L’auteur invité est Jean-François Lisée, ancien conseiller des premiers ministres Jacques Parizeau et Lucien Bouchard de 1994 à 1999, maintenant directeur exécutif du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM)
Avez-vous lu le dernier budget de Colombie-Britannique ? Moi, oui. J’ai eu le choix de la langue de lecture. La province, dont le slogan est « The Best Place on Earth », présente ses textes, tableaux et chiffres en trois langues : l’anglais, le mandarin, le pendjabi.
Autant vous dire que le français y est encore moins présent qu’à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Vancouver. Les francophones de Colombie-Britannique sont des gens actifs, dynamiques, attachants. Mais ils sont peu nombreux. En fait, le français n’y est pas la première langue minoritaire. Vous le savez, c’est le mandarin. Il n’est pas la deuxième langue minoritaire, c’est le pendjabi. Il n’est pas la troisième, c’est le coréen. Il n’est pas la quatrième, c’est le tagalog, langue des Philippins. Il n’est pas la cinquième, c’est le vietnamien. Il n’est pas la sixième, c’est le perse. Le français y est la septième langue minoritaire.
Cela augure mal pour le bassin d’anglo-bilingues disponibles pour combler, dans quelques lustres, des postes de juges, de GG, de haut-fonctionnaires, de député, de ministre, de premier ministre.
Un impact délétère sur l’identité canadienne des Québécois
Cette évolution, hier prévisible, aujourd’hui manifeste, ne peut qu’avoir un impact délétère sur l’attachement canadien d’une partie des 40% de francophones qui ont voté Non en 1995. Qui le craint ? Les penseurs du Non eux-mêmes.
Pensez-vous que ce serait un changement majeur dans la nature du Canada ?
Oui, des cerveaux fédéralistes ont vu venir le danger. Ils ont même compris que ces tendances démographiques pourraient mettre en cause la permanence de la loi fédérale des langues officielles. Les sondeurs du très regretté Conseil pour l’unité canadienne avaient donc testé cette hypothèse dès 2005, incluant deux questions dans leur sondage annuel, pour mesurer quelle serait l’étendue des dégâts politiques, si/quand la chose arriverait.
Ils ont d’abord voulu savoir si l’abandon de la loi des langues officielles constituerait un changement majeur de la nature du Canada. 81% des Québécois leur ont dit oui. Puis, ils ont voulu vérifier si ce changement serait perçu négativement ou positivement. 86 % des Québécois ont jugé que ce serait un changement très négatif (64 %) ou négatif. (Et je suspecte plusieurs séparatistes d’avoir répondu que ce serait un changement positif. Vous les connaissez…)
Avant même que ne survienne ce choc, l’identité canadienne recule au Québec, à la vitesse du glacier qui fond, peut-être, mais dans un mouvement qui semble inexorable.
Le phénomène n’est pas nouveau, mais il est essentiel à la compréhension de la politique québécoise. Le sondeur fédéraliste Maurice Pinard avait le premier révélé l’importance prédictive majeure de ces évolutions. Il a dirigé une série de sondages, repris depuis par d’autres, dont le Bloc Québécois, demandant aux Québécois francophones d’indiquer s’ils se considéraient « Québécois », « Canadiens-français » ou « Canadiens ».
C’est capital, car la crainte face à l’avenir économique d’un Québec souverain fut LE facteur de la défaite du Oui en 1995. Elle n’opère plus, ou alors beaucoup moins.
D’autant qu’un autre cap statistique est franchi: il y a désormais moins de chômage au Québec qu’en Ontario ou aux États-Unis. Et le Québec a effectivement traversé la crise avec moins d’avanies que le reste de l’Occident – en particulier ses voisins Ontarien et Américain.
De même, ce printemps, une identique proportion de 55 % affirme dans le sondage IPSO/Bloc que le Québec a « le capital financier et les ressources pour devenir souverain ». Troisième pièce à conviction, le sondage CROP réalisé ce printemps pour l’émission Le Verdict, de Radio-Canada. On a demandé aux Québécois s’ils jugent le Québec, comparativement aux autres pays industrialisés, dans une situation « comparable » (52 %), « avantageuse » (20 %) ou « moins avantageuse » (28 %). Compte tenu du discours ambiant sur les ratés du modèle québécois, — et en pleine campagne de presse sur « le Québec dans le rouge » – il est simplement héroïque que les Québécois soient au total 72 % à juger le Québec en aussi bonne ou meilleure posture qu’ailleurs.
En un mot : le Québec se détache du sentiment d’infériorité économique qu’il a toujours traîné comme un boulet.
La volonté politique
Ces éléments importants ne sont rien, évidemment, sans le maintien puis l’émergence d’une volonté indépendantiste populaire, dirigée par une intelligence politique, stratégique et tactique, au sommet.
L’accès du Québec à la souveraineté n’est pas inscrit dans l’histoire. Il sera toujours le fruit d’un effort politique majeur, d’un volontarisme qui, s’il veut limiter le risque de l’échec, n’est pas tétanisé par lui.
Les conditions dans lesquelles se déploiera cet effort sont importantes. L’identité et l’estime de soi économique sont des guides immensément plus sûrs que les variations de l’intention de vote référendaire (variations qui se font depuis 10 ans dans une fourchette nettement plus haute que lors du précédent entre-deux référendums); bien plus encore que la prédiction de souveraineté qu’on demande parfois à l’opinion de faire. Après tout, en 1990, la majorité affirmait la souveraineté imminente. Elle avait tort. Aujourd’hui qu’elle affirme qu’elle n’arrivera pas, pourquoi aurait-elle davantage raison ?
L’identité québécoise et l’estime de soi économique sont les deux piliers d’une future majorité indépendantiste. En 1980 et en 1995, ces piliers étaient trop courts pour nous porter au-delà de la barre majoritaire. Ils ont grandi depuis. Ils pointent vers l’avenir. C’est une bonne nouvelle.
Il faut aller lire le texte sur le blogue de Jean-François Lisée pour prendre connaissance des nombreux tableaux commentés
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