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Le samedi 23 avril 2022

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L’indispensable rôle de l’État dans le redressement économique

L’auteur invité est Michael Meacher, député travailliste, ministre de l’environnement de la Grande-Bretagne de 1997 à 2003

La relance publique est nécessaire pour ranimer l’économie, mais un néo-libéralisme étriqué refuse de reconnaître cette vérité évidente. Les deux partis politiques principaux se préoccupent principalement de savoir dans quelle mesure et à quelle vitesse le déficit budgétaire devrait être réduit, alors qu’il s’agit d’une politique inadaptée et que les mesures adéquates sont rejetées d’emblée. De plus, ce qui devrait constituer l’enjeu central de cette élection n’est même pas abordé.

La réduction des dépenses publiques, que ce soit de façon drastique ou en douceur, immédiatement ou un peu plus tard, n’est pas une bonne politique lorsque la « reprise » est si précaire, et notamment lorsque la récession est principalement due non pas au renflouement des banques mais à l’effondrement de l’investissement privé. Cet investissement, en particulier dans le logement et les transports du secteur privé (bus, trains, voitures, etc), avait déjà baissé de façon spectaculaire de 15% entre le premier trimestre de 2007 et le deuxième trimestre de 2008, avant le crash financier de Septembre 2008. Les faillites bancaires, qui ont ensuite aggravé la baisse des prêts aux entreprises et aux ménages, passant d’une saine croissance de 20% par an [1] au début de 2007 à une valeur nulle ou négative deux ans plus tard, ont renforcé cette chute spectaculaire de l’investissement privé.

La réaction adéquate à cette baisse de l’investissement en période de récession profonde consiste à la compenser en intensifiant les investissements du secteur public. Un important programme d’investissements publics dans la création d’emplois dans le bâtiment, l’amélioration des infrastructures, et une nouvelle économie numérique verte constituerait une triple réponse à l’impasse actuelle. Ce programme stimulerait la demande globale, au moment où l’investissement privé a disparu et ou les bulles insoutenables du crédit et de l’immobilier ont fini par éclater. Il compenserait dans une certaine mesure le vide laissé par l’effondrement des prêts bancaires aux entreprises. Et avec des mises en chantier qui sont au plus bas depuis les années 1920, cela donnerait un élan considérable à l’offre de logements sociaux abordables, dont la pénurie, avec 1,8 millions de foyers sur les listes d’attente, représente de loin le plus grand besoin social non satisfait aujourd’hui en Grande-Bretagne.

Le principal argument utilisé contre une telle proposition, c’est que les marchés obligataires ne supporteraient pas tout nouvel accroissement d’un déficit budgétaire atteignant déjà 178 milliards de livres cette année. Le gouvernement ne serait plus alors en mesure de financer sa dette et la Grande-Bretagne pourrait même perdre sa note AAA sur les marchés du crédit. C’est l’inverse qui est vrai. Ce qui a provoqué l’instabilité récente des marchés financiers, ce n’est pas l’importance du déficit, mais plutôt la marche arrière du gouvernement sur la relance (modeste) de l’économie, qui va prolonger sensiblement le ralentissement d’activité. Une économie atone qui reste au fond du trou, voilà ce qui effraie les marchés.

Pourquoi dans ce cas cette politique évidente de relance du secteur public n’est-elle pas acceptée ? Parce que l’ordre du jour néolibéral – selon lequel les marchés privés doivent être le seul outil de l’activité économique – reste dominant dans les deux principaux partis politiques. Les conservateurs ne sont que trop heureux d’avoir une excuse pour effectuer d’importantes réductions des dépenses publiques, puisqu’ils ont toujours voulu amincir l’État. Et, contre toute raison, les travaillistes restent dogmatiquement opposés aux grandes initiatives de relance pilotées par le secteur public. Ni l’aile de tendance paternaliste des conservateurs, ni l’aile sociale-démocrate du parti travailliste n’ont assez d’influence – jusqu’à présent – au sein de leur propre formation pour offrir un choix réel à l’occasion de cette prochaine élection. Le choix proposé est exclusivement celui d’un néolibéralisme étriqué.

Pourtant, le système néolibéral a manifestement failli. Les banques restent en position dominante et la réglementation à ce jour n’est que fragmentaire et inefficace. La nécessaire réduction de la taille d’un secteur financier hypertrophié n’a pas eu lieu, pas plus que le développement de la base productive du pays. L’obsession de l’intégrisme du marché – bien qu’il n’ait pas passé l’épreuve des tests en s’effondrant – n’a pas cédé la place à un nécessaire rééquilibrage des rôles entre les marchés et l’État. La privatisation, la déréglementation et la flexibilité du marché du travail ont été appliquées, sans produire pour autant une croissance stable ou le plein emploi. L’accroissement démesuré de l’inégalité a également entrainé une récession sociale, une pauvreté tenace, qui ont aggravé les difficultés des classes les plus pauvres.

En proposant que l’État retrouve un rôle approprié et bénéfique, personne ne suggère un retour à une nationalisation généralisée, une planification centralisée ou un contrôle des marchés (si tant est que cette période ait jamais existé). Ce qui reste absent du catalogue des « solutions » néolibérales, c’est la reconnaissance que l’État ait un rôle unique pour la régulation des excès du marché, le redressement de ses échecs, en supervisant une économie équilibrée et soutenable, en promouvant les intérêts de toutes les classes de la société et en prenant l’initiative sur des questions de sécurité nationale telles que l’approvisionnement énergétique et la menace climatique.

L’alternative à l’impasse du capitalisme néolibéral dans laquelle se trouve la Grande-Bretagne, c’est une meilleure régulation des marchés, un nouveau rôle spécifique de l’État dans des domaines clés de l’économie, mettant l’accent sur la relance et le renforcement de l’industrie en Grande-Bretagne, un schéma de relations entre les industries bien plus coopératif, et une sérieuse refonte des modèles de rémunération et d’incitations.

Nous avons besoin d’une infrastructure bancaire pour conduire cette relance. Il nous faut un établissement du type de la banque postale qui offrirait des services d’un coût abordable pour toutes les classes sociales. Nous avons besoin d’un programme massif de logement, impulsé par le gouvernement, pour reloger jusqu’à un quart de la population et renforcer l’efficacité énergétique de tous les logements. Une économie qui basculerait de près de 3 millions de chômeurs vers une création d’emplois à grande échelle avec des salariés payant l’impôt pourrait commencer à concrétiser cette vision alternative.

Elle devrait être associée à un tout autre ordre politique et social. Nous avons besoin, non pas d’un parlement moribond, mais d’une chambre aux pouvoirs renforcés, à même de répondre de façon bien plus active aux attentes des électeurs, et qui demande des comptes bien plus vigoureusement à l’exécutif. Nous avons besoin d’une vision de l’ordre public beaucoup plus libérale, qui rééquilibre le contrôle et la surveillance de plus en plus répressifs de l’État par des libertés civiles revigorées. Et nous avons besoin d’une intervention plus forte et mieux ciblée contre la pauvreté intergénérationnelle et les discriminations afin que l’idéal de l’égalité des droits soit plus effectif et concret.
Voilà ce que serait un véritable choix pour cette élection.

On peut lire le texte original en anglais sur le site du Guardian, ou la version traduite sur le site de Contre Info

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