L’auteur invité est Denis Clerc, fondateur du magazine Alternatives Economiques
C’est le temps des paradoxes : les États, qui ont sauvé la finance d’elle-même il y a quelques mois, se retrouvent accusés de mauvaise gestion par les agences de notation. Et les marchés profitent de la crise qu’ils ont provoquée pour s’attaquer à la protection sociale…
On croyait les agences de notation décrédibilisées, les voilà de nouveau qui font (surtout) la pluie et (peu) le beau temps. On croyait les marchés financiers en voie de régulation, les voilà de nouveau qui mènent la danse. On croyait les titres publics dépourvus de risque, contrairement aux titres privés, les voilà qui sont suspectés d’insolvabilité. On croyait les États-Unis affaiblis, mais c’est l’Europe et sa monnaie qui plongent. On croyait la finance privée plongée dans des turpitudes sans fond, voilà qu’on nous dit que c’est la finance publique qui est fautive…
On n’a pas fini, décidément, d’aligner les paradoxes. Cette crise est née d’une finance débridée que seule une intervention publique massive est parvenue à sauver. Mais en quelques mois à peine, sous la pression des marchés, elle est devenue la crise des Etats endettés, alors même que l’essentiel de cet endettement résulte de la volonté d’endiguer la marée noire de la dépression engendrée par la crise. Les marchés mordent la main qui les a sauvés ! Le politique, qui a permis d’éviter le désastre, est désormais accusé de le causer, et les Etats qui, hier encore, lançaient les bouées de sauvetage, sont sommés par les anciens naufragés de remettre de l’ordre dans leurs comptes. Nous connaissions le scénario classique des pompiers pyromanes, voici celui, plus original et assez imprévu, des brigands qui deviennent juges et policiers, garants de l’ordre et pourfendeurs du désordre.
En Grèce, l’Union européenne et le Fonds monétaire international (FMI) imposent aux salariés du public une réduction de 8 % à 12 % de leurs rémunérations, et à l’ensemble des contribuables une hausse de deux points de la TVA, mais ne pipent mot des dépenses militaires, les plus élevées du monde occidental (6 % du produit intérieur brut, PIB) ni de la fraude fiscale, devenue au fil du temps le sport le plus pratiqué par les travailleurs indépendants.
En France, pour rassurer les marchés, l’État annonce un gel des dépenses publiques pour trois ans, prélude à un sérieux tour de vis sur les retraites et, sans doute, sur l’assurance maladie. Or, depuis l’arrivée de l’actuel chef de l’État au pouvoir, le déficit (+ 5,2 points de PIB) s’est creusé autant par la réduction des prélèvements (- 2,6 points de PIB) que par la progression des dépenses (+ 2,9 points de PIB). Au lieu de marcher sur deux jambes, le gouvernement prétend restaurer l’équilibre en marchant sur une seule.
Mais il y a pire. Quand les marchés spéculent contre la Grèce, c’est clairement une mauvaise gouvernance publique qu’ils attaquent. Mais quand ils se méfient de l’Espagne, du Portugal, de l’Irlande et sans doute demain du Royaume-Uni, on change de dimension. Car ces pays ont en commun d’être brutalement passés d’une gestion prudente de leurs finances publiques (excédent budgétaire en Espagne et en Irlande, déficit public inférieur à 3 points de PIB au Portugal et au Royaume-Uni) à de très forts déficits (au moins 10 points de PIB) pour soutenir des économies fortement déstabilisées par un assèchement du crédit, alors même que leur dynamisme était tiré par un endettement privé en sensible augmentation.
La crise a mis à nu la fragilité de ce modèle de croissance à crédit au Royaume-Uni, en Irlande et en Espagne, l’endettement des ménages et des entreprises représente plus de deux fois le PIB, et leur désendettement contraint va engendrer une croissance durablement ralentie. Par conséquent, la résorption du déficit public risque d’être lente et difficile… sauf à augmenter sensiblement les impôts ou à réduire sensiblement la dépense publique. Et donc, dans les deux cas, à anémier un peu plus l’activité économique. Aujourd’hui, les marchés parient sur l’approfondissement de la crise. Une crise dont ils portent largement la responsabilité initiale, mais sur laquelle ils surfent désormais, car elle est l’occasion rêvée de mettre à bas un système de protection sociale et de restaurer des mécanismes plus libéraux.
On croyait que la crise sonnait la fin du libéralisme. Elle est en train de l’accentuer.
On peut lire le texte complet sur le site du magazine Alternatives Economiques
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