L’auteur invité est Christian Chavagneux, journaliste au magazine français Alternatives Economiques
En décidant d’interdire les « ventes à découvert à nu », l’Allemagne vient de faire un pas dans la bonne direction. Mais cette mesure sera peu efficace tant qu’elle restera unilatérale : le gouvernement allemand doit maintenant pousser à une forte régulation de la finance au niveau de l’Union européenne et du G20.
La BAFIN, le régulateur financier allemand, a décidé, dans la nuit du 18 au 19 mai, d’interdire « les ventes à découvert à nu » sur un ensemble de titres de grandes entreprises allemandes et sur les titres de la dette souveraine. De quoi s’agit-il ? Ces instruments de pure spéculation permettent aux investisseurs de parier sur la baisse des prix d’un titre (ou sur la hausse du prix de l’assurance contre un possible non remboursement de sa dette par un État ou une entreprise) sans jamais détenir ou emprunter ce titre. Ce type de vente permet de parier beaucoup en engageant peu de capital ; surtout dans la conjoncture actuelle, où les investisseurs sont fébriles et prêts à vendre beaucoup. Aujourd’hui les paris se font contre la dette grecque ou espagnole, hier ils concernaient les titres des banques après la faillite de Lehman Brothers…
Fausses menaces des spéculateurs
L’Allemagne s’attaque donc à ce genre de pratiques, non pas en les régulant, mais en les interdisant. Certains acteurs financiers s’insurgent contre cette mesure en affirmant qu’elle réduit la « liquidité » des titres concernés et, par conséquent, leur volonté d’en acheter. La menace est claire : puisque vous limitez nos possibilités de spéculer avec la dette espagnole, nous n’allons plus l’acheter. Mais elle n’est pas crédible : les investisseurs de long terme (fonds de pension, compagnies d’assurance…) sont en quête de titres offrant de bons rendements. Et ils achètent aujourd’hui les titres de la dette publique espagnole, portugaise ou irlandaise proposant des taux d’intérêt plus élevés que ceux de la dette française ou allemande.
A vrai dire il n’y a guère que les spéculateurs que ce genre d’interdiction peut gêner – sauf qu’ils peuvent continuer à spéculer comme avant à partir des Bourses de Londres, de New York ou de Singapour… La mesure allemande serait donc infiniment plus puissante si elle était prise au niveau européen ou à celui du G20.
Et l’Europe ?
Il faut néanmoins féliciter les régulateurs allemands d’avoir eu le courage de lancer le mouvement, sans attendre un éventuel accord de leurs partenaires. Un acteur particulièrement attentif est en l’occurrence la Commission européenne, qui devait de toute façon faire des propositions sur le sujet d’ici quelques semaines. Dans un entretien au Financial Times du 20 mai, le ministre des Finances allemand Wolfgang Shäuble a affirmé que l’Allemagne souhaite une régulation stricte des marchés de produits dérivés, afin de maîtriser des marchés « hors de contrôle », et qu’elle soutient le projet d’une taxation des transactions financières pour faire payer en partie le coût de la crise au monde de la finance. Il y affirme très clairement que le gouvernement allemand veut poursuivre l’élan régulateur manifesté par le G20 l’année précédente, dans le sillage de la crise financière mondiale.
Quelle sera la position du gouvernement français dans ce débat ? Après une forte mobilisation du président de la République en 2008, la volonté régulatrice de la France semble avoir fléchi. La rapidité avec laquelle Christine Lagarde, la ministre des Finances, a condamné le principe même, au-delà de la méthode (absence de coordination européenne) de l’offensive allemande n’est pas de bon augure ; le gouvernement serait-il donc tenté par les vieilles sirènes libérales d’avant crise, celles-là même qui nous avaient menés au désastre ?
On peut lire le texte complet sur le blogue d’Alternatives Economiques
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