la société grecque n’est pas inépuisable, prévient Rodi Kratsa (PPE, et membre du parti de l’opposition de Costas Karamanlis « Nouvelle Démocratie »). Les syndicats, comme la majorité des partis politiques, ne sont pas « conscients de l’importance des défis que la société grecque doit relever (rationalisation du secteur public, réduction de la bureaucratie et formation continue des fonctionnaires) ».
Contre la corruption ?
Dans l’urgence, le pays fait son examen de conscience : clientélisme, dépenses excessives, fiscalité défaillante, comptes de l’État falsifiés, subventions agricoles européennes accordées sans discernement. Début mars, Transparency Greece a publié une enquête accusatrice sur la corruption en Grèce entre 2007 et 2009. Ainsi, le premier ministre Georges Papandreou n’a pas seulement annoncé des mesures restrictives mais aussi une réforme de la fiscalité. Le but : mettre le haro aux marchés « gris » et « noir » explique Judith Sinnige pour Cafebabel.
Anni Podimata souligne en effet que le « nouveau projet de loi fiscale affronte pour la première fois l’évasion fiscale, taxe le patrimoine ecclésiastique et introduit de nouveaux impôts sur toutes les recettes quelque soit leur provenance ».
Contre les gouvernements successifs ?
Eurostat a alerté les gouvernements à plusieurs reprises car il doutait des chiffres officiels de la dette et du PIB, comme l’explique un blog d’investigation financière.
Selon Mme Podimata, le recours à des outils financiers était légal. « A l’époque qui précède l’entrée de la Grèce à l’UEM (Union Economique et Monétaire) en 2001, l’utilisation des swaps était une pratique courante de toute une série de pays. La Commission européenne a promulgué pour la première fois des règles strictes en rapport avec l’utilisation de ces outils en 1998. Je considère, dès lors, paradoxal, que quelqu’un blâme la Grèce pour des pratiques qui étaient légales à l’époque à laquelle ils ont été utilisés, mais également que seule la Grèce ait été la cible de ces fameux swaps ».
Mme Kratsa est plus sévère et attaque le gouvernement socialiste de l’époque (PASOK). « Le gouvernement grec en 2000 et 2001 paraît avoir fait recours à des méthodes de refinancement de la dette publique qui semblent aujourd’hui douteuses et risquées. Nous attendons les conclusions tirées par la Commission européenne à ce propos ».
Contre l’Europe et l’Allemagne ?
L’appel à l’Europe et l’impatience de l’opinion publique est compréhensible. « La solution, pour qu’elle soit viable et adéquate, ne saurait qu’être européenne, estime Mme Kratsa. Je fais confiance à l’esprit de solidarité à l’esprit de la communauté européenne et la volonté politique partagée par les chefs de gouvernements européens. Cette sortie nécessite également la détermination des citoyens grecs et la politique appropriée par notre gouvernement ».
Anni Podimata précise tout de même que la « condition élémentaire », sur laquelle la Grèce ne peut agir seule : « ramener le coût de l’emprunt à un niveau normal et de faire converger les taux d’intérêts auxquelles la Grèce emprunte avec la moyenne des taux d’intérêts européens. Ici, nous avons besoin de l’aide de nos partenaires. Avant tout, nous voulons une politique claire de soutien et la mise sur pied d’un mécanisme économique d’assistance européen, qui envoie un message fort aux marchés de manière à ce que la situation revienne à la normale ».
En résumé, il faut des solidarités entre les États-membres. « Il ne s’agit pas seulement de la Grèce mais du présent et de l’avenir. L’idée d’une Europe et surtout d’une monnaie unique sans solidarité remet en cause l’objectif même de l’existence de la zone euro et de l’UE (…) affirme Anni Podimata. Je peux comprendre la position allemande, jusqu’à un certain point (les problèmes intérieurs et les difficultés de la coalition gouvernementale, les questions constitutionnelles), mais ce que je ne comprends pas, c’est comment un des deux piliers fondamentaux de la construction européenne, peut fonctionner de manière « germano-centrée », en mettant l’Europe de côté ».
Repère
Début mars, Transparency Greece a publié une enquête accusatrice sur la corruption en Grèce entre 2007 et 2009. Le panel de 6122 personnes interrogé par Public Issue, a mentionné 599 180 actes de fraude à l’État et 357 719 au secteur privé. En première ligne figurent les hôpitaux (33,5 %), les services d’urbanisme (15,9 %) et les bureaux du fisc (15,7 %), le ministère des transports, la Sécurité Sociale (IKA), les préfectures et les municipalités.
Pour le privé, les hôpitaux (15,9 %), les banques (10,8 %), les avocats (9 %) se placent en tête. Suivis par les garages de contrôle technique automobile [KTEO], les cliniques, les écoles de conduite, les ingénieurs civils et les plombiers. La somme moyenne des petites enveloppes (fakelakia) ou pot-de-vin s’élève à 1.355 euros dans le public, contre 1.671 euros dans le privé. En 2009, 787 millions d’euros ont été absorbés par la corruption, contre 748 en 2008 et 639 en 2007.
On peut lire le texte sur le site de Metis, correspondances européennes du travail
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