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Le samedi 23 avril 2022

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Dette et Austérité : aujourd’hui comme hier, les marchés se trompent

L’auteur invité est Paul De Grauwe, du Centre For European Policy Studies (CEPS)

Avis d’expert. Le secteur financier et les agences de notation, dont l’extraordinaire clairvoyance nous a conduit où l’on sait, sont de retour sur le devant de la scène, toute honte bue, et réclament sans vergogne l’application immédiate de plans de rigueurs pour juguler une dette qu’ils jugent excessive, ce qui ne peut que casser une reprise encore fragile, avertit l’économiste Paul De Grauwe, qui rappelle que la dette souveraine n’a gonflé qu’en raison de l’insouciante prodigalité du secteur privé et non du public. « Derrière chaque euro supplémentaire de dette publique, il existe un euro de dette privée qui a été repris ou soutenu par l’Etat, » note-t-il, avant de conseiller instamment aux politiques de se défaire de la croyance que les marchés auraient toujours raison. Ecouter ces appels à la rigueur, appliquer les politiques d’austérité réclamées par la finance serait une politique à courte vue, met-il en garde, car les marchés « ne voient pas l’interdépendance de la dette publique et privée. En conséquence, ils contraignent aujourd’hui les gouvernements à s’engager trop tôt à réduire leurs dettes et les déficits, mettant ainsi en danger la solvabilité d’une grande partie du secteur privé. » — La génération d’hommes aujourd’hui aux postes de responsabilité a fait carrière à l’ère du Consensus de Washington. A de rares exceptions près, une fois passée la « grande peur », les vieux réflexes ont bien vite repris le dessus et les leçons prétendument apprises ont été vite oubliées. Voici venu le temps de restauration : retour aux fondamentaux monétaristes, moins d’Etat, rigueur budgétaire accrue, Pacte de Stabilité renforcé. Silence radio sur l’excès de dettes du privé, sur la financiarisation, sur la perte de substance des économies induite par la dérégulation du capital, qui sont les causes premières de la crise et des souffrances sociales. Si les enjeux n’étaient pas aussi sérieux, ont pourrait décrire tout ceci sur le mode tragi-comique. Une cohorte de petits maîtres, non plus poudrés et emperruqués, mais tout aussi conformistes dans leurs manies de langages et leurs codes vestimentaires, tout emplis de leurs certitudes, et chantant à nouveau les louanges de la main invisible, comme si rien ne s’était passé. Ah, parlons de la réduction des déficits ! Le beau sujet que voilà ! Et les spectateurs abasourdis de comptabiliser le nombre de fois où l’analogie idiote entre budget de l’Etat et budget des ménages sera doctement réitérée par les Diafoirus qui peuplent les plateaux de télévision. Mais il n’y a franchement pas matière à rire. Contre Info.

Après le déclenchement de la crise financière, le consensus était général : les marchés financiers et les agences de notation avaient remarquablement échoué à inciter les investisseurs et les emprunteurs à prendre les bonnes décisions. Avant la crise, les marchés financiers ont donné à croire que la valeur des actifs allait augmenter indéfiniment et que les risques étaient faibles. Cette sous-estimation systématique des risques a conduit à une accumulation excessive de la dette privée et s’est finalement terminée par un crack. Après ces échecs lamentables on aurait pu s’attendre à ce que personne ne prenne plus au sérieux le jugement des marchés financiers et des agences de notation.

C’est pourtant le contraire qui s’est produit. Les marchés financiers et les agences de notation sont de retour, et cette fois-ci se vengent. A ceci près que cette fois, ils font exactement le contraire de la façon dont ils agissaient avant l’irruption de la crise. Ils estiment désormais qu’un nombre croissant d’obligations souveraines sont à haut risque, ce qui conduit les investisseurs à vendre ces obligations, précipitant ainsi une crise de la dette dans la zone euro. Pourquoi donc les marchés financiers et les agences de notation qui se sont trompés de façon tellement spectaculaire avant la crise, lorsqu’ils sous-estimaient les risques, auraient-ils raison maintenant ? Ne seraient-ils pas en train de commettre l’erreur inverse, c’est à dire de surestimer de façon généralisée les risques, particulièrement sur le marché des obligations d’État ? Bien peu d’observateurs posent aujourd’hui cette question. La plupart semblent conditionnés à nouveau par l’idée que les marchés ont raison, surtout quand ils évaluent le risque de la dette publique.

Bien sûr, il est vrai que les déficits publics et les niveaux d’endettement dans la zone euro, mais aussi aux États-Unis et au Royaume-Uni, ne sont pas soutenables, et qu’à un moment donné, il sera nécessaire de prendre certaines mesures visant à réduire ces déficits. Les marchés financiers et les agences de notation se focalisent aujourd’hui sur ce point.

Mais ils ne tiennent pas compte de l’interdépendance qui lie la dette du gouvernement et la dette privée. La principale, sinon l’unique raison pour laquelle les dettes publiques ont explosé, c’est que les gouvernements ont jugé à juste titre qu’ils devaient accroitre leur endettement pour sauver le secteur privé, et en particulier, les établissements financiers. Derrière chaque euro supplémentaire de dette publique, il existe un euro de dette privée qui a été repris ou soutenu par l’État.

Lorsqu’aujourd’hui les marchés financiers et les agences de notation augmentent la prime de risque sur la dette publique, ils obligent les gouvernements à réduire leur dette. Mais cela a pour effet de renvoyer la patate chaude de la dette insoutenable en direction du secteur privé, en particulier dans le système financier.

De fait, pour chaque pourcent de prime de risque supplémentaire que les marchés financiers ajoutent à la dette publique, un pourcent de prime de risque supplémentaire devrait être ajouté à la dette privée. Les marchés financiers ne le font pas parce qu’ils ne voient pas l’interdépendance de la dette publique et privée. En conséquence, ils contraignent aujourd’hui les gouvernements à s’engager trop tôt à réduire leurs dettes et les déficits, mettant ainsi en danger la solvabilité d’une grande partie du secteur privé. En ce sens, les marchés financiers sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis.

Ce problème est particulièrement aigu dans la zone euro. Les marchés financiers sont traumatisés par la tragédie grecque et sont en train d’imposer une austérité semblable aux autres marchés de la zone euro. Ce processus se développe par le biais des effets de contagion de la crise grecque. Sous la pression du jugement pourtant peu fiable des marchés financiers et des agences de notation, les gouvernements de la zone euro sont contraints l’un après l’autre de renoncer aux politiques budgétaires mises en place pour sauver le secteur privé. Dans ce processus, un nombre croissant de pays de la zone euro sont contraints de réduire leurs dépenses et d’augmenter les impôts à un moment où le secteur privé n’a pas encore récupéré. En imposant maintenant l’austérité, les marchés financiers rendent la reprise économique plus difficile, et rendent du même coup plus difficile le redressement des déficits publics et la réduction de la dette. Une dynamique déflationniste, porteuse d’échec, menace de gagner l’ensemble la zone euro.

Peut-on mettre un terme à ce processus ? C’est possible. Mais pour y arriver, les gouvernements de la zone euro doivent se défaire de la vision imposée par les marchés financiers, selon laquelle la cause de l’actuelle crise de la dette publique a pour cause la prodigalité budgétaire passée de ces mêmes gouvernements.

Tel n’est pas le cas. La cause de la crise de la dette publique est la prodigalité de larges segments du secteur privé, et en particulier du secteur financier. Le renforcement des mesures du Pacte de stabilité ne résoudra en rien ce problème.

Afin d’enrayer la contagion de la crise de la dette publique dans la zone euro, il est également essentiel que les gouvernements considèrent ce problème comme étant collectif et les affecte tous. Les longues hésitations durant la gestion de la crise grecque ont intensifié les effets de contagion et ont déjà précipité un processus d’austérité budgétaire qui menace le secteur privé de la zone euro.

Ce processus ne peut être arrêté que par l’obtention rapide d’un accord de soutien financier mutuel. Pour ce faire, il sera cependant aussi nécessaire de mettre de côté l’approche morale et affective de la question. Cette façon de voir a été largement partagée en Allemagne où le problème a été réduit à la question essentielle de savoir comment la Grèce devait être punie pour ses fautes passées. Le dernier plan de soutien financier décidé le week-end dernier semble mettre de côté ces objections morales et, espérons-le, aidera à la mise en oeuvre de politiques budgétaires adaptées dans la zone euro.

On peut lire la version originale en anglais sur le site du CEPS; la traduction a été assurée par les animateurs du site Contre Info

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